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Orientations interculturelles et pédagogiques en contexte pluriethnique

 

Présentation par Marie Lacoursière

Dans les cadre des ENTREVUES menées par le groupe PERFORMA, Monsieur Normand Martineau, répondant réseau du groupe Performa de l’Université de Sherbrooke au Campus de Longueuil, s'est entretenu avec madame  Denise Lemay sur le thème  des « orientations interculturelles et pédagogiques en contexte pluriethnique », qui fera l’objet d’un cours de formation durant la session hiver 2012.

Madame Denyse Lemay, détient un doctorat en Sciences de l’éducation de l’Université de Montréal ainsi qu’une maîtrise en anthropologie de la même université. La thèse doctorale de madame Lemay portait sur l’interculturalisation des programmes de formation au collégial. Après avoir occupé des fonctions d’enseignante au collégial et occupé un poste de conseillère pédagogique au cégep de Bois de Boulogne à titre de responsable des services d’éducation interculturelle, elle a été adjointe à la direction des études au collège Bois de Boulogne. Ses recherches et travaux portent sur les questions liées aux accommodements ou ajustements dans les collèges en lien avec la question interculturelle. 

Bonjour Madame Lemay. À la session hiver 2012, vous proposez une nouvelle activité à PERFORMA qui s’intitule Orientations interculturelles et pédagogiques en contexte pluriethnique, qui sera offerte au cégep Marie-Victorin en réseau. Pourriez-vous nous expliquer quels sont les grands objectifs de cette activité ?

De plus en plus, les professeurs reçoivent des étudiants d’ethnies diverses, que ce soit des immigrants ayant le projet de vivre au Québec ou que ce soit des étudiants étrangers venus dans la perspective de retourner dans leur pays une fois leurs études terminées. Ces étudiants apportent en classe un bagage culturel nouveau, une expérience, des valeurs, et quelques fois, des points de vue différents de ceux de la majorité des étudiants ; s’ils ont étudié dans leur pays, ils ont souvent connu une autre approche de l’école, des rapports aux professeurs, des exigences académiques ; certains maîtrisent encore plus ou moins la langue française ; enfin, ils peuvent réclamer des attentions spéciales en fonction de leur pratique religieuse, de leurs croyances. De plus, s’ils sont en assez grand nombre, ils peuvent influencer la dynamique d’une classe : par exemple, des propos offensants peuvent leur être adressés, ils peuvent former des sous-groupes fermés sur eux-mêmes ou volontairement tenus à distance par les autres. Comment réagir devant ces situations ? C’est cette question que veut aborder le cours.

Mais cette question a plusieurs racines. Comment réagir ponctuellement devant ces situations, dans quel but, en se fondant sur quels principes, sur quelles valeurs ? Quelle place sommes-nous prêts à faire aux étudiants d’ethnies diverses dans nos collèges ? Quelle place sommes-nous prêts à faire aux immigrants dans notre société ? Jusqu’où peut aller notre ouverture aux autres ? Y a-t-il menace de perdre des parties de notre culture québécoise francophone si elle devient trop ouverte, trop tolérante ? La société québécoise réfléchit depuis plus de 40 ans à ces questions et elle a donné des réponses, des orientations interculturelles qui guident ses institutions. C’est pour cette raison que le cours s’intitule Orientations interculturelles et pédagogiques. Il aborde les orientations choisies par le Québec pour l’intégration de ses immigrants et les applications particulières que prennent ces orientations dans la réalité des collèges. Le cours poursuit donc le double objectif de traiter d’une part des grandes lignes du cadre québécois de relations interculturelles, et d’autre part de réfléchir à la façon dont ces grandes lignes s’appliquent dans une classe de cégep, dans un collège. Mettre en place un accommodement qui soit raisonnable quand cela est nécessaire, créer un climat de classe ouvert et inclusif, gérer une classe pluriethnique, former aux relations interculturelles, en harmonie avec un cadre clair de relations interculturelles déjà défini par la société québécoise.

Depuis la Commission Bouchard-Taylor, la question des accommodements raisonnables a suscité, dans l’ensemble de la société et en milieu scolaire particulièrement, des questionnements, des débats et des prises de position qui, parfois, ont amené des malaises. Votre activité aborde-t-elle cette question et comment celle-ci pourrait-elle aider les enseignants à clarifier leur position sur la question des accommodements ?

