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Des étudiants de chimie en classe inversée

Entretien avec Mne Caroline Cormier, enseignante de chimie au Cégep André-Laurendeau et lauréate du Prix Raymond-Gervais

Un texte de Marie Lacoursière, édimestre au Portail du réseau collégial

Lors du Congrès annuel de l’Association pour l’enseignement de la science et de la technologie au Québec tenu à Sorel-Tracy les 25 et 26 octobre derniers, le Fonds du prix annuel de l’AESTQ reconnaissait l’excellence de la pratique et le rayonnement de deux enseignants de science. Ce concours d’envergure provinciale, qui en était à sa 41e attribution, a retenu la candidature de madame Caroline Cormier, enseignante au Cégep André-Laurendeau pour la catégorie « collégial/universitaire ». Marie Lacoursière s’entretient avec elle.

Puisque la reconnaissance octroyée couvrait l’ordre collégial et universitaire, Caroline Cormier se dit particulièrement fière d’avoir remporté ce prix en tant qu’enseignante au collégial. « Il est rare en fait que des professeurs de cégep gagnent ce prix. La liste que j’ai parcourue indique seulement deux lauréats. Il s’agit d’un très gros prix qui repose sur l’ensemble de la carrière. Les dossiers de candidature sont complexes à compléter puisque nous sommes évalués sur plusieurs critères et non pas sur les éléments se rapportant uniquement à l’enseignement. Dans mon cas, il s’agit de la recherche et c’est un prix de carrière, alors que je ne suis pas très avancée dans ma carrière : ça fait seulement 10 ans que je suis au cégep André-Laurendeau. Je suis très heureuse de recevoir cette reconnaissance aussi tôt. C’est très encourageant de voir ma contribution reconnue non seulement par mes collègues ou par mon cégep, mais également de l’extérieur. J’en suis très heureuse », explique la lauréate.

Est-il fondé de croire que les jeunes sont moins attirés par les sciences aujourd’hui ?

À cette question, Caroline répond que les étudiants qu’ils reçoivent dans leurs classes sont des étudiants qui ont choisi d’étudier en sciences de la nature et qui assument bien leur choix. Elle a mené il y a quelques années, en collaboration avec son collègue monsieur Michel Pronovost, professeur de biologie au Collège Jean-de-Brébeuf, une vaste étude longitudinale sur l’intérêt des jeunes pour les sciences. « Il est reconnu dans les écrits de recherche qu’il y a effectivement un constat du moins grand intérêt envers les sciences au fur et à mesure que les étudiants vieillissent, pour atteindre un creux historique à 17 ou 18 ans. C’est aussi ce que nous avons pu constater dans notre recherche auprès des étudiants collégiaux. C’est à cet âge que l’intérêt pour les sciences est à son plus bas : la discipline est perçue comme des expériences voulant qu’on mélange des substances qui changent de couleur un peu comme des jeux ou du bricolage. Au primaire, les élèves peuvent faire des manipulations scientifiques en classe, et ces manipulations sont très concrètes et amusantes. Toutefois, au fur et à mesure qu’on avance vers la fin du secondaire, les sciences deviennent une réelle discipline qui représente des défis cognitifs et méthodologiques qui dépassent de très loin la représentation que les élèves se faisaient jusqu’alors des sciences comme un jeu ou une série de manipulations amusantes. »

Des cours de chimie sur You Tube

Caroline Cormier utilise You Tube dans ses cours. Elle y dépose des capsules d’environ six minutes que les étudiants doivent visionner avant de venir en classe. Toutefois, les étudiants ne peuvent pas réussir en se contentant de regarder des vidéos à la maison.
« Une méta-analyse de Freeman et ses collaborateurs aux États-Unis le démontre éloquemment : toute forme de pédagogie active entraîne un meilleur taux de succès dans les cours de sciences au postsecondaire. Nous voulions par cette approche rendre les étudiants actifs dans leurs apprentissages. Nous avons amorcé cette approche en chimie organique un cours de troisième session qui s’adresse à des étudiants de deuxième année. Il s’agit un cours difficile qui requiert l’apprentissage d’un tout nouveau langage. La chimie organique est différente de ce que les étudiants ont vu en première année de sciences de la nature, mais est également différente de ce qu’ils ont vu au secondaire. Nous commençons un nouveau langage, une nouvelle manière de travailler, une façon très différente de dessiner les molécules. À travers l’approche nouvelle en classe inversée, nous voyions que les étudiants finissaient par comprendre et maîtriser l’apprentissage. Les questions arrivent dans l’esprit des étudiants au moment où ils essaient de le faire eux-mêmes. C’est dommage, quand nous leur laissions faire cet exercice en devoir à la maison et qu’ils avaient des questions, ils se décourageaient ou lorsqu’ils arrivaient au cours suivant, ils avaient oublié leurs questionnements. Maintenant que nous avons libéré du temps de classe pour travailler spécifiquement sur ce qui était préalablement des devoirs, quand ils ont des questions, ils lèvent la main et les précisions sont apportées dans l’immédiat. C’est un aspect très positif de la façon dont nous avons modifié notre cours de chimie organique. Les autres cours de notre département ont par la suite été graduellement modifiés de la même façon compte tenu  que nos collègues ont réalisé que cela marchait. Nous les avons en quelque sorte contaminés. »

