Articles

« Nourrir l’envie des études supérieures »

14e congrès de la Fédération des cégeps

La Fédération des cégeps tenait son congrès les 1er et 2 novembre à Lévis : « Nourrir l’envie des études supérieures ». Menu varié et intense.

Texte et photos: Daniel Samson-Legault, Portail du réseau collégial

200 personnes le mercredi, davantage le lendemain. Le thème était résolument pensé pour les clientèles des cégeps : « Nourrir l’envie des études supérieures ».

Empruntant les mots de Lise Bissonnette, qui disait des grandes institutions québécoises qu’on , Bernard Tremblay, le pdg de la Fédération, a fait un souhait d’entrée de jeu, pour les jeunes : « Nous devons nous assurer d’être une PROMESSE ».

L’animation des deux jours était confiée à Rose Lindsay Daudier. La directrice générale de Fusion Jeunesse, organisme voué à l’engagement social et la persévérance scolaire, s’en est acquittée avec brio.

Surprise pour tous-tes, y compris l’animatrice : un commando du Front commun en négo est monté sur scène jeudi matin et a distribué dans l’assistance un tract intitulé « Nourrir l’envie de travailler pour les études supérieures »…

Connaitre nos 18-24 ans

Une crise par-dessus l’autre récemment : nos jeunes ne l’ont pas eu facile. Après la perturbante pandémie de COVID, l’inflation a frappé aussitôt. Cette double crise, selon Christian Bourque, de la firme Léger, a fragilisé nos étudiants-es. Il commentait une récente étude de sa firme Léger sur la perception des 15-24 ans sur le cégep.

Christian Bourque

Il a noté des problèmes de santé mentale, de confiance en soi et beaucoup de pessimisme. Les 16-18 ans seraient la première génération à prévoir être plus pauvres que leurs parents. Le reste s’est quand même amélioré depuis quelques années. Meilleure opinion des cégeps, moins de détracteurs qu’avant la pandémie, bouche-à-oreille plus positif. Dans les régions éloignées des grands centres, la fierté est plus grande. Un autre constat fort : après la pandémie, le milieu de vie est important et la grande majorité souhaite moins de cours en ligne.

On la présente comme spécialiste en rétablissement de catastrophes. Dre Mélissa Généreux, de la Santé publique de l’Estrie, a parlé de l’après-pandémie. Le concept de « santé mentale », dit-elle, est un continuum, qui concerne tout le monde (celui de « maladie mentale », binaire, est de plus en plus critiqué). L’omniprésence des écrans, accélérée avec la pandémie, a eu de mauvais effets là-dessus sur nos jeunes. « Y a-t-il des pairs aidants dans le réseau ? », se demande-t-elle.

Mélissa Généreux

Une enquête d’Écobes

Pour illustrer les résultats d’une enquête sur la réussite scolaire, Michaël Gaudreault avait invité deux étudiantes et un étudiant plutôt représentatifs de trois des populations étudiées.

Michaël Gaudreault...

Très souvent, les étudiants-es autochtones doivent s’éloigner de leur communauté, se mettre tout à coup à fonctionner seulement en français plutôt que dans leur langue d’usage habituel. Dépaysement garanti. Et la majorité sont aux études supérieures en première génération, sans modèle familial. « Et ma communauté est timide, on va difficilement vers les autres », dit Laurence Vollant-Vachon de Betsiamites, étudiante au Cégep de Sainte-Foy.

...et ses invités-es

Pour les personnes un peu plus âgées, souvent avec des enfants et des obligations financières importantes, le retour aux études est stressant, dans le bon sens mais dans le mauvais aussi. La conciliation est triple : travail-famille-études. Contrairement à un préjugé, elles ne prennent pas plus de temps pour terminer leur programme. Émilie Jacques, mère, étudie au Cégep Garneau, un projet qu’elle a considéré bon pour sa santé mentale et sortir de son foyer.

Un autre préjugé voudrait que les étudiants-athlètes soient tous en sciences humaines. Écobes a constaté qu’ils étaient presque autant inscrits en sciences pures. 8 % seulement des étudiants-athlètes prévoient prendre plus de temps pour compléter leur programme collégial. Samuel Cahil, en sport-études football au Cégep de Limoilou, s’est exprimé de façon très articulée sur son insécurité financière et sur ce qu’implique un changement de région pour pratiquer son sport.

Des sous et de l’IA

Comptable qui enseigne au Cégep de Lanaudière, Paul-Antoine Jetté a revisité les concepts de l’inflation et de l’insécurité économique. Est-ce qu’une récession ramène les jeunes dans les écoles ? Non, croit-il, car « il manque un environnement économique stable, qui donne confiance » dans l’avenir. Il déplore aussi le déficit en littératie financière ; « ce qu’on ne connait pas, ça fait peur ».