Le cours présente précisément les débats, les questionnements et les positions diverses exprimées récemment autour des questions de la place de l’expression religieuse dans la société québécoise, des conflits de valeurs sur les rapports entre les hommes et les femmes dans diverses cultures, sur les limites aux ajustements que la société veut faire pour tenir compte de la diversité ethnique dans nos institutions québécoises. Jusqu’où veut-on aller dans l’ouverture aux autres ? Quand pourrions-nous être traités de racistes ? Y a-t-il des dangers pour la sauvegarde de la culture québécoise francophone ? Le cours permet de comprendre clairement les positions officielles de l’État québécois sur ces questions, celles des différents groupes sociaux qui se sont prononcés à l’encontre de ces positions. Il est pertinent pour le personnel des cégeps de comprendre que ces positions divergentes s’expriment également dans notre milieu ; en les reconnaissant, on peut mieux se situer par rapport à elles et faire ses propres choix.

Les enseignants vont inévitablement clarifier leur position sur les accommodements raisonnables dans le sens où ils vont prendre connaissance de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, des clauses reliées à la discrimination et à sa réparation, des obligations juridiques qui en découlent. Les principales demandes de traitement particulier en provenance d’étudiants de religions, de cultures ou de langue différentes de celles de la majorité vont être étudiées. Les enseignants seront amenés à comprendre quand ils sont obligés de répondre par une recherche d’accommodement raisonnable à l’une ou l’autre de ces demandes et quand ils ne sont pas contraints juridiquement de le faire ; ils peuvent alors choisir d’intervenir ou non. Ils vont discuter de leurs choix, de leurs préférences face à l’expression de la diversité culturelle au collège et clarifier les fondements de ces choix.

Croyez-vous que les enseignants sont suffisamment outillés pour faire face à des réalités nouvelles liées à un contexte de classe pluriethnique ?

Si on parle d’une ouverture générale à comprendre et à faire une place à la diversité culturelle, cela varie beaucoup selon les expériences interculturelles préalables des enseignants, leur discipline de formation qui les a plus ou moins préparés aux relations interculturelles, et des opportunités de formation interculturelle qui leur ont été offertes et dont ils se sont prévalus. Bref, certains le sont, d’autres plus ou moins. Si on parle de préparation professionnelle précise permettant d’assurer une formation interculturelle adéquate à l’ensemble de ses étudiants, cela s’avère plus rare.

Pourtant les collèges ont des responsabilités juridiques à l’égard des situations requérant des accommodements raisonnables, et ils seraient tenus responsables d’un non-respect de la Charte des droits et libertés de la personne à l’endroit d’étudiants et de membres du personnel se plaignant d’avoir été traités avec discrimination. La responsabilité des collèges consiste à faire connaître la Charte des droits, s’assurer qu’elle est respectée quant à l’application des accommodements raisonnables quand ils sont requis. Afin de s’acquitter de leurs responsabilités, les collèges doivent former le personnel à l’application de la Charte. Étant donné la nature complexe des décisions quant à l’obligation d’accommodement, à la nature des accommodements possibles, aux démarches de conciliation avec l’étudiant ou le membre du personnel plaignant, plusieurs collèges en ont attribué la responsabilité particulière à un des membres du personnel afin que celui-ci puisse développer et maintenir une expertise sur les questions interculturelles.

La gestion des relations interculturelles au cégep est donc un domaine de spécialité qui requiert des connaissances spécifiques quant aux orientations interculturelles déjà prises par l’État québécois, aux responsabilités juridiques qui découlent de l’application de la Charte, et des habiletés pédagogiques particulières pour gérer la diversité en classe, en faire un milieu de formation pour l’ensemble des étudiants. La formation interculturelle des enseignants est donc nécessaire et elle peut être plus ou moins approfondie selon les contextes énumérés plus haut.

Selon vous, le contexte pluriethnique des classes est-il porteur d’une pédagogie qui pourrait s’appliquer à des situations d’enseignement autres ? Autrement dit, au-delà des adaptations propres à un contexte pluriethnique, quels sont les éléments qu’un enseignant pourrait utiliser dans n’importe quelle classe ?

