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Vague de cours en ligne

Splendeurs et misères de l’éducation à distance

Les confinements liés à la pandémie récente, et les infrastructures qui ont été mises en place, ont exalté la tentation de développer des cours en ligne et hybrides, autant au collégial qu’à l’université. Pour le meilleur et pour le pire. Une réflexion sur ces enjeux doit dépasser largement la question de l’accessibilité aux études. Un balisage serait urgent, pour les cours synchrones notamment.

Par Daniel Samson-Legault, Portail du réseau collégial

L’enseignante s’installe, l’heure du cours va commencer. En face d’elle, la moitié du groupe étudiant attend. L’autre moitié arrive en ligne : une par une, les fenêtres s’ouvrent. Elles sont parfois noires, ou laissent apparaitre des visages mal éclairés pour la plupart. Un mange, une autre est visiblement occupée sur un autre clavier. Derrière un visage, parfois un colocataire passe avec sa bière dans les mains ; il n’a pas de cours aujourd’hui, lui, et en profite pour venir taquiner l’étudiant devant son portable. Heureusement que la plupart des micros sont fermés, ce que demande l’enseignante à répétition, car lorsqu’elle interpelle quelqu’un et qu’il ouvre le sien, on entend de la musique comme s’il était dans une discothèque. Quant à elle, l’enseignante ne doit pas trop bouger, car si elle sort du champ de la caméra, on ne la verra plus, en ligne. Et si un étudiant a de la difficulté à se brancher, elle est supposée l’aider, ou faire appel à un soutien informatique... qui ne répond pas toujours rapidement pendant que le groupe attend, et restée concentrée sur la matière. Histoires vécues, hélas.

Le consensus est grand : l’enseignement à distance a toujours été célébré pour son immense potentiel. Depuis longtemps, on sait que la technologie permettrait un jour de prodiguer un enseignement à distance. La récente crise sanitaire a obligé en même temps que permis de faire un immense pas dans cette direction. Portables et ordinateurs sont de plus en plus accessibles comme le service Internet. La littératie numérique augmente sans cesse et, surtout, les institutions se sont adaptées, tant bien que mal dans l’urgence, à organiser ce nouveau mode d’enseignement. Accessibilité, flexibilité, confort, économies : il n’y a pourtant pas que des avantages. Une réflexion sur ces enjeux doit dépasser largement la question de l’accessibilité aux études.

Anne-Louise Goncalves-Fonseca, enseignante de français et de littérature au Collège de Rosemont: « La tentation est particulièrement grande au secteur de la formation continue, où les enseignants (pour compléter leurs tâches et leur statut précaire) autant que les étudiants travaillent ailleurs le jour. »

Manque de locaux, recrutement pour compléter des groupes, flexibilité pour des étudiants éloignés physiquement ou qui travaillent à temps plein : plusieurs raisons sont invoquées pour continuer l’enseignement à distance. Y compris la compétition entre établissements pour attirer de nouvelles clientèles.

Une pluie d’enjeux

Devant la demande d’ouvrir les caméras, des étudiants-es invoquent parfois le droit à la vie privée, qui se pensent souvent devant Netflix ou qui vaquent à d’autres occupations, parfois même avec leur caméra ouverte ! Les consignes disciplinaires sont-elles obligatoires ou facultatives ? Qui donc est derrière cette fenêtre ? Qui sera sujet à évaluer et créditer ? Est-ce équitable pour des étudiants d’une région où l’Internet à haute vitesse, essentiel pour plusieurs cours, n’est pas disponible ? Est-il correct pour leur santé que les étudiants passent encore plus de temps devant un écran ? Les enseignants peuvent-ils être laissés seuls avec cette surcharge de travail faite du remodelage incontournable de cours ? Les étudiants considérant souvent les enseignants comme leur guichet unique face à l’institution, le soutien technologique minimal est-il garanti pour chaque heure de cours ? Ou s’attend-on que chaque enseignant soit un informaticien à temps partiel ? Etc.

Les conditions d’enseignement à distance sont extrêmement disparates.

Il faut une bonne dose d’autonomie et de discipline individuelle pour réussir des études à distance, rappelle Steve Bissonnette, professeur à la TÉLUQ et spécialiste du téléapprentissage, qualités que les jeunes n’ont pas tous. Il rappelle que « tous les pays ont observé que pendant la pandémie, les écarts entre les élèves forts et les élèves faibles se sont accentués ». Mme Goncalves-Fonseca remarque : « au collégial, il faut encadrer beaucoup, plus qu’à l’université, parce qu’ils sont plus jeunes. »

Contrairement à d’autres aspects de l’enseignement, les prestations à distance ou hybrides sont très peu conventionnées, et se négocient à la pièce, établissement par établissement, parfois enseignant par enseignant et cours par cours.
Les conditions d’enseignement à distance sont extrêmement disparates. La Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ), quant à elle, demande que Québec balise les conditions de cet enseignement à distance, et interpelle la nouvelle ministre. « On a des positions précises mais nuancées au sein de la Fédération concernant l’enseignement à distance », dit son vice-président Yves de Repentigny. « Les conditions d’apprentissage étudiant vont de pair avec les conditions de travail. »

Un autre aspect dangereux du phénomène passe sous le radar. Dans la genèse des cégeps, le rapport Parent prédisait avec justesse que « les villes et les municipalités où seront situés les instituts [le nom préliminaire des cégeps] bénéficieront largement de l'apport culturel et économique que représentera pour elles cet afflux d'étudiants, jeunes et adultes, de professeurs, de même que toute l'activité dont l'institut sera le centre ». (Rapport Parent, tome 5, p.157) L’enseignement à distance peut favoriser l’installation en régions, mais des étudiants qui se branchent sur des collèges urbains, à l’offre de cours et aux moyens de recrutement plus grands, pourraient très bien contribuer, à leurs dépens, à terme, à la faillite des collèges en milieux semi-ruraux ou moins densément peuplés.