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Benoît Lacoursière, nouveau président de la FNEEQ

Lutter contre la déshumanisation, c’est le cheval de bataille de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN) au sortir de son 34e congrès. Et son nouveau président, Benoît Lacoursière, abonde en ce sens : « L’humain doit être au cœur des systèmes d’éducation et d’enseignement supérieur. » 

Par Thérèse Lafleur, rédactrice

« L’environnement, la discrimination et l’égalité des droits représentent aussi des enjeux majeurs pour la FNEEQ », ajoute-t-il avec conviction. En confiant la présidence à Benoît Lacoursière, les membres ont choisi un homme profondément engagé pour mener à bien leurs recommandations. Son parcours est révélateur en ce sens.

« Je milite depuis 25 ans. J'ai commencé dans le journal étudiant au cégep et dans les associations étudiantes à l’université. Dans le cadre de ma maîtrise en science politique à l’UQAM, je me suis intéressé aux mouvements sociaux, et particulièrement au mouvement étudiant québécois. Après mes études, je me suis impliqué dans des groupes communautaires. En 2008, le Collège de Maisonneuve m’a engagé comme professeur de science politique. Assez rapidement, les affaires syndicales du personnel enseignant m’ont interpellé. En 2012, après les mouvements engendrés par la grève étudiante, j’ai été élu vice-président du syndicat local, puis président en 2013. C’est en 2018 que je suis devenu secrétaire général et trésorier de la FNEEQ. Après six ans dans cette fonction, je me suis présenté à la présidence de la Fédération à l’annonce du départ de Caroline Quesnel. »

Monsieur Lacoursière est à la tête de l’organisation syndicale la plus représentative de l’enseignement supérieur. La FNEEQ regroupe près de 35 000 membres dans 45 syndicats de cégeps, 43 syndicats d’établissements d’enseignement privés et 13 syndicats d’établissements universitaires.

Être humain, le thème du congrès 2024, a inspiré un certain nombre de pistes d'action pour 2024-2027. Monsieur Lacoursière amorce donc son mandat avec pour objectif de mettre en œuvre les recommandations adoptées.

Baliser le recours aux technologies

« Il y a un recours abusif aux technologies en éducation et en enseignement supérieur. Et les cégeps ne font pas exception, qu’on parle d’enseignement à distance ou, maintenant, d'intelligence artificielle », explique monsieur Lacoursière.

« Les membres de la FNEEQ craignent la déshumanisation de l’enseignement, la perte des relations humaines qui sont fondamentales dans la relation pédagogique, comme si toutes les tâches des professeurs.es pouvaient être effectuées par une machine. Tant au niveau national et gouvernemental que dans les établissements, il faut baliser ensemble le recours aux technologies. »

Collaborer pour coordonner

À la suite des travaux menés lors de la dernière convention collective, un constat s’est imposé. Il faut qu’une coordination provinciale supervise le développement des programmes et le recours à l’enseignement à distance : « Sinon, chacun fait ce qu’il veut, des disparités peuvent être créées. Cela peut aussi nourrir un esprit de concurrence entre les établissements. Ce n'est pas sans incidence sur les conditions de travail et sur les conditions d’apprentissage, d’où l’intérêt, tant sur le plan local que national, de se parler. »

Améliorer en continu

La nouvelle convention comporte des éléments qui vont améliorer les conditions de travail, notamment celles du personnel enseignant à statut précaire. Cependant, la FNEEQ demeure vigilante à certains égards. Par exemple, en soins infirmiers, des ententes locales permettent maintenant aux professeurs.es de superviser des stages la fin de semaine. Monsieur Lacoursière signale que « Ce projet pilote est vraiment circonscrit à des besoins précis. Ce n’est pas une manière de compenser les lacunes du système de santé en envoyant des stagiaires la fin de semaine. »

Réfléchir aux alliances

Pour ce qui est de la négociation des salaires, rappelons que des fronts communs sont en place depuis plusieurs années à la table centrale. À la table sectorielle, les syndicats de professeurs.es du collégial se sont alliés en 2015, puis encore lors de la dernière négociation.

