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Un mentorat en Sciences humaines au Cégep de Saint-Laurent

 

Entrevue et texte réalisés par Marie Lacoursière, édimestre, pour le Portail du réseau collégial en collaboration avec Mélissa Henri professeure de psychologie et chercheuse au Cégep de Saint-Laurent.

 

 

 

Mélissa Henri, Catherine Beaulieu et Fanny Godin, professeures de psychologie et chercheuses au Cégep de Saint-Laurent, sont parties d’un constat préoccupant : dans le réseau, 40 % des étudiants en Sciences humaines n’obtiendront jamais leur DEC (SRAM, 2013). Préoccupées par tout ce qui peut affecter les étudiants dans leur persévérance scolaire, les professeures ont décidé d’analyser l’impact du mentorat sur l’indécision vocationnelle, un important motif de décrochage. Soutenues par un financement PAREA  et inspirées par le programme de Mentorat pour l’intégration et la réussite des étudiants en sciences (MIRES) de l’Université Laval dans lequel Fanny Godin a travaillé, elles ont implanté le programme de mentorat SHOI (Sciences humaines : orientation et intégration) au sein de leur institution. Nous nous entretenons avec Mélissa Henri pour mieux saisir ce qu’est le mentorat et discuter de la réalisation de leur projet.

La relation mentorale

Le mentorat est une relation affective de guidance basée sur la confiance qui s’accomplit par de l’écoute active, de l’échange d’idées et d’informations, la participation à des activités et des encouragements, et à travers laquelle le mentor offre aide et soutien au mentoré.  

« Le mentorat est particulièrement caractérisé par le développement d’un lien d’attachement significatif dans lequel le mentor agit à titre de modèle positif. C’est une relation qui s’établit au fil du temps et lors d’activités où les liens entre mentor et mentoré se développent et se consolident, amenant ce dernier à effectuer une véritable démarche de découverte de ses intérêts véritables », précise Mme Henri.

Dans l’implantation de SHOI, 9 mentors et 42mentorés ont participé au projet. 
« Nous tenions à ce que nos mentors soient d' anciens étudiants de Saint-Laurent fréquentant maintenant l’université. Nous avons donc fait appel à ceux dont nous avions bon souvenir et chez qui nous reconnaissions des qualités et des compétences relationnelles essentielles dans le développement d’un lien affectif significatif », souligne Mélissa Henri. Les mentorés étaient quant à eux des étudiants en première session de la première année recrutés sur une base volontaire. « La première session demeure, en définitive, la session la plus critique durant laquelle s’effectue l’adaptation au collégial », explique Mme Henri relativement au choix du moment de l’intervention.

« Idéalement, nous serions allées chercher les étudiants les plus à risque d’abandon scolaire» d'indiquer  la chercheuse en parlant des mentorés. «Mais nous ne voulions pas les cibler particulièrement, donc nous avons fait un appel à tous. Nous avons ainsi rejoint presque tous les profils d’étudiants : très performants anxieux, anxieux non performants, présentant des difficultés scolaires ou manifestant des difficultés d’intégration et/ou d’adaptation. Il ne s’agissait donc pas nécessairement d’étudiants à risque d’abandon, mais certainement d’étudiants ressentant le besoin d’être accompagnés. »

« Le procédé de jumelage mentor/mentoré s’est actualisé de la façon la plus naturelle possible, expose la professeure et chercheuse Mélissa Henri. La question des affinités tient un rôle important dans l’évolution de la relation et de la complicité qui permet de cheminer. Parce que dans l’idéal le choix d’un mentor s’effectue d’une façon spontanée, nous avons initié un rendez-vous éclair "Speed-dating" auquel les mentors et les futurs mentorés ont été conviés. Les principaux intéressés ont ainsi eu la possibilité de rencontrer chacun des mentors et de leur poser des questions afin de voir avec qui ils pourraient passer une année fructueuse d’accompagnement. »

Mode de fonctionnement

En moyenne, il y a eu 8 rencontres individuelles d’une durée d’une heure entre chaque mentor et chacun de ses mentorés durant l’année scolaire. Elles prenaient la forme d’activités sociales et culturelles, d’échanges dans un café ou de visites d’université. « Il n’y avait pas de cadre formel. Il était possible pour les dyades de se rencontrer dans un local réservé du cégep comme certains l’ont fait. Or, comme il s’agissait de créer un lien affectif, le lieu de rencontre était décidé selon les goûts et les besoins des mentorés, l’important étant de créer des moments permettant l’échange et la discussion autour de sujets variés. Par ailleurs, nous nous sommes rendu compte qu’au-delà des 8 rencontres individuelles fixées à l’horaire se sont glissés des échanges additionnels par Facebook ou par messagerie texte. La relation de mentorat aura donc été au-delà de nos attentes. » À quelques reprises durant l’année, il y eut également des rencontres de groupe rassemblant plusieurs mentors et mentorés, créant ainsi des opportunités de socialiser et d’augmenter le sentiment d’appartenance au collège.

Un projet de recherche

Le projet SHOI a fait l’objet d’une recherche expérimentale. L’étude a comparé le groupe des 42 étudiants de 1re session en Sciences humaines (mentorés) à un groupe contrôle représentatif de 40 étudiants. Tous les étudiants ont répondu à des questionnaires portant sur la motivation, l’ajustement au collégial et la certitude vocationnelle en trois temps (avant le mentorat, pendant et après).

Les résultats indiquent que les mentorés se distinguent significativement du groupe contrôle notamment quant aux variables de la connaissance de soi et de la connaissance des professions.

