Articles
Rehausser la qualité du français écrit
Par Élise Prioleau
L’enjeu de la maîtrise de la langue française a refait surface cet automne. La publication de résultats jugés insatisfaisants à l’épreuve uniforme de français a fait couler beaucoup d’encre dans les médias. On constate que 27,1 % des étudiants échoue au sous-critère « orthographe d’usage et orthographe grammaticale », selon les données du ministère de l’Enseignement supérieur. Quelles sont les pistes de solution ?
La problématique ne date pas d’hier. Les efforts pour rehausser le niveau de langue en français datent des années 1980. À l’époque, le Conseil supérieur de l’éducation formulait la recommandation d’accorder plus de place à la langue écrite en éducation. Les épreuves de fin de cycle en français ont été mises sur pied en 1986 pour tenter de corriger ce qui apparaissait alors comme un « laxisme grammatical »1. Force est de reconnaître qu’en 40 ans, le français écrit des étudiants s’est nettement amélioré. En 1986, le taux de réussite à l’examen ministériel de 5e secondaire était de 46%, alors qu’il était de 83% en 2019.
Il reste, toutefois, du chemin à faire. En 2008, l’enquête intitulée État des lieux de l’enseignement du français constatait un immobilisme en enseignement du français au Québec. En 2013, la co-directrice de l’étude, Suzanne-G. Chartrand, professeure à la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval, insistait sur la nécessité d’offrir davantage de formation continue aux enseignant-e-s en français.2 Des formations nécessaires pour bonifier l’enseignement et l’adapter aux normes de progression des apprentissages du ministère.
Près de 10 ans plus tard, l’enjeu reste le même. Ceci s’explique par le fait que les causes du retard des étudiants en français sont multiples et difficiles à cerner. En 2017, une enseignante en français du Cégep de Sherbrooke pointait du doigt le manque de ressources spécialisées en français au primaire et au secondaire. L’enseignante, Marie-Josée Dubois, soulevait aussi le manque d’intérêt des adolescents pour la langue française comme possible cause de leurs lacunes.3
Une problématique qui commence bien avant le cégep
Si les difficultés en français écrit se font particulièrement sentir au cégep, les difficultés commencent bien avant, remarque Antoine Dumaine, vice-président aux communications de l’Association québécoise des professeur-e-s de français (AQPF).
Antoine Dumaine, vice-président aux communications de l’Association québécoise des professeur-e-s de français (AQPF)
« On se rend compte qu’à la fin du secondaire, les acquis ne sont pas tout à fait là. Par la suite, on tombe dans un programme collégial axé sur la littérature. Lorsqu’ils arrivent au cégep, est-ce que nos étudiants ont les compétences rédactionnelles suffisantes pour travailler adéquatement le contenu ? Je ne suis pas certain. En ce moment, c’est comme si on isolait la problématique orthographique au collégial sans se questionner sur sa source qui est en amont. »
Rappelons que l’orthographe d’usage est le critère qui est généralement le moins bien réussi à l’épreuve d’écriture ministérielle de 5e secondaire. En 2011, le taux de réussite en orthographe était de 50%, alors que les autres critères, comme la pertinence, la clarté et la construction des phrases étaient réussies à plus de 80%, selon les statistiques du ministère de l’Éducation 4. Des chiffres qui concordent avec ceux de l’épreuve uniforme de français du collégial.
Une stratégie concertée à tous les paliers d’enseignement
Il existe de nombreuses stratégies en enseignement pour améliorer l’orthographe. « On connaît la stratégie des phrases dictées du jour. Des courtes dictées d’une phrase sont proposées aux étudiants. Par la suite, une analyse des phrases des étudiants permet au groupe de se questionner sur l’orthographe. Ça leur permet d’apprendre à se corriger eux-mêmes », explique Antoine Dumaine.
Selon le vice-président aux communications de l’AQPF, il est important de se questionner sur les stratégies d’enseignement utilisées, mais aussi de documenter de façon précise les difficultés rencontrées par les étudiants, du primaire à l’université.