A priori, le bilan est positif selon monsieur Lacoursière : « Évidemment, notre première alliance, c’est avec la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Nous avons négocié conjointement avec la Fédération de l’enseignement collégial de la Centrale des syndicats du Québec (FEC-CSQ). Nous avons fait front commun et nous voulons approfondir notre réflexion sur ces alliances. Pour nous, c’est important de montrer un front unitaire pour obtenir des conditions comparables d’une organisation à l’autre. » 

Valoriser le français et la formation générale

Le 14 juillet 2024, soit un an après le dépôt fait par le groupe de travail, le ministère de l’Enseignement supérieur (MES) publiait le rapport Regards croisés sur les conditions de réussite éducative des premiers cours de littérature et de philosophie au cégep. La ministre Pascale Déry souhaite mobiliser le réseau collégial pour valoriser la formation générale et moderniser les pratiques d’enseignement.

« Nous allons prendre les recommandations de ce rapport en considération. Au départ, nos craintes portaient sur une réduction de la formation générale pour l’adapter aux désirs de chacun. Manifestement, le gouvernement exclut cette voie-là », mentionne monsieur Lacoursière. Par ailleurs, le maintien d'un front culturel commun réjouit les membres de la FNEEQ.

La FNEEQ se porte aussi à la défense des cours de philosophie et de littérature dans les collèges. En ce sens, elle poursuit sa propre réflexion sur la manière d’aborder l’enseignement de la littérature.

Défendre la collégialité et la liberté académique

Monsieur Lacoursière aborde la collégialité en termes de respect des processus de consultation dans les établissements, notamment de respect du rôle de la Commission des études : « Dans un contexte où s’exercent des pressions au changement, ne serait-ce qu’en raison de l’implantation des technologies, court-circuiter les mécanismes de consultation peut être tentant. Mais la consultation est justement là pour trouver les meilleures idées et les meilleures solutions. »

Lors de la dernière négociation, la partie patronale a demandé l'abolition de cette commission pédagogique : « Il faut que les décisions de nature académique soient prises par les instances appropriées au sein desquelles le personnel enseignant est représenté. L’idée, c’est de maintenir une défense de la liberté académique, soit la liberté de s’exprimer, d’enseigner, de faire de la recherche et de publier des résultats de recherche dans un contexte où parfois la recherche est financée par des intérêts privés. »

Participer à la révision des programmes

Lors de la révision de programmes techniques, souvent ministérielle, la participation active de professeurs.es est revendiquée par la FNEEQ.

« Le Ministère forme des comités et leur demande de signer des ententes de confidentialité. Les éléments de consultation sont alors diffusés très tardivement et, souvent, cela ne répond pas à ce que les professeurs.es sur le terrain vont constater », précise monsieur Lacoursière. 

« D’un établissement à l’autre, il va aussi y avoir des différences. Nous voulons que des mécanismes de consultation soient maintenus en continu pour ces révisions. Par exemple, en soins infirmiers, l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) a exercé des pressions pour que le DEC ne soit plus le diplôme d’entrée. C’est préoccupant, dans la mesure où c’est un DEC offert à la grandeur du Québec. Reconnaissons qu’il y a toujours place à l’amélioration et que les professeurs.es sont les premières personnes qui savent comment améliorer la formation. »

Un collectif engagé

Le danger d’un arrimage immédiat des besoins du marché du travail au système d’éducation préoccupe la FNEEQ depuis de nombreuses années : « C’est inquiétant que l’éducation et l’enseignement supérieur soient exclusivement vus comme servant à combler le manque de personnel dans un secteur donné. Pourtant, les systèmes d’éducation et d’enseignement supérieur ont un rôle important pour former des citoyens critiques et engagés dans leur collectivité. »

Ce qui rassure monsieur Lacoursière, c’est l’engagement manifesté par les membres de la FNEEQ : « Nous sortons d’un congrès où les gens étaient très motivés, en phase avec le thème choisi de la déshumanisation. »