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Pour réconcilier l’approche par objectifs et l’approche par compétences

Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Au collégial, l’avènement de l’approche par compétences en 1993 a graduellement révélé qu’un glissement de sens s’était installé entre « approche par objectifs » et « approche par contenus ». Au fil des ans, les objectifs qu’on retrouvait dans les plans de cours ont trop souvent focalisé sur les contenus disciplinaires plutôt que sur les apprentissages des étudiants. On en est venu à observer une prévalence d’objectifs de contenus dans plusieurs disciplines alors qu’on y perdait de vue les objectifs centrés sur les apprentissages des étudiants C’est le «qu’est-ce que j’enseigne?» versus le «qu’ont-ils besoin d’apprendre?». Plusieurs raisons peuvent être évoquées pour expliquer ce phénomène dont, assurément, une méconnaissance de l’efficacité de planifier un cours à partir d’objectifs d’apprentissage.

Les enseignants du collégial, ainsi que la plupart des conseillers pédagogiques et cadres, sont ou étaient des spécialistes de disciplines. Il est normal que cette communauté ait le premier réflexe de focaliser sur la discipline, sur la matière, sur le contenu. Dans les sessions de formation et de perfectionnement, notamment dans les ateliers sur la pratique de l’évaluation formative (celle qui « ne compte pas »), on entend encore des arguments du genre « On a beaucoup de matière à passer », « il faut s’assurer que les étudiants ont compris la matière », etc. Dans certains plans de cours, les « objectifs » ne sont rien d’autre qu’une liste de contenus, voire, dans les pires cas, une table de matières du manuel de classe.
 

Dérives
Il n’est certes pas facile d’écrire des objectifs d’apprentissage et tout particulièrement dans les niveaux supérieurs sur l’échelle des taxonomies d’objectifs. Des objectifs décrivant des habiletés intellectuelles supérieures (analyse, synthèse, jugement) sont plus difficiles à visualiser et, surtout, à concevoir et à écrire clairement que des objectifs de connaissance, de compréhension, d’application.

De plus, le thème de la planification de l’enseignement est tombé en friche1 dans plusieurs milieux et les plans de cours ont été de plus en plus nombreux à proposer des objectifs centrés sur les contenus disciplinaires. Lorsqu’on déplore que les enseignements antérieurs à l’approche par compétences ont beaucoup été centrés sur des contenus et qu’on a voulu, dans l’approche par compétence, focaliser sur les besoins d’apprentissage des étudiants, ce n’est pas à cause de l’inefficacité de l’approche par objectifs mais bien à cause de l’amalgame qui s’est créé entre les objectifs et les contenus et ce, même si Robert Mager2  proposait déjà en 1962 une planification fondée sur les objectifs d’apprentissage des étudiants. C’est précisément cette dérive vers des objectifs de contenus disciplinaires que le Ministère de l’éducation a voulu corriger en 1993 en déclarant3  que [désormais] les objectifs désignent les compétences (les habiletés, les connaissances, etc.) que l’on vise à faire maîtriser […].

Dans ce que plusieurs ont appelé un « changement de paradigme », passant du paradigme de l’enseignement au paradigme de l’apprentissage, certains auteurs ont montré et dénoncé les dérives de l’enseignement par contenus disciplinaires dans le cadre de la discussion sur la pertinence de l’approche dite par compétences.

Par exemple, dans Durand et Chouinard4 (2006) , on lit :
«Les programmes par objectifs sont centrés sur les contenus et la mémorisation, mais ils laissent peu de place à des processus de pensée et à des habitudes intellectuelles complexes » Page 32
«De plus les programmes par objectifs font porter l’évaluation sur les réponses des élèves plutôt que sur leur démarche intellectuelle ». page 33
Dans Louis (20045 ), on voit ceci :
« Liés à une approche centrée sur le contenu de la discipline externe à l’individu, les objectifs sont généralement spécifiques au contenu de la matière … » (page 20)
« L’évaluation des apprentissages consiste donc à vérifier l’atteinte … des objectifs d’apprentissage … et liés uniquement aux contenus des disciplines ». (page 21)

Le bébé avec l’eau du bain
Dans de tels textes, on peut croire que ces auteurs académiques font de faux liens de causalité en associant les objectifs aux contenus disciplinaires et en recommandant en conséquence qu’on abandonne l’approche par objectifs.  On aura confondu contenus et objectifs, comme si les objectifs étaient automatiquement porteurs des contenus disciplinaires.  À cause de ce type d’amalgame, le concept d’objectifs a acquis une réputation péjorative. Avec le temps, les objectifs pédagogiques sont disparus du langage pédagogique au profit de substituts comme «  cibles d’apprentissage » ou « intentions pédagogiques » par exemple. Plusieurs ont tout simplement transposé le langage ministériel des devis de programme en remplaçant « objectifs » par « compétence » ou « éléments de compétence ».

