Articles

L’éducation financière des jeunes

« On n’est pas au casino »

Novembre, depuis 2011, est le mois de la littératie financière. Dans notre portefeuille pédagogique, on possède Bourstad, une plateforme de simulations boursières où on gère un investissement de 200 000 $ pour un client fictif afin de s’acclimater au monde de l’économie et de la finance.

Olivier Veilleux-Spénard, Portail du réseau collégial

« Les marchés financiers réagissent à tout », nous dit Paul Bourget, fondateur et directeur Bourstad depuis 1987. Il rédige hebdomadairement une chronique passant en revue les marchés financiers, diffusée aux des détenteurs de comptes. « Géopolitique, inégalités sociales, ce que font les gouvernements ou ce qu’ils ne font pas, tout ça a une incidence sur les marchés. »

Paul Bourget

Paul Bourget, enseignant retraité du Collège de Rosemont, constatait une lacune persistante en éducation financière chez les étudiants-es québécois-es. Pourtant, notre bas de laine commun géré par la Caisse de dépôt et placement y est placé, fait-il remarquer. « Beaucoup d’étudiants qui s’intéressent à la bourse ont déjà acheté des cryptoactifs, mais la plupart sont incapables de transiger sur un marché de valeurs sécuritaires. »

Le portrait financier des 18 à 44 ans au Québec, mené auprès de 1000 participants par WelcomeSpaces, est en effet peu reluisant. Dans les résultats, 80 % des répondants considèrent insatisfaisante l’éducation financière qu’ils ont reçue à l’école.

L’activité pédagogique

Véritable activité pédagogique à géométrie variable, la plateforme peut être utile tant au secondaire qu’au collégial et à l’université.

Hébergé sur le site du CIRANO, Bourstad se décline en trois volets, le premier, Performance financière, est basé sur l’évolution de la valeur du portefeuille de courtage. Le deuxième volet tient compte de la Gestion de portefeuille, c’est-à-dire la collecte et l’analyse des informations utilisées pour justifier les transactions. Depuis 2005, il a un troisième volet, l’Investissement responsable, qui prend en compte les risques extrafinanciers liés à l’environnement, aux enjeux sociaux et à la gouvernance. Un volet Performance globale couronne le tout.

Est-ce que Bourstad est sous-exploité par nos institutions d’éducation ? M. Bourget est catégorique : « Oui. Si depuis 37 ans, nous avons rejoint environ 100 000 étudiants, c’est très peu si on regarde le nombre total d’étudiants qui a passé dans le système éducatif. »

L’Association professionnelle des professeurs et professeurs en administration au collégial (APPAC), qui promouvait l’activité avant la pandémie, annonce sur sa page Facebook de l’APPAC le retour de son colloque en janvier 2024.

« Depuis 37 ans, nous avons rejoint environ 100 000 étudiants, c’est très peu si on regarde le nombre total d’étudiants qui a passé dans le système éducatif. » Paul Bourget

Pour l’édition 2024 de Bourstad, 55 écoles sont déjà inscrites et M. Bourget croit se rendre à 125. « On peut participer à Bourstad en parascolaire, dans un cours d’économie, de finance, d’administration des finances personnelles, ou encore de façon librement ».

En survolant la liste des gagnants de l’édition 2023 de Bourstad, on voit que le Collège de Bois-de-Boulogne est surreprésenté par 10 des 14 gagnants. Ce succès, Tiago Rubin, professeur d’économie, n’y est pas étranger. Il explique ces résultats par le nombre de participants que le collège réussit à faire participer. Le Collège en fait d’ailleurs la promotion via son intranet.

« Depuis la pandémie, on a une centaine d’étudiants qui s’inscrivent ». De ce nombre, la moitié des participants à Bourstad au Collège Bois-de-Boulogne le font librement tandis que l’autre moitié le font de façon plus encadrée dans les cours préuniversitaires en économie de Tiago Rubin.

Tiago Rubin

« J’utilise les ressources de Bourstad pour parler d’économie, de politique, de finance et d’actualité. Nous apprenons d’abord les bases pour ensuite aborder des concepts davantage macroéconomiques comme l’influence des taux d’intérêt sur le marché. »

Le coach

M. Rubin raconte. Certains de ses étudiants, surtout des garçons plus parieurs, pensent pouvoir battre les marchés en faisant beaucoup de transactions plusieurs fois par jour. Mais la réalité a vite fait de les rattraper. Un étudiant a notamment perdu 75 % de son portefeuille fictif en une semaine l’année dernière. Il a réalisé à la dure que ce n’était pas aussi facile que certains Youtubeurs le prétendent. Selon Tiago, pour eux, c’est une belle leçon d’humilité. « Ceux qui aiment parier réalisent que c’est plus facile de perdre que de gagner. Ce n’est pas un casino. »

Au casino, la maison gagne toujours, dit-on. « Il n’y a pas de “cheat codes” à la bourse », nous rappelle le professeur d’économie, parlant d’astuces comme on en trouve dans les jeux vidéo.

« Et parfois, une transaction payante ne veut pas dire que tu es un génie ! C’est peut-être seulement du hasard. » Ce n’est pas que le rendement financier qui détermine si une décision est bonne ou mauvaise. 