La connaissance de soi est à la base d’un projet vocationnel solide et d’une plus grande confiance en soi. « Quand on se connaît mieux, on sait davantage où on veut aller. Nous identifions mieux quels sont nos besoins et nos valeurs », affirme Mme Henri. Le fait de se sentir soutenu, accompagné ou d’avoir accès à un modèle de prise de décision permet par ailleurs d’augmenter la confiance en soi et en sa réussite.

Quant à la connaissance des professions, elle s’avère meilleure chez les mentorés que chez les participants du groupe contrôle.Résultat fort intéressant quand on sait qu’une meilleure connaissance des professions influence la certitude vocationnelle. Mme Henri explique la pertinence de l’expérience des mentors : « Les mentors ont vécu deux importantes transitions scolaires : ils connaissent le secondaire, le collégial et l’université. Ils ont eu à tergiverser sur leur choix de carrière et ont vécu divers questionnements. En outre, ils connaissent les contingents, les débouchés et les possibilités d’emploi de différents secteurs. Ils sont donc de bonnes personnes ressources pour les mentorés. »

L'importance du lien mentoral

Un autre résultat intéressant porte sur le lien mentoral. En effet, à la fin de l’année d’implantation, mentors et mentorés se sont exprimés sur la qualité de la relation. Les résultats sont très positifs dans les deux cas, voire encore plus positifs chez les mentorés. Ces derniers voient le lien comme étant très bénéfique, un soutien significatif dans leur vie. Ces résultats enchantent Mme Henri, qui synthétise ainsi la relation vécue : « Tout devient possible dans un contexte où le sentiment de confiance est présent. Le mentor est un guide et porte plusieurs chapeaux parmi lesquels nous retrouvons l’oreille empathique, le modèle (qui a lui-même traversé les différentes transitions et qui les a réfléchies) ou encore le conseiller. Le mentor sait ce que c’est que de se poser des questions et de s’adapter. Il peut ainsi assurer les suivis qui s’imposent. La dynamique de guidance est positive. Par son écoute, sa compréhension, sa lecture des faits et sa disponibilité, le mentor est une véritable ressource pour le mentoré. Dans le mentorat, c’est l’ensemble de la personnalité de la personne qui est prise en compte », souligne notre porte-parole.

Faire comprendre ce qu’est le mentorat

Dans l’implantation et la réalisation du projet, un défi de taille s’est présenté. Non seulement auprès des mentors et des mentorés, mais également auprès de la direction, de l’administration et des collègues; il fallait faire comprendre ce qu’était le mentorat et le distinguer du tutorat, qui constitue en soi une autre mesure d’aide.
« Ce fut un enjeu d’importance. Dans une dynamique mentorale, nous mettons l’accent sur le développement d’une relation et sur le fait que cela vise le développement de la personne. Le tutorat constitue quant à lui une mesure d’aide plus spécifique à la réussite des cours et des évaluations. Il mise sur le contenu des cours, les techniques d’étude et la méthodologie. Il vise certainement à soutenir l’étudiant, mais, de façon générale, dans un cadre strictement académique. Un mentor peut certes répondre à certaines questions d’ordre scolaire, mais c’est davantage la dynamique relationnelle qui caractérise le mentorat. Pour bien faire comprendre les nuances, nous écrivons actuellement un article qui distingue les deux mesures », ajoute Mme Henri.

Les perspectives d’avenir

Un grand bénéfice retiré de l’expérience fut de susciter une vaste/importante/profonde réflexion, non seulement à l’intérieur de l’équipe, mais également au département et dans l’établissement, sur les véritables facteurs impliqués dans la réussite et la persévérance. « Nous parlons ici des facteurs psychosociaux, car nous avons témoigné du fait que lorsqu’un étudiant se présente avec une difficulté scolaire, la plupart du temps, il y a tout un bagage personnel et éducationnel derrière, soit un ensemble de facteurs qui peuvent faire que la transition secondaire collégiale s’avère plus difficile. Ces facteurs psychosociaux ressortent comme des éléments centraux dans le souci que nous devons avoir de la réussite et de la persévérance de l’étudiant.»

Malgré les retombées positives du programme SHOI en sciences humaines, le projet n’est pas reconduit tel quel pour le moment, la direction ayant fait d’autres choix. Cependant, les coordonnatrices des mesures de réussite de l’établissement sont à évaluer les interventions à privilégier pour soutenir les étudiants, et le mentorat fait partie des objets de discussion.

Des échanges ont également cours concernant l’implantation d’un projet de mentorat pour les étudiants inscrits dans le cheminement Tremplin DEC. Par ailleurs, le département de musique du cégep fait des liens avec l’Université de Montréal afin de recruter des mentors en provenance de l’institution, une démarche visant à répondre également à l’indécision vocationnelle qui y prévaut souvent. Enfin, le département de techniques d’intervention en loisir a implanté une adaptation du projet pour soutenir ses étudiants. C’est dire que le projet fait des petits et suscite l’intérêt de plusieurs.

Quant au rôle des fondatrices de SHOI, Mélissa Henri souligne ceci : « Nous restons liées au projet dans la mesure où nous offrons toujours le soutien à celles et ceux qui veulent implanter un programme de mentorat. Nous demeurons disponibles pour faire les formations des mentors et des mentorés, car cela constitue une des clés maîtresses du bon déroulement de l’activité. Cela est vrai pour les départements de notre établissement et ceux d’autres établissements intéressés à implanter l’approche privilégiée dans le projet SHOI.»






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