« On sait que l’orthographe pose problèmes chez nos étudiants. C’est large comme constat. Au-delà de ce constat, il faut se donner les outils pour améliorer la situation. Ceci implique qu’un diagnostic clair soit fait. Par la suite, les enseignants doivent être informés des notions qui posent problèmes chez les étudiants. Est-ce que ce sont les participes passés, l’accord de l’adjectif, ou encore l’accord des verbes qui pose un problème ? Il faut aller voir ce qui se passe. »
Antoine Dumaine en appelle à une « stratégie concertée », « basée sur la recherche » et qui aurait comme but d’informer adéquatement les enseignants en français, qui sont au cœur de la solution.
Diminution du ratio maître-élèves en français
Les solutions pourraient également être du côté du nombre d’élèves par groupe. « La langue française écrite est très complexe. Ça décourage beaucoup d’apprenant-e-s qui ne voient pas le bien-fondé de toutes ces règles. À l'école primaire comme à l'école secondaire ou au cégep, les groupes comptent trop d'élèves pour que les profs puissent adapter leur méthode d'enseignement en fonction de chacun-e ; or, ce serait nécessaire vu la complexité du français écrit », témoigne Nicolas5, enseignant en français dans un cégep montréalais.
En plus de diminuer la taille des groupes, l’enseignant considère que la simplification de l’épreuve uniforme de français pourrait avoir un impact positif sur la réussite. « L’épreuve pourrait consister en une lettre professionnelle plutôt qu’une analyse littéraire. Cela pourrait permettre aux étudiants de mieux comprendre la nécessité de bien maîtriser le français en leur proposant une application concrète en lien avec le marché du travail, et les motiver à écrire correctement », explique-t-il. Dans tous les cas, selon cet enseignant, il est important de s’attaquer aux fondements du problème, c’est-à-dire l’insuffisante maîtrise des règles orthographiques.
Antidote, une solution ?
En septembre, la Fédération des cégeps proposait d’évaluer la possibilité d’autoriser logiciel Antidote à l’épreuve uniforme de français. Une proposition qui a reçu un accueil mitigé. La Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN) s’est publiquement opposée à une telle mesure. Selon Yves de Repentigny, vice-président, l’utilisation d’un logiciel de correction ne permettrait pas d’évaluer les vraies capacités des étudiant-e-s.
Selon Bernard Tremblay, président-directeur général de la Fédération des cégeps, le logiciel peut être utilisé comme moyen d’apprentissage et non pas comme une béquille, comme l’a rapporté Le Journal de Québec.
Encore faut-il former adéquatement les étudiants. « Il n’a pas été démontré qu’Antidote permet de faire de meilleurs apprentissages en français. Antidote peut être un outil intéressant, mais encore faut-il que les étudiant-e-s comprennent comment bien utiliser le logiciel. Si je fais juste des doubles-clics, je n’aurai pas amélioré ma connaissance du français, ni la qualité de mon texte », prévient Antoine Dumaine, vice-président aux communications de l’AQPF.
1Lebrun, M. (2007), Les tensions et débats dans l’enseignement du français au Québec. Revue Le français aujourd’hui, no 156, p.92
2Dion-Viens, D. (2013, 10 mars). L'enseignement du français a peu changé depuis 25 ans. Le Soleil. https://www.lesoleil.com/actualite/education/lenseignement-du-francais-a-peu-change-depuis-25-ans-3e8c659e83bad79c4f36136300252d87
3Corriveau, A. (2017, 30 mars). Le Cégep de Sherbrooke offrira plus de cours de renforcement en français. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1025123/le-cegep-de-sherbrooke-offrira-plus-de-cours-de-renforcement-en-francais
4Ministère de l’Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche,. (2015). Rapport Rapport final d’évaluation, Plan d’action pour l’amélioration du français à l’enseignement primaire et secondaire (2009-2010 et 2011) http://www.education.gouv.qc.ca/references/tx-solrtyperecherchepublicationtx-solrpublicationnouveaute/resultats-de-la-recherche/detail/article/evaluation-de-programme-plan-daction-pour-lamelioration-du-francais-deuxieme-rapport-detape/?a=a&cHash=3e88d8d2a3c276c56e212f7495a088d6
5Nicolas est un nom fictif. L’enseignant qui a témoigné préférait conserver l’anonymat.