Nouvelles

Fournir un objet d'apprentissage sans niveler par le bas

Lettre ouverte publiée par Le Devoir.com

«Sommes-nous suffisamment préoccupés collectivement par la qualité et le prestige de notre langue commune et de notre culture, dont elle est indissociable, pour en donner le goût à nos jeunes?» demande l'auteur.
Photo: Michaël Monnier Archives Le Devoir

Bernard Tremblay
Président-directeur général de la Fédération des cégeps

9 octobre 202- Depuis quelques semaines, dans plusieurs médias, on m'attribue l'idée de vouloir permettre l'utilisation d'un logiciel d'autocorrection tel qu'Antidote dans le cadre de l'épreuve uniforme de français au cégep. Sur la seule base d'articles déjà parus, d'autres médias et chroniqueurs condamnent d'avance, sans trop chercher à connaître le fondement de cette idée mise avant pour favoriser la réussite au collégial. C'est le piège dans lequel est aussi tombé Robert Dutrisac, dans Le Devoir du 7 octobre.

Je me permets donc de rétablir les faits. D'abord, il n'a jamais été question de prôner l'usage d'un logiciel d'autocorrection pour faciliter la réussite de l'épreuve uniforme de français, mais bien d'envisager l'utilisation d'un tel logiciel comme objet d'apprentissage et d'enseignement dans le cadre des études collégiales, afin que les étudiantes et les étudiants deviennent des correcteurs performants de leurs productions écrites.

Ensuite, bien loin d'être le fruit de ma seule pensée, cette solution figure parmi les pistes d'action qui émanent d'un vaste chantier sur la réussite que la Fédération des cégeps a lancé en 2018. Les travaux de ce chantier, soutenus par le ministère de l'Enseignement supérieur (MES), se sont échelonnés sur deux ans, avec l'objectif d'établir des zones de vulnérabilité en matière de réussite chez la population étudiante du réseau collégial public et de recenser des pratiques porteuses existantes dans nos établissements. Un comité formé de membres de différentes directions des cégeps a encadré ces travaux, et d'importantes consultations ont été menées au sein de notre réseau tout au long d'un processus qui a précédé et inspiré le plan d'action pour la réussite lancé par le MES en septembre dernier.

L'objectif de la Fédération des cégeps à travers ce chantier se résume ainsi : contribuer à augmenter le taux d'obtention du diplôme collégial, qui stagne autour de 65 % depuis trop longtemps. Avec lucidité et ouverture, et tout en sachant qu'au final, des constats et des propositions pourraient déranger, nous avons maintenu le cap. Pour en arriver aujourd'hui à la publication du rapport La réussite au cégep : regards rétrospectifs et prospectifs, qui met en avant 10 enjeux et autant de pistes d'action pour améliorer la réussite au collégial.

C'est donc de ces travaux qu'émane l'idée de l'utilisation d'Antidote, une utilisation qui, comme l'explique le rapport, peut améliorer les compétences langagières des étudiantes et des étudiants. Ce n'est donc pas pour faciliter la réussite de l'épreuve uniforme de français, mais bien pour hausser, avec les outils du XXIe siècle, la qualité et la maîtrise du français dans une perspective de réussite scolaire. Il s'agit, par ailleurs, d'une idée parmi bien d'autres.

S'il est permis de débattre de l'utilisation d'un tel logiciel dans les cégeps, ne devrions-nous pas, comme société, nous poser un certain nombre d'autres questions ? Par exemple, quel est le niveau de maîtrise du français auquel on doit s'attendre à la fin du parcours secondaire ? À la fin des études collégiales ? Après l'université ? Sommes-nous suffisamment préoccupés collectivement par la qualité et le prestige de notre langue commune et de notre culture, dont elle est indissociable, pour en donner le goût à nos jeunes ? Voulons-nous vraiment rejeter du revers de la main, sans réflexion, des solutions qui pourraient faire en sorte que des jeunes qui réussissent tous leurs cours au cégep ne soient plus laissés de côté parce qu'ils ont échoué en partie à leur épreuve de français ?

Finalement, il faut le rappeler, les cégeps ne cherchent pas à niveler par le bas. Ils ont toujours aligné leurs actions sur les normes les plus exigeantes et entendent maintenir cette rigueur.