Articles
Dernier membre de la commission Parent encore vivant
Les cent ans de Guy Rocher, héritage et vision de l’enseignement supérieur
La Fédération des cégeps et l’Université du Québec ont souligné conjointement les cent ans de Guy Rocher le 18 avril 2024 par l’organisation du colloque Les cent ans de Guy Rocher, héritage et vision de l’enseignement supérieur. Durant la journée, quatre conversations préenregistrées entre Guy Rocher et son biographe, Pierre Duchesne, ont été présentées. Le Portail a retenu des extraits des propos du dernier membre de la commission Parent encore vivant.
Note : Les quatre vidéos sont disponibles sur le site de la Fédération des cégeps; le Portail a transcrit le verbatim pour conserver l'authenticité.
Parmi les innovations du rapport Parent, pourquoi la création des cégeps ?
Je pense qu’au point de départ, notre objectif établi par la commission, c’était d’en arriver à promouvoir l’égalité d’accès à l’enseignement pour tous et toutes sur tout le territoire du Québec. Cet objectif explique tout le rapport Parent. C’est le résumé du rapport Parent. C’est le cœur du rapport Parent. C’est sa motivation. Et donc, ça voulait dire pour arriver à réaliser un tel objectif qu’il fallait bouleverser, renverser les institutions existantes qui avaient été prévues dans une société inégalitaire. Le Québec avait un système d’éducation qui favorisait une élite aux dépens de la majorité. Et plus de ça et à cause de cela aussi, il y avait une trop grande proportion des Canadiens français qui étaient mal éduqués, sous-scolarisés. Donc, il fallait faire quelque chose et mettre en place de nouvelles structures. Et parmi ces nouvelles structures, il y avait bien sûr la polyvalente, qui a permis à beaucoup de jeunes de poursuivre au secondaire, parce que, avant 1960, tout le secondaire était privé. C’est quand même incroyable quand on voit ça aujourd’hui. À l’époque, les commissions scolaires n’avaient le droit d’ouvrir que des écoles primaires à travers tout le Québec. Et le secondaire, c’était privé. La polyvalente, pour la première fois, ouvrait des écoles publiques sur tout le territoire du Québec. Et là, il s’agissait de savoir ce que nous devions faire après le secondaire. Est-ce que l’on entre directement à l’université ?
Le problème du passage à l’université
Nous avons eu l’occasion d’en parler souvent : dans l’Ouest canadien, en Ontario, aux États-Unis, du problème du passage du high school à l’université. Partout dans le Canada anglais et aux États-Unis, on nous disait : c’est un passage difficile, l’université n’est pas bien équipée pour accueillir des étudiants qui arrivaient du high school. À l’université, nous ne sommes pas des éducateurs, nous sommes des professeurs. Ce n’est pas la même chose. On est des scholars, on n’est pas des teachers.
Et donc, on a eu cette idée qu’il faut peut-être un niveau intermédiaire entre la fin du secondaire et le début de l’université, qui permettrait à ce moment-là une meilleure transition entre le secondaire et l’université. Et on a eu l’idée de faire de ce niveau intermédiaire, en même temps, une préparation au marché du travail pour les garçons et les filles qui n’allaient pas à l’université.
Le modèle des community colleges
Nous avons trouvé un modèle pour cela : en Californie, il y avait les community colleges. En Californie, ces établissements ne sont pas très bien vus. Ce n’est pas une institution de prestige. Mais c’est une institution qui permet à des jeunes de passer du secondaire à l’université en transition et, en même temps, le community college a des options professionnelles, de sorte que les gars et les filles qui ne veulent pas aller à l’université peuvent avoir accès au marché du travail. C’est le modèle que l’on a utilisé en se disant : voilà, c’est peut-être la solution que de créer ce niveau intermédiaire.
Ce que l’on voulait, c’était que ce niveau soit très flexible, soit souple, pour que les jeunes puissent changer leur programme en cours d’études, pour favoriser justement les réorientations. C’était ça notre projet.
Accessibilité et démocratisation, des concepts clés du rapport Parent
Accessibilité et démocratisation sont les deux concepts de base du rapport Parent. L’accessibilité pour tous, pour nous, c’était fondamental. Elle s’appelait la démocratisation en même temps. Que toutes les institutions d’enseignement deviennent publiques, qu’elles passent du privé au public. C’était très important. Que les institutions d’enseignement publiques soient gratuites. C’était très important aussi pour nous. Et que les institutions d’enseignement soient mixtes, pour garçons et filles. C’étaient trois grands changements qui se sont produits à la suite du rapport Parent. C’était dans le rapport Parent, mais le rapport s’est réalisé plus tard. Ceux qui ont pris en charge la mise en forme du rapport Parent ont cru et visualisé les cégeps.