Tiago Rubin trouve intéressant de voir les étudiants découvrir une multitude de règles complexes régissant la bourse. Par exemple, certains s’inquiètent de ne pas voir immédiatement les résultats de leurs transactions, pour ensuite réaliser que la bourse n’est ouverte que de 9 h 30 à 16 heures. L’activité comporte aussi un travail clérical, comme convertir des devises étrangères ou calculer des taux d’intérêt. 

« Ceux qui aiment parier réalisent que c’est plus facile de perdre que de gagner. Ce n’est pas un casino. » Tiago Rubin

Quand il entame Bourstad avec ses groupes, M. Rubin dit se sentir davantage comme un coach que comme un évaluateur. « Avec Bourstad, tu es dans le vrai monde. Ce n’est pas moi qui les évalue ; les étudiants et moi, on est ensemble à tenter de placer de l’argent à la bourse. »

Le prof y va d’une mise en garde : « Pour gagner à Bourstad dans le volet Performance financière, tu dois prendre des risques qu’on ne devrait pas prendre dans la vraie vie. »

Dans ses cours, Tiago Rubin visite les trois volets : Performance financière, Gestion de portefeuille et Investissement responsable. Ce dernier requiert la lecture de comptes rendus d’entreprises et de palmarès de compagnies écoresponsables.

Différentes valeurs

« J’encourage les étudiants à faire de l’argent, tout en prônant des valeurs qui leur tiennent à cœur. » Avec les deux derniers volets, Tiago Rubin apprécie le fait d’aller plus loin que les clichés attachés à la bourse. « On pense à tort que la bourse, c’est juste un casino, qu’il faut être égoïste, impulsif. Au contraire, il faut réfléchir à nos valeurs ou à celles de nos clients. »

Il constate un grand intérêt pour les entreprises qui prônent la diversité et l’inclusivité dans la prise de décision de ses étudiants, issus majoritairement de l’immigration.

« Les étudiants aiment les vrais défis qu’offre Bourstad. Le fait qu’il n’y a pas de questions et réponses définies, moi j’aime ça ! » Bourstad fait appel à la pensée critique des participants et à la compréhension de la société dans laquelle ils doivent naviguer.  

« Il n’y a pas de “cheat codes” à la bourse » Tiago Rubin

Tiago Rubin ne tarit pas d’éloges envers Bourstad. Lui-même dit avoir appris à démystifier les arcanes boursiers en même temps que ses étudiants lorsqu’il a introduit Bourstad dans ses cours. Et récemment, il a beaucoup appris au sujet de l’investissement responsable et des facteurs ESG.

C’est d’ailleurs la mission de Bourstad « que ce soit une activité pédagogique à la fois pour l’étudiant et pour l’enseignant », nous dit M. Bourget.

L’élève

À la dernière édition de Bourstad, Georges Lantagne, étudiant en Sciences, lettres et arts, fut le lauréat du grand prix collégial du volet Gestion de portefeuille ainsi que du grand prix national collégial du volet Performance globale, pour une bourse totale de 2 000 $.

Les propos de Georges font échos à ceux de MM. Bourget et Rubin. Comme d’autres jeunes, il avait un intérêt pour le monde de la bourse, mais n’en savait rien avant de s’assoir dans un cours de Tiago Rubin. « J’étais vraiment content d’avoir cette opportunité d’apprentissage pratique à ce moment-là dans mon parcours. Surtout que je n’ai pas 200 000 $ à investir. »  

En participant à Bourstad, il a vu que le système était plus compliqué de ce qu’il pensait. « Quand tu commences, tu t’aperçois que le marché est volatil et difficile à lire. »

Il explique son succès en grande partie par l’accompagnement de son prof qui leur a appris à bien lire les ressources de Bourstad et autres documents significatifs. Pour pallier le décalage de 15 minutes sur Bourstad entre le prix réel et le prix affiché, il a conçu un tableau Excel pour éviter une fluctuation entre temps d’achat et temps de vérification. Malgré les heures de recherche investies dans Bourstad, Georges dit avoir bien géré son temps d’étude pour ses autres cours.

Les gagnants de l'édition 2023 provenant du Collège de Bois-de-Boulogne.

 Les gagnants de l'édition 2023 provenant du Collège de Bois-de-Boulogne. 

Georges investira son 2000 $ à la vraie bourse. Il se sent mieux outillé pour le futur : « Maintenant, j’ai appris les bases qui vont me permettre d’apprendre de nouvelles choses. » On sent son enthousiasme. « J’ai vraiment eu du fun. Je ne prenais presque pas de notes, ça rentrait tout seul. On apprend mieux avec un prof passionné et M. Rubin est le meilleur prof que j’ai eu au Cégep, de loin. »

L’avenir

M. Bourget affirme travailler sur une meilleure intégration de l’investissement responsable aux simulations Bourstad. Il souhaite communiquer de l’information au sujet des facteurs ESG en entreprise à même la plateforme. Mais ce pointage ESG a encore besoin de standardisation. « Pour le moment, il y a un certain nombre d’entreprises qui fournissent des évaluations ESG, mais ce n’est pas au point. »

M. Bourget nous confie être en pourparlers pour revaloriser la participation à l’échelle institutionnelle, mais ne peut nous en dire plus pour le moment.

Le secret pour gagner à Bourstad ? « La vraie réponse : aucune idée ! En revanche, il faut gérer sa relation au risque de façon très sérieuse », nous dit Tiago.

Pour M. Bourget, combiner les trois volets offre un apprentissage riche et pratique. « Ne s’intéresser qu’au volet de la performance est une erreur. »