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Essai « C’est injuste ! »

Un regard sociologique sur les injustices climatiques

L’essai « C’est injuste ! », nouvellement paru aux éditions Écosociété, aborde la question de la répartition inégale des risques climatiques autour du globe. Dans cet ouvrage qui s'adresse aux jeunes adultes, Amélie Chanez et Anne-Marie Le Saux, autrices et enseignantes en sociologie au Collège de Maisonneuve, mettent en lumière les injustices environnementales produites par notre société de consommation, tout en proposant des pistes de solutions mobilisatrices.

Par Élise Prioleau, rédactrice, Portail du réseau collégial

Anne-Marie Le Saux, enseignante en sociologie au Collège de Maisonneuve
Amélie Chanez, enseignante en sociologie au Collège de Maisonneuve

D’emblée, Amélie Chanez et Anne-Marie Le Saux se penchent sur une question cruciale : le manque de repères provoqué par la perte de confiance dans les institutions politiques, scientifiques et médiatiques.

« On voit bien que dans les médias, il y a de nombreux discours contradictoires. On a voulu dépasser le cynisme ambiant en se positionnant dans une démarche de compréhension des injustices qui traversent notre société », explique Anne-Marie Le Saux. Bien documenté, l’essai propose une réflexion riche, inspirée par les écrits de sociologues tels qu’Ulrich Beck, Hannah Arendt et Marx.

Les autrices ont d’abord voulu expliquer à leurs étudiantes et étudiants comment les injustices sociales, économiques, culturelles, de genre et coloniales se reproduisent au cœur même de la crise climatique actuelle. « On ne respire pas tous le même air », évoquent-elles pour illustrer la répartition inéquitable des conséquences des changements climatiques au sein de la population.

À l’aide d’exemples concrets, Chanez et Le Saux montrent comment notre « société du risque » met davantage en péril les personnes dont les conditions de vie, de travail et de scolarité sont déjà précaires. Érosion des sols, canicules, eaux contaminées, feux de forêt : à l’échelle locale, nationale et internationale, ce sont surtout les populations paupérisées qui en paient le prix.

« Les industries polluantes sont situées d’une manière disproportionnelle à proximité des populations afrodescendantes, autochtones et marginalisées »[1], des populations pourtant sous-représentées dans les sphères décisionnelles, rappellent les autrices.

On voulait visibiliser certaines luttes locales, nationales et internationales, et montrer que les luttes convergent toutes vers un meilleur vivre ensemble, explique Anne-Marie Le Saux.

Mieux comprendre les actions militantes

« Notre livre pose la question : pourquoi y a-t-il des gens qui dénoncent les injustices climatiques ? Pourquoi des militants et militantes écologistes ont-ils escaladé le pont Jacques-Cartier le 25 octobre dernier ? Notre essai vise à sensibiliser nos étudiants et nos étudiantes aux raisons qui poussent des citoyens et citoyennes à agir et à réclamer une réflexion collective sur la crise climatique actuelle », explique Amélie Chanez.

Pour tenter de répondre à ces questions, l’essai est ponctué de quatre entrevues réalisées avec des personnes militantes engagées pour la préservation de l’environnement dans leur milieu. Par exemple, on y rencontre Jennifer Ricard, une membre du groupe Mères au front qui dénonce la pollution générée par la fonderie Horne à Rouyn-Noranda.

Des solutions aux enjeux climatiques existent. Elles sont portées par de nombreux groupes engagés dans leur milieu. « On voulait visibiliser certaines luttes locales, nationales et internationales, et montrer que les luttes convergent toutes vers un meilleur vivre ensemble », relate Anne-Marie Le Saux.

Parmi ces luttes, il y a notamment celle des Premières Nations, dont la relation bienveillante avec la nature et les animaux constitue une clé pour parvenir à habiter la terre de façon plus responsable. « Tous les mouvements antispécistes, écocentristes et les luttes des Premiers Peuples ont en commun de vouloir redéfinir les relations en élargissant la communauté morale par-delà l’humain.e »[2], peut-on lire dans l’essai.

Le mode de production capitaliste

Si l’essai C’est injuste ! met l'accent sur les solutions, les autrices n’hésitent pas à pointer du doigt la société de consommation comme cause première des crises environnementales. « À travers les entrevues réalisées avec des personnes engagées, on s’est rendu compte que toutes les luttes convergeaient vers une critique du capitalisme. La manière d’habiter la planète qui s’est mise en place à travers le colonialisme et la mondialisation nous impose une pensée unique. Un récit qui légitimise des rapports sociaux et environnementaux de domination. Nous en appelons à la création d’un autre récit, un récit collectif, pour habiter la planète de façon plus équitable », plaide Amélie Chanez.

La valorisation de la consommation à outrance, propre au récit capitaliste, est visible partout. Les jeunes adultes retrouvent ces modèles consuméristes en grande partie sur les médias sociaux. Les autrices citent notamment le rituel de l’« unboxing », qui met en scène un individu qui déballe un produit de consommation.

« Nous avons voulu susciter une réflexion chez les jeunes sur leur propre rapport à la consommation. Ils et elles ne sont pas conscients du paradoxe qui existe entre leur consommation de biens et leur volonté, par exemple, de protéger l’orang-outang en signant une pétition », évoque Amélie Chanez.

« Combien de planètes faudrait-il si tout le monde vivait comme vous ? ». Les autrices posent cette question à leurs lecteurs et lectrices en les invitant à se rendre sur le site footprintcalculator.org, qui permet aux internautes de calculer leur empreinte écologique réelle.

Nous en appelons à la création d’un autre récit, un récit collectif, pour habiter la planète de façon plus équitable, plaide Amélie Chanez.

Agir ensemble pour le monde de demain

En conclusion, les autrices soulignent l’importance d’une convergence des luttes pour le climat.

« Les luttes environnementales sont souvent réalisées en silo, de manière séparée. D’un côté, nous avons des gens qui luttent pour la préservation d’un espace naturel; d’un autre côté, il y a les Premières Nations qui militent pour la préservation de leur culture. Ça nous apparaissait important de montrer que toutes ces luttes sont liées », explique Amélie Chanez.

Les enseignantes de sociologie en appellent à une collaboration intergénérationnelle et interculturelle pour relever les défis du 21e siècle. « Comment faire pour converger vers un monde commun malgré et à travers nos différences ? La crise climatique, c’est l’enjeu du siècle. L’action collective est fondamentale si l’on veut construire un autre récit, une autre manière d’habiter la planète », conclut Anne-Marie Le Saux.

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[1] Chanez, Amélie et Anne-Marie Le Saux. 2024. C’est injuste ! Pourquoi les changements climatiques n’ont pas les mêmes effets sur tout le monde, Écosociété, coll. Radar, p.50.

[2] Chanez, Amélie et Anne-Marie Le Saux. 2024. C’est injuste ! Pourquoi les changements climatiques n’ont pas les mêmes effets sur tout le monde, Écosociété, coll. Radar, p.80.

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Pour aller plus loin

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