Trois années qui ont changé le Québec
Dans l’histoire du Québec, il y a trois années qui, à mon avis, ont tout changé le Québec. Ce sont 1967, 68, 69. C’est pendant ces trois années que les premiers cégeps ont été créés. Les trente premiers cégeps à partir des collèges classiques et des écoles normales. On ne partait pas de rien. On partait des institutions qui existaient déjà, mais on les transformait de privé et elles devenaient publiques; de séparées, elles devenaient mixtes; et de payantes, elles devenaient gratuites. C’est un grand changement.
Et en 1969, le gouvernement du Québec a créé l’Université du Québec à Montréal (l’UQAM), mais aussi Trois-Rivières, Rimouski, Chicoutimi. C’était le début. Ces trois années pour moi sont des années qui ont vraiment tourné le Québec et ont créé notre enseignement supérieur. C’est vraiment là qu’à ce moment-là, à la suite du rapport Parent et tel que l’avait proposé le rapport, le gouvernement de l’époque, le ministère de l’Éducation, le premier ministre de l’époque ont mis en application ce que nous avions pensé. Bien sûr, grâce aux comités qui ont été créés, parce que pour mettre en application le rapport Parent, Paul Gérin-Lajoie d’abord et, par après, ceux qui lui ont succédé ont mis en place des comités pour créer les cégeps, pour créer l’UQAM et les autres universités. Et là, il y a eu un apport extraordinaire pour la mise en pratique concrète de ce qui avait été pensé par la commission Parent. Et en s’inspirant de la commission Parent, ils ont vraiment concrétisé le modèle. Et d’une manière qui a été vraiment le départ d’un nouveau Québec.
Les femmes, les grandes gagnantes de la réforme
Les femmes ont été peut-être les grandes gagnantes de la réforme. Les femmes, mais aussi les garçons de milieux plus modestes, certainement. Et les garçons et filles des régions. C’est les trois grands gagnants. Mais, les filles, certainement. Cette réforme a été un des grands changements du Québec. L’accès des femmes à la vie politique, à la vie économique, à la vie culturelle. La montée des femmes au cours des cinquante dernières années est extraordinaire. Il y une révolution féminine, on peut dire féministe si on veut. On a assisté à une transformation du monde féminin et son accès à des postes supérieurs. Des femmes sont devenues recteurs et rectrices; des femmes sont devenues ministres et première ministre. Et dans le milieu des affaires, les femmes sont très présentes. Donc, ça, c’est un grand changement. Un changement pour les femmes, un changement pour la vie familiale et aussi un changement pour l’avenir des jeunes femmes d’aujourd’hui.
L’avenir de l’enseignement supérieur
Je pense que, pour le moment, l’enseignement supérieur est engagé sur une voie étonnante. Il faut continuer. Je pense que le premier défi, c’est de plus en plus d’élargir l’accès à l’enseignement supérieur pour tous. Parce que ce n’est pas fait complètement : il y a des milieux qui ont moins accès au cégep et surtout à l’université. Et il y a donc encore une démocratisation qui devrait être en cours, qui doit être en cours.
Reconnaître les cégeps et l’Université du Québec
Et puis je dirais, deuxièmement, qu’il serait important de reconnaître les cégeps et de reconnaître l’Université du Québec. Les cégeps et l’Université du Québec, ce sont deux trésors de notre société québécoise. Et je trouve que l’on n’y fait pas assez attention. On ne les finance pas comme on devrait les financer, à mon avis. Et surtout, on ne leur accorde pas la valeur culturelle, politique et économique qu’elles ont ces institutions. Moi, ça m’a toujours ébloui quand je suis allé en région de voir l’incarnation du cégep dans son milieu, que ce soit en Gaspésie, que ce soit en Abitibi. C’est extraordinaire, cette incarnation. Et donc, le cégep et l’Université du Québec est un milieu de plus en plus de bouillonnement culturel et de développement d’initiatives économiques.
Une nouvelle classe sociale en région : les enseignants
Ce qui, je pense, a changé bien des régions, c’est le fait que les cégeps et les campus universitaires ont amené dans les régions des enseignants de l’enseignement supérieur. C’est une classe sociale qui n’existait pas en 1950. La classe des enseignants. Et je l’ai dit à plusieurs reprises, ça m’a toujours frappé comment la classe des enseignants s’est développée au Québec, comme ça, pour remplacer les curés et les religieuses. Là, on a une classe d’enseignants qui s’est développée et qui est un moteur de développement culturel et économique dans les régions, que ce soit une région comme même l’Assomption — j’ai assisté à la transformation de la région à cet égard —, l’arrivée de tout ce personnel enseignant. Et c’est la même chose si on va en Gaspésie ou en Abitibi. Ça, c’est un phénomène très important qui fait que l’on doit valoriser ces enseignants.