Paul-Antoine Jetté

Le délégué général de RÉNASUP, un organisme français semblable à la Fédération des cégeps, ne manque pas d’humour. Jean-Marc Petit dit que même si les Français ont fait la Révolution, ils ont de la difficulté à renoncer à la noblesse. C’est le prestige associé aux professions libérales qui expliquerait selon lui la pénurie de diplômés techniques ; les études techniques sont moins choisies. Pas de cols bleus dans l’échelle de prestige. La tentation est donc moindre chez les jeunes d’aller tôt chercher des sous en travaillant ; le décrochage scolaire serait moins prononcé en France. Il salue, par contre, la formule travail/études qui a beaucoup progressé en France. « C’est une mesure démocratisante », considère-t-il, qui permet l’accès aux grandes écoles.

Jean-Marc Petit

 

Avant chaque thème, les résultats d’un sondage de la salle étaient projetés aussitôt.

Il fallait toucher à l’intelligence artificielle en éducation, qui bat des records de popularité. Avec modestie, Frédérick Bruneault, enseignant de philosophie à André-Laurendeau, a rappelé les applications possibles en administration scolaire et en enseignement. Il considère inévitable cette évolution. « Enseigner, c’est s’adapter à l’environnement ». Il pense que l’objectif central sera de « développer le regard critique ». Comme s’ils s’étaient concertés, Jean-Marc Petit venait d’exprimer un corollaire : « Pour être critique, il faut avoir des repères » !

Frédérick Bruneault

Le prix Guy-Rocher : 3 dans 1

Pour rattraper son retard, parait-il, car le prix Guy-Rocher de la Fédération n’est décerné que depuis 2020, on prend les bouchées non pas doubles mais triples. Trois récipiendaires cette année. Ce prix veut reconnaitre des personnalités exceptionnelles pour leurs « importantes réalisations pour l’éducation au Québec ». Les deux premières, absentes, ont fait parvenir une vidéo de remerciements.

Maryse Lassonde a été présidente du Conseil supérieur de l’éducation (CSE). C’est toutefois comme directrice scientifique pour le Fonds de recherche du Québec-Nature et technologies (FRQNT) qu’elle a contribué de façon unique à la recherche au collégial.

Maryse Lassonde

En acceptant ce prix, l’ex-journaliste Lise Bissonnette a créé un émoi en critiquant très sévèrement le « Renouveau pédagogique », fait « en catimini », « une cruelle impasse » et un « échec spectaculaire ». Bernard Tremblay a ensuite rappelé que cette critique est partagée par plusieurs, pas par tous, et que ce n’était pas la position de la Fédération.

Lise Bissonnette

Le 3e récipiendaire, présent celui-là, a été présenté par Nathalie Vallée, dg du Cégep Ahuntsic. Paul Inchauspé, son prédécesseur, le « leader proactif et audacieux » aurait 94 ans le lendemain. Lui-même s’est rappelé son enfance, une école de village où se donnaient cinq niveaux par un seul maître, sa « joie de découvrir et d’apprendre ». Il a repris à son compte la formule de Fernand Dumont : « J’ai tellement aimé l’école que j’ai voulu y vivre toute ma vie ».

Paul Inchauspé présenté par Nathalie Vallée

Ton sur ton

Conférencière d’ouverture, la chroniqueuse Catherine Éthier y était allée d’un touffu et sarcastique discours personnel sur le thème du congrès. Elle s’est rappelé son enfance, son cégep à Édouard-Montpetit. « J’ai survécu à mon cégep, c’est pourquoi j’ai dit tantôt que c’était un succès » ! Elle a aussi taquiné notre gouvernement. « Les gens de tous les métiers seront des anges, tour à tour » ou « Il faudrait savoir ce que pense François Legault des cégeps maintenant… ». Les rires étaient nombreux.

Catherine Éthier

Un autre chroniqueur de la radio de Radio-Canada, Jean-Philippe Pleau, sociologue, intervenait le lendemain. Cette fois, le ton était intimiste et sérieux, celui qu’il emploie dans son studio. Lui aussi a parlé de son enfance, de son rêve de devenir soudeur comme son père, de l’absence de livres dans la maison, et de la « déchirure sociale » qui a suivi en graduant comme universitaire. « J’avais honte de ma classe sociale ; j’ai maintenant honte d’avoir eu honte. » Transfuges de classe, immigrants de l’intérieur, l’ignorance peut être un stigmate. « Des études “supérieures”, supérieures à quoi ? » Il a questionné l’expression. Les transfuges de classe sociale sont sensibles à la vision qu’on véhicule collectivement, à ce classisme.

Jean-Philippe Pleau

La question a été reprise par la ministre de l’Enseignement supérieur Pascale Déry peu après. Elle a réitéré son appui à la formation des infirmières dans les études collégiales et dit placer prioritaires la recherche de solutions immobilières pour la pénurie de logements étudiants. « On a un réseau très fort et innovant ».

Pascale Déry