Une approche départementale de la classe inversée
Au Cégep André-Laurendeau, les enseignants de chimie travaillent en très grande collaboration. Une collaboration qui a été très importante dans l’implantation de la classe inversée. « Grâce à cette méthode, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait vraiment une amélioration significative des notes particulièrement chez nos étudiants de la tranche la plus faible. Nous ne pouvons être forts tout seuls et c’est quelque chose que nous avons fait en département. »

Le meilleur département
Quand Caroline Cormier parle de son département, elle s’anime : « Vous ne rencontrerez jamais de département comme le nôtre à travers tous les départements de tous les cégeps. Je suis certaine à 100 % que nous sommes le meilleur département parce qu’on s’entend tellement bien.C’est merveilleux et fantastique de travailler avec mes collègues. Nous allons tous dans la même direction. Chaque session tout le monde essaie d’améliorer quelque chose dans son cours. Nous changeons nos plans-cadres tellement souvent. C’est comme une blague parce que nous ne nous contentons pas de quelque chose qui marche qu’on réapplique d’une année à l’autre; nous cherchons les problèmes et sommes en continuel défi d’amélioration. C’est à travers cette piste d’approche programme dans nos cours que nous arrivons à développer dans nos cours l’autonomie de nos étudiants. »

Les recherches qu’elle a menées
Parmi les recherches menées par la lauréate, elle a beaucoup apprécié sa première recherche dans un même temps son projet de thèse de doctorat. Menée entre 2010 et 2014, la recherche porte sur les conceptions alternatives des étudiants de science concernant certains concepts de chimie. Elle explique :«  Les conceptions alternatives sont les idées inexactes que les étudiants ont dans leur tête au sujet d’une discipline. Mais, en même temps, ce sont des erreurs, des interprétations qui ne sont pas tout à fait correctes par rapport à la théorie scientifique acceptée. Elles proviennent de toutes sortes de causes : une mauvaise interprétation des définitions par exemple ou la mise en relation de deux concepts dans une relation qui est incorrecte ou un raisonnement qui est incomplet parce qu’il y a un aspect des tenants qui est inconnu. Les étudiants se trouvent à tirer des conclusions sur des raisonnements fragmentés. C’est une recherche que j’ai aimé faire parce qu’elle provient d’un questionnement que j’avais en début de carrière. Je ne comprenais pas pourquoi les étudiants même quand on leur enseigne les contenus clairement, ils continuaient à faire des raisonnements qui n’avaient aucun bon sens. C’était difficile de mettre en lumière les conceptions alternatives, parce que les étudiants répondent correctement aux questions d’examen, même si ces idées sont fragmentaires ou incorrectes. Mais, ça va ressortir plus loin quand ils vont apprendre des concepts plus avancés. Il faut développer des moyens pour traiter les conceptions alternatives pour qu’ils puissent les faire évoluer et devenir des concepts scientifiques corrects. Il faut d’abord les mettre en lumière. Ma recherche m’a permis de découvrir ces conceptions alternatives que nous ne pouvions pas imaginer. »

La recherche sur les étudiants les plus faibles en classe inversée
C’est sa recherche sur les résultats des étudiants les plus faibles avec l’approche de la classe inversée qui lui a donné le plus de notoriété. Cette recherche a été publiée dans une revue dont les articles sont évalués par les pairs. « Améliorer les résultats des étudiants les plus faibles, c’est un enjeu pédagogique important. Si on fait travailler nos étudiants sur des exercices en classe, ça change la donne. Parce que les étudiants les plus faibles ne faisaient pas nécessairement leurs devoirs. Pendant qu’ils sont dans la classe, ils n’y échappent pas. Ils font un cours de chimie, ils font de la chimie. C’est peut-être la seule fois où ils vont en faire, mais si ça leur permet d’améliorer leurs notes de 10 %, ils ont certainement appris davantage. »

Un projet de recherche sur les qualités de communication orale des étudiants
Caroline est encore aujourd’hui subventionnée par le programme PAREA, sa troisième subvention. Cette recherche porte sur les habiletés de communication orale des étudiants. Elle escompte que les résultats auront un impact dans les travaux de son département sur l’approche programme et éventuellement dans le réseau. Les premiers résultats montrent qu’une petite portion des étudiants (15 %) est complètement terrorisée par l’idée de faire des communications orales. Ils se trouvent nuls. « Ce sont ces étudiants que nous voulons aider parce que les communications orales en science sont super importantes. Aujourd’hui, les scientifiques travaillent en équipe. Ça devient nécessaire de communiquer oralement parce que les connaissances se construisent en petits groupes. On constate qu’il y a peu de recherche sur cette question. On s’est aussi rendu compte que ce n’est pas non plus vraiment enseigné. Il y a des professeurs qui font faire des communications orales dans leur cours, mais ça ne fait pas vraiment l’objet d’enseignement. Nos attentes : que les étudiants soient capables de justifier leurs choix méthodologiques, de répondre aux questions en les ayant anticipées et en ayant préparé des réponses. Il faut les y préparer dès à présent pour mieux les outiller à faire face à des situations dans le futur. La recherche est menée conjointement avec Frédérique Blouin, professeure de biologie du Cégep Gérald-Godin et Simon Langlois, professeur de physique du Cégep Marie-Victorin."






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