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Projet de loi no 23
Attention au système éducatif entier
En mai, le ministre Drainville déposait le projet de loi 23, modifiant la Loi sur l’instruction publique et édictant la Loi sur l’Institut national d’excellence en éducation (INEE). Plusieurs réactions ont été entendues en commission parlementaire en juin. Plus de cinquante documents ont été déposés lors des consultations. Cet automne, l’Assemblée nationale sera appelée à se prononcer.
Thérèse Lafleur, Portail du réseau collégial
Le maintien d’une vision globale du système éducatif est au cœur des préoccupations. Le projet de loi no 23 divise sur des enjeux d’orientation et d’opération de l’entièreté de ce système éducatif. Les visées de cohérence et d’excellence alimentent les discussions.
La Fédération des cégeps s’inquiète de la restriction du champ d’action du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) à l’enseignement supérieur. Le projet de loi propose un Institut national d’excellence en éducation (INEE), pour « conseiller le ministre de l’Éducation en lien avec les enjeux propres au réseau de l’éducation, à l’exclusion de l’enseignement supérieur, dont les cégeps ».
Présentant l’avis de la Fédération, le p.-d.g. de la fédération, Bernard Tremblay, a quand même rappelé « que chaque publication du CSE témoigne à la fois d’une vision d’ensemble du système d’éducation et d’une compréhension fine des réalités de chaque ordre d’enseignement. Dans l’intérêt du Québec, des jeunes et des adultes qui le fréquentent, notre système d’éducation doit être analysé dans une volonté de continuité ».
La Fédération reconnaît par ailleurs la pertinence du mandat que le ministre souhaite octroyer à l’INEE. « Considérant l’importance que l’éducation et l’enseignement supérieur revêtent pour l’avenir du Québec, la mise en place d’un tel organisme apparaît utile. Toutefois, à l’instar de la proposition du CSE faite en novembre 2017, la Fédération considère que le mandat de l’Institut doit s’arrimer avec celui du CSE qui existe depuis 60 ans. »
La Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) a aussi signifié ses réserves. Pourquoi créer l’INEE qui vient scinder le mandat d’un organisme existant et ayant fait ses preuves, le CSE ? « Nous nous inquiétons justement d’un manque d’arrimage entre les propositions du futur INEE et du CSE », souligne Maya Labrosse, présidente de la FECQ.
Du côté de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), même son de cloche. La CSQ et ses fédérations demeurent sceptiques quant aux visées du projet de loi no 23. Dans leur mémoire, leur président, Éric Gingras, convenait « qu’il est essentiel pour un ministre de l’Éducation d’avoir accès à des données pour lui permettre d’avoir une vue d’ensemble des besoins du réseau. Mais la question ici est de savoir dans quelle optique le ministre pourrait utiliser ces données. » La CSQ se désole aussi de la transformation radicale du CSE. « Alors que la crédibilité et la légitimité du CSE ne sont plus à démontrer, la CSQ comprend très mal la volonté du gouvernement de limiter le Conseil aux questions relatives à l’enseignement supérieur. C’est l’ensemble des lieux de participation qui sont touchés indirectement par le projet de loi no 23. »
Quant à la Confédération des syndicats nationaux (CSN), elle réclame, dans son mémoire, l’abandon du projet de loi no 23. Selon la CSN, ce projet rate la cible en ce qui concerne les enjeux actuels en éducation. En commission parlementaire, la présidente de la CSN, Caroline Senneville a affirmé que « le ministre ne fixe pas ses priorités à la bonne place si l’éducation est censée être une priorité nationale. La centralisation contenue dans le projet de loi ne règle aucun des problèmes de l’heure ». Cependant, la CSN considère pertinent de réglementer la collecte de données, l’accès à l’information et sa diffusion. Toutefois elle estime que la création de l’INEE encouragerait une vision en silo et que les organismes actuels suffisent à la tâche. Selon la CSN, les réseaux ont besoin de cohésion, pas de division.