La fierté
Question de Pierre Duchesne : Pensiez-vous vous imaginer qu’il y aurait autant de cégeps un peu partout sur le territoire québécois et que le réseau de l’UQ serait aussi développé qu’il l’est actuellement ?
On pouvait penser que ça irait aussi loin. Mais c’était notre objectif. C’était vraiment notre objectif. Je vous dirais personnellement que la réalisation de cet objectif est allée au-delà de notre perception à l’époque, de ce que nous pouvions rêver, je dirais. Au cours des cinquante dernières années, par exemple, on a bonifié les cégeps, on a anobli les cégeps en quelque sorte en disant que les cégeps font partie de l’enseignement supérieur. Ce n’était pas dans le rapport Parent. Le rapport proposait que ce soit un niveau vraiment intermédiaire, mais indépendant, que le postsecondaire soit différent du secondaire et différent de l’université. Et on pensait que pour qu’il s’installe comme il le faut, il fallait qu’il soit vraiment indépendant. Et donc on ne voulait pas qu’il soit sous l’aile de l’université.
« C’est allé plus loin que ce l’on pensait. »
Mais le cégep s’est beaucoup développé, avec des succursales et avec des options professionnelles que les directeurs de cégep et les professeurs de cégep dans chaque région ont imaginées et mises en place. Et l’Université du Québec s’est développée sur tout le territoire du Québec. Donc, c’est allé plus loin que ce l’on pensait. C’était notre espoir, mais on n’aurait pas rêvé tant que ça.
Si j’ai une raison d’être fier, c’est, je pense, de constater qu’au cours des cinquante dernières années, il y a des garçons et des filles qui ont eu accès à l’enseignement supérieur auquel ils n’avaient pas droit avant les années soixante. C’est un grand changement. Et je pense que la santé économique du Québec ne serait pas ce qu’elle est si on n’avait pas fait cette transformation. Nous étions destinés en 1960 à une sorte de colonie — au sens propre du terme —, une colonie d’intérêts économiques étrangers. On fournissait la main-d’œuvre à des entreprises étrangères. Eh bien, le grand changement : on a pris en charge notre économie parce que, tranquillement, on a eu la main-d’œuvre technique et éduquée pour prendre en charge notre économie, pour prendre en charge notre vie culturelle de plus en plus. Et c’est de ça dont je peux être le plus fier.
Des autorités portées vers l’avenir
À ceux-là qui ont une autorité importante dans les cégeps et les universités, je commence par leur dire : je les aime. Je les aime à cause de la grande responsabilité qu’ils ont de diriger des institutions de haut savoir qui sont si importantes pour le Québec, si importantes pour l’avenir de notre société. Et je les aime parce qu’ils sont les successeurs de ce qui a été fait jusqu’ici et je vois que l’on continue. J’ai assez compris les autorités des cégeps et des universités pour voir qu’ils se portent vers l’avenir. À ce sujet, je leur dirais cependant : votre responsabilité, c’est de prendre bien soin de votre personnel enseignant et de tout le personnel.
Il faut prendre soin du personnel
Qui fait l’université ? Ce sont les professeurs. Qui fait les cégeps ? Ce sont les professeurs et le personnel qui travaille avec les professeurs. Ce sont eux qui font les cégeps. Et donc, en tant qu’autorité, vous avez une grande responsabilité de prendre soin de ce personnel. Je pense financièrement, bien sûr, mais aussi d’assurer que les conditions de travail soient des conditions favorables à la vocation de nos institutions d’enseignement supérieur, c’est-à-dire la recherche de la vérité et la transmission de la vérité. C’est ça l’enseignement supérieur.
Être en marche
C’est là que loge l’idéal d’une société, l’idéal de la connaissance et l’idéal de l’avenir qui est en marche. Et comme on le sait — vous le savez aussi bien que moi et mieux que moi —, le développement scientifique et le développement technique et technologique sont en marche. On n’y peut rien. Et donc nos institutions d’enseignement supérieur doivent aussi être en marche dans le progrès des connaissances de pointe. Et cela est très important, autant pour les cégeps que pour les universités, d’être en marche avec les grands développements de la technologie et de la science moderne.