Pourtant, le concept d’objectifs n’est pas du tout, à priori, associé au contenu disciplinaire. Il existe des objectifs de toutes sortes et, en consultant le dictionnaire de Legendre, on constate que le mot « objectif » est décrit sur un nombre ahurissant d’acceptions qui se déclinent sur 26 pages de notices différentes !!! Bien entendu, ces acceptions du mot « objectif » incluent, entre autres, « objectif d’apprentissage », « général », « spécifique », « terminal », « intermédiaires », « de fonctionnement », « de performance », « opérationnel », et … « de contenu ». Pas étonnant qu’on s’y soit égaré.

Maladresses
Ce n’est pas l’approche par objectifs qu’il faut blâmer si des enseignants préparent des cours qui, comme le disaient plus haut Durand et Chouinard, « laissent peu de place à des processus de pensée et à des habitudes intellectuelles complexes ». C’est notre faute à nous. Plutôt que de blâmer le marteau, il faut blâmer le menuisier s’il est maladroit.

Alors que l’approche dite « par » compétences nous convie à prendre parti pour l’étudiant et à organiser un enseignement centré sur son apprentissage, il est effectivement pertinent que l’on dénonce les dérives de l’approche « contenu ». Qu’on se comprenne bien : il n’est pas question ici de préconiser que les contenus n’ont pas leur place dans le développement des compétences. Les contenus sont essentiels, même les contenus mémorisés (les connaissances déclaratives) qui servent de fondements à tout apprentissage. Toutefois, une planification qui se voudra cohérente et pertinente aux besoins des étudiants ou de la société nous amène à focaliser d’abord sur les objectifs à atteindre (« qu’est-ce que mes étudiants ont besoin d’apprendre pour développer cette compétence-ci? ») et ensuite sur les contenus. Les contenus sont toujours là, mais en second rôle.
Il faut donc comprendre que l’approche par compétences supplante l’approche par contenus et non pas la méthode de planification dite « par » objectifs. En relisant attentivement le document ministériel « Des collèges pour le Québec du XXIème siècle » (voir note 3 ci-après), on verra qu’il n’a jamais été voulu de remplacer l’approche par objectifs par l’approche par compétences. C’est de l’approche par contenus que le Ministère nous invite à nous distancier dans ses mesures de renouveau de 1993.

Redécouvrir…
Les objectifs d’apprentissage constituent assurément un secteur négligé du discours pédagogique d’aujourd’hui. Après une vingtaine d’années d’exploration de l’approche dite « par » compétences, il serait grand temps qu’on « redécouvre » l’approche par objectifs, qu’on réapprenne à penser un cours en traduisant nos intentions pédagogiques sous forme d’objectifs d’apprentissage (« L’étudiant sera capable de… ») et, surtout, qu’on redécouvre l’art de communiquer des intentions pédagogiques élevées qui contribueront au développement des compétences.

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Rédacteur : Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.
Tout commentaire ou suggestion de votre part sera bienvenu. Vous pouvez adresser vos commentaires à howerobert@sympatico.ca

NOTES :

  1.Une synthèse documentaire a été publiée en 2013, sous l’égide du Centre de Documentation Collégiale (CDC), montrant qu’aucun texte d’autorité n’a été publié dans la francophonie depuis 1992 sur le thème des objectifs d’apprentissage. Voir : Howe, Robert. Les Objectifs D’apprentissage. Bulletin de la documentation collégiale. Septembre 2013, numéro 10. Disponible en ligne sur : http://www.cdc.qc.ca/bulletin/bulletin-CDC-10-objectifs-apprentissage-oct-2013.pdf

2.MAGER, R. F. Comment définir des objectifs pédagogiques. Paris, Gauthier-Villars, 1974, 60 p. Édition originale américaine : 1962. (Disponible au CDC. Cote : 717889)

3.Ministère de l’Enseignement supérieur et de la science. Des collèges pour le Québec du XXIème siècle. L’enseignement collégial québécois. Orientations d’avenir et mesures de renouveau. Avril 1993. 39 pages. : http://www.cdc.qc.ca/pdf/705603_colleges_xxie_1993.pdf

4. Durand, Micheline-Joanne et Chouinard, Roch. (2006) L’évaluation des apprentissages. De la planification de la démarche à la communication des résultats. Montréal. Hurtibise éditeur. 374 pages.

5.Louis, Roland. (2004). L’évaluation des apprentissages en classe, théorie et pratique. Montréal : Beauchemin.212 pages






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