La fin annoncée du mandat du CSE pour les niveaux primaire et secondaire est dénoncée par la CSN comme une perte colossale pour le système d’éducation. « Le CSE a été fondé en 1964, en même temps que le ministère de l’Éducation. Il a fait ses preuves, son expertise est reconnue et son indépendance est un élément indispensable », affirme Caroline Quesnel, présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN).
Il ne faut pas confondre l’INEE inscrit au projet de loi no 23 et l’Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur (ORES). Directrice de l’ORES, Julie Gagné rappelle que c’est dans la foulée du Chantier sur la réussite en enseignement supérieur que l’ORES a été créé en février 2022, pour répondre à un besoin exprimé lors des consultations. Son financement est assuré par le ministère de l’Enseignement supérieur. « L’ORES est un lieu de convergence pour les acteurs des milieux collégial et universitaire. Un espace de partage des savoirs scientifiques et expérientiels pour identifier les meilleures stratégies à adopter. Il encourage la mise en œuvre de mesures efficaces contribuant à l’accessibilité, à la persévérance et à la réussite étudiante en enseignement supérieur », explique-t-elle. |
Deux éminents spécialistes sont venus donner leur avis lors des consultations. Normand Baillargeon, professeur en sciences de l’éducation, philosophe, auteur et chroniqueur au quotidien Le Devoir, s’est dit en faveur de la création de l’INEE. « Notamment pour corriger une trop désolante méconnaissance des données scientifiques en éducation. » Il lui paraît important que la vulgarisation et la diffusion de connaissances puissent contrer les idées fausses ou discutables qui circulent. Il insiste aussi sur la production de données descriptives qui font parfois cruellement défaut. Cependant, monsieur Baillargeon a émis des réserves quant à la possible ingérence politique et à l’autonomie des enseignants d’un tel institut.
Le Conseil supérieur de l’éducation « constitue le seul organisme dont la composition, le fonctionnement et l’expertise nécessaires sont rassemblés en un seul et même endroit, pour dresser l’état et les besoins de l’ensemble du réseau de l’éducation » Monique Brodeur
Le psychologue spécialisé en réussite et en adaptation scolaire, Égide Royer, a aussi fait part de ses recommandations. M. Royer a été professeur-chercheur en sciences de l’éducation, directeur du Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) et fondateur du Comité québécois pour les jeunes en difficulté de comportement (CQJDC). Lors de sa présentation, il a insisté sur la nécessité de disposer de données fiables, mises à jour régulièrement. « Un organisme indépendant, doté d’un financement stable, est nécessaire pour que la recherche devienne l’étalon d’or pour déterminer les meilleures pratiques en éducation ». Toutefois, M. Royer partage les conclusions du rapport du groupe de travail sur la création d’un INEE (2018). La plupart de ses participants « considèrent que le CSE doit demeurer en place car les missions pressenties […] sont complémentaires ». M. Royer réfère à la fonction démocratique du CSE où près d’une centaine de personnes qui, par leur engagement citoyen et à titre bénévole, contribuent aux travaux et à la réflexion du Conseil et de ses instances.
Le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) a déposé un mémoire saluant lui aussi la création de l’INEE. Dans ce mémoire, le Conseil rappelle « qu’en 2017 il avait émis un avis favorable à la mise en place d’une telle institution. » Tout en témoignant d’une grande ouverture devant les changements législatifs envisagés, la présidente du CSE, Monique Brodeur, cite un extrait du mémoire du CSE. « Néanmoins, le Conseil en appelle à la préservation de son mandat actuel dans son intégralité, pour le bien de l’éducation au Québec. En effet, il constitue le seul organisme dont la composition, le fonctionnement et l’expertise nécessaires sont rassemblés en un seul et même endroit, pour dresser l’état et les besoins de l’ensemble du réseau de l’éducation. Bref, le Conseil croit que le ministre de l’Éducation, le gouvernement et le système éducatif québécois seraient plus gagnants en créant l’INEE, tout en conservant le Conseil intégralement, lui permettant ainsi de poursuivre sa mission et ses travaux. Les deux organismes ont, par conséquent, des missions respectives complémentaires qui justifient pleinement leur coexistence. »
Excellence et cohérence sont souhaitées.