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Entrevue avec la cégépienne Rosalie Lavoie

Vers les autres

Des collégiens-nes, surtout pour leur implication dans la communauté et pour leur leadership, sont récompensé-es par la Fondation des boursiers Loran. Une valeur de 100 000 $ chacune. Parmi les 5 Québécoises lauréates cette année, Rosalie Lavoie, du Cégep de Lévis…

Daniel Samson-Legault, Portail du réseau collégial

100 000 $ en frais de scolarité, en mentorat, en financement de stages, en frais d’hébergement, etc. 100 000$ pour continuer à être une citoyenne modèle. « C’est facile d’avoir le “syndrome de l’imposteur”. Est-ce que je la mérite cette bourse-là ? Mais autour de moi, tout le monde me dit OUI… »

Elle est un peu intimidée par mes questions et par mon appareil photo proche. Surprenant pour une fille qui fait du théâtre et qui chante, ce qu’elle fait depuis deux ans. « Le théâtre, ce n’était pas ma zone de confort ! », explique Rosalie Lavoie, qui vient de terminer son DEC en sciences de la nature au Cégep de Lévis.

« Je ne suis pas habituée à parler de moi. Habituellement, j’écoute. » Effectivement, son regard, droit dans nos yeux, est attentif et bienveillant. « Et les gens viennent me voir, me parlent… »

  Pour 2022-2023, la Fondation Boursiers Loran a fait 1604 entrevues virtuelles à travers le Canada. « En 34 ans, la Fondation Boursiers Loran a versé plus de 62 millions $ en bourses d’études de premier cycle. Par-delà les notes, nous sommes à la recherche d’étudiant·e·s engagés, à la forte personnalité, prêt·e·s à contribuer à rendre le monde meilleur. »  

Les rencontres forment la jeunesse

Écouter, c’est ce qu’elle fait notamment avec Gaétane, son amie qui habite une résidence pour personnes âgées (RPA). « J’ai fait la connaissance de Gaétane dans le cadre d’une activité intergénérationnelle organisée par mon école secondaire. Cela s’appelait “Jumel'âge”. J’allais discuter avec Gaétane une fois par mois au départ puis nous avons gardé contact à travers la Covid et la fin de mon secondaire. » Les deux ont développé une belle complicité, malgré des référents générationnels différents. « Tout peut se dire, toutes les questions peuvent être posées, mais il faut la bonne manière. Avec Gaétane, j’ai revécu sa vie, avec ses émotions. C’était beau. »

Au secondaire, elle organisait des levées de fonds pour la construction de puits en Inde. Elle s’est récemment impliquée dans la Nuit des sans-abris à Québec…

L’an dernier, elle a co-écrit, avec la troupe de théâtre du Cégep, 64, rue Alfred, une longue pièce inspirée du film Rear Window de Hitchcock, et joué deux rôles. Elle a écrit sur la co-habitation adolescente, sur l’alcoolisme dans une relation de couple, sur la solitude… « On n’est pas toujours conscients de ce que les gens vivent autour de nous ! »

De toutes ses activités, rémunérées ou bénévoles, elle parle d'abord, spontanément, des personnes. « J’aime rencontrer des gens qui pensent différemment que moi. J’aime comprendre comment les gens pensent. » Elle utilise souvent le verbe « aider », mais pense qu’aider ne se fait jamais à sens unique, que toutes les parties en bénéficient.