La transposition d’une pédagogie interculturelle la plus immédiate est sûrement à l’endroit des étudiants handicapés. Selon les mêmes clauses de la Charte, tant les étudiants issus de l’immigration et les étudiants étrangers que les étudiants handicapés ne peuvent être discriminés en fonction de leur langue, de leur ethnie, de leur religion ou de leur handicap et s’ils le sont, ils ont droit à des accommodements raisonnables ; ce sont là des obligations juridiques communes aux deux types d’étudiants. Les habiletés que les enseignants auront développées pour accueillir, intégrer, accommoder et faire une place aux étudiants d’ethnies diverses serviront à faire de même pour les étudiants handicapés.

De plus, la pédagogie interculturelle est une pédagogie qui fait une place à la différence ; elle tient compte des différences ethniques entre étudiants et vise la formation de tous les étudiants à la compréhension du phénomène de la diversité. La pédagogie interculturelle est une forme de pédagogie différenciée et nous constatons de plus en plus combien nos classes sont souvent hétérogènes. La pédagogie interculturelle qui traite de la diversité, qui fait une place à la diversité, peut s’avérer utile face à d’autres différences chez les étudiants : différences de formation antérieure, différences d’intérêt et de disponibilité pour les études, différences de styles d’apprentissage, différences d’habiletés dans les multiples activités pédagogiques.

Votre propre démarche de chercheuse et vos interventions sur la question interculturelle sont bien connues dans le réseau des cégeps. J’aimerais savoir ce qui vous a menée à vous intéresser à ce sujet ?

Ma formation en anthropologie est assurément le point de départ de mon intérêt pour les relations interculturelles au Québec. Quand, suite à la Loi 101, de forts contingents d’enfants d’ethnies très diverses sont arrivés dans les écoles primaires de langue française, des enseignants, des professionnels et des directions d’écoles ont constaté certains problèmes de compréhension de cette réalité nouvelle, et de communication avec les élèves et leurs familles. Pour moi, c’était là une situation d’anthropologie appliquée que j’ai essayé de comprendre ; j’ai donné de la formation à des professeurs d‘école primaire et secondaire afin qu’ils puissent mieux exercer leur rôle professionnel dans un contexte pluriethnique.

Puis certains de ces élèves obligés de fréquenter le système scolaire de langue française au primaire et au secondaire ont décidé de poursuivre volontairement leurs études postsecondaires en français ; les cégeps les ont accueillis à partir de la fin des années 80. À ce moment, le collège de Bois de Boulogne comptait parmi ceux qui en recevaient le plus. En tant que professeure d’anthropologie, j’ai alors rencontré des étudiants qui ne maîtrisaient pas suffisamment le français pour comprendre leurs cours, mais qui avaient un projet ferme de réussir leurs études pour retourner comme professionnels dans leur pays pour travailler à sa reconstruction après la guerre ; qui contestaient les théories évolutionnistes sur l’origine de l’humanité sur la base de croyances créationnistes ; qui avaient des expériences de vie comme réfugiés de la mer très différentes de celles de la majorité des étudiants et qui avaient des responsabilités financières lourdes par rapport à leur famille restée là-bas ; qui demandaient de ne pas se présenter à un examen parce qu’ils devaient assister à une fête religieuse ; des fois, c’était vrai, des fois ça ne l’était pas. Ce sont là des exemples réels.

Avec d’autres personnes, j’ai alors créé le Service interculturel collégial afin de nous donner un lieu d’échanges, de réflexion et de formation sur l’éducation interculturelle. Nous avons tenté de cerner la problématique interculturelle telle qu’elle se présente spécifiquement au collégial, nous avons mis au point diverses solutions, puis progressivement nous sommes allés vers la recherche. Des recherches ont porté surtout sur des contenus de formation interculturelle pour l’ensemble des étudiants, et sur l’état de la réussite scolaire selon l’appartenance ethnique au cégep.

L’activité réseau DVP 805 Orientations interculturelles et pédagogiques en contexte pluriethnique d’une durée de 5 jours, sera offerte au Cégep Marie Victorin de 9 à 16 heures les 9 et 12 janvier 2012, 12 mars, 26 avril et 16 mai.Pour en savoir plus et  vous inscrire, lire la fiche descriptive.






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