Leadership ou esprit d’initiative ? Les deux, dans le cas de Rosalie. « Il y a plusieurs sortes de leaders. Certains le sont par leur voix ou prennent plus de place. Moi, je suis plus derrière, j’assure les bonnes communications dans le groupe. Je m’arrange pour que tout le monde prenne sa place. Quand tout le monde est écouté, ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. »

« On n’est pas toujours conscients de ce que les gens vivent autour de nous ! »

L’énergie

Quand elle décide d’entreprendre quelque chose, elle fonce. Les difficultés ne lui font pas peur. « C’est mon père qui m’a donné cette énergie. Mon père m’a aussi transmis la passion du français, des langues et de l’écriture. Mes parents ont toujours cru en moi. Ils m’ont donné la force intérieure pour me dire ‘’J’suis capable de faire n’importe quoi si j’y mets le temps’’. Il n’y avait jamais de problème à voir plus grand. »

Elle aurait pu travailler n’importe où cet été. Pour pouvoir se louer un appartement, faire rouler une auto et devenir autonome, elle a choisi un poste payant mais difficile, et dans un milieu très bruyant. À l’usine Exceldor de Lévis, elle est sur le plancher, dans le secteur de l’éviscération des volailles, sur une chaîne rapide, et reçoit des particules de sang et de viscères qui volent un peu partout, « à longueur de journée ». Pas très girly comme occupation !

Exceldor reçoit des travailleurs guatémaltèques chaque année. « Quand je suis arrivée », dit Rosalie, « j’ai été formée en même temps qu’eux ». Plusieurs ne connaissent pas encore le français et le reste de l’usine ne maîtrise pas nécessairement l’espagnol. Sauf Rosalie. Elle a servi constamment d’intermédiaire et d’interprète et conçu des outils pour faciliter les communications, notamment des « mises en contexte » pour chaque poste de travail. Elle aide ses collègues pour toutes sortes de besoins. Du coup, elle s’est fait des amis-es et chaque semaine, sur Zoom, elle donne bénévolement des cours de français aux Guatémaltèques restés là-bas. À l’usine, à son contact et avec son aide, les contremaîtres se sont mis à l’espagnol !

L’effort et la « réussite scolaire »

Dès le primaire, elle était inscrite en sport-étude pour faire du patinage artistique, très coûteux pour ses parents. Une blessure l’a arrêtée ; elle ne le regrette pas, elle avait perdu la passion pour ce sport solitaire. En 6e année, elle est passée aux langues, l’anglais et l’espagnol. Au secondaire, c’est un programme de langues qui l’a fait opter pour le Collège de Lévis, une école secondaire privée.

Qu’est-ce que c’est, Rosalie, la réussite scolaire ? Qu’est-ce qu’un-e jeune devrait considérer pour évaluer sa réussite scolaire ? Des notes ? S’être bâti un réseau ? Avoir profité d’un milieu de vie ? « Je crois plus à quelqu’un qui bûche pour avoir 71 % qu’à un autre qui l’a facile à 90 %. » Son dossier scolaire n’était d’ailleurs pas si excellent. Elle a étudié fort, nonobstant tout son bénévolat. Elle n’a pas de si fortes notes, mais elle a bûché. C’est ce qu’elle désigne comme une « éthique du travail ».

Tout ne lui est pas facile. Les cours de sciences, de maths, de physique, de chimie, la font aussi sortir de sa zone de confort. Ce qui ne l’a pas empêché de faire ses études collégiales en sciences de la nature ! « Je me suis dit que les langues, par exemple, je les apprendrais par moi-même, parce que l’intérêt est là, ça me serait facile. Je voulais en profiter pour apprendre d’autres choses. » Et elle a connu aussi son lot de difficultés personnelles qu’il est difficile d’évoquer publiquement.

Comme l’été, le cégep est terminé pour Rosalie. Cet automne à l’Université de Montréal, elle vient de commencer un programme en ergothérapie. L’aide en santé l’intéresse beaucoup, et elle aimerait enseigner une discipline semblable par la suite.

Pour les 12 finalistes du Québec, les entrevues de sélection s’étaient déroulées à Toronto, sur trois jours, en février dernier. Et les cinq lauréates québécoises se sont retrouvées à nouveau à la mi-août pour une expérience de séjour en forêt. Des liens se sont tissés à travers le Canada. « Le système de cégeps est une bonne transition entre le secondaire et l’universitaire. En termes d’autonomie, surtout. Ailleurs, le passage entre le high school et l’université est plus difficile, à ce que j’ai vu. »