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L’enjeu de la participation dans les cours en ligne
Thérèse Lafleur
Rédactrice
À la mi-session, l’élan de la rentrée s’essouffle tant pour la formation en classe qu’en ligne. Convenons que s’investir dans l’apprentissage à distance exige davantage de motivation au fil du temps. Quête de sens et soif de rapport humain émergent. La motivation s’enlise. Et si l’enjeu de la participation se révélait davantage par le biais de l’engagement ?
Sévérine Parent, professeure en Sciences de l’éducation au Campus de Lévis de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) travaille sur l’engagement et considère que l’engagement a ses bases dans la motivation. « Il y a plusieurs façons d’aborder la participation dans les cours à distance. Que ce soit en ligne ou en classe, la modalité change mais l’activité pédagogique est semblable. Pour que les étudiants soient motivés, il faut se pencher sur la tâche.Est-ce que la tâche leur permet de faire des choix ? Est-ce qu’ils ont l’impression que ce qu’ils font a du sens ?Est-ce qu’il y a une valeur à cette tâche ? C’est essentiel de toujours revenir à la base concernant les activités et je me réfère à la dynamique motivationnelle de Viau pour cela. Si l’activité est intéressante et que l’étudiant se sent capable de la faire, l’activité risque de le motiver. Mais ce qui peut être plus exigeant pour des profs habitués au présentiel et qui commencent en enseignement en ligne, c’est l’aspect affectif. On apprend de quelqu’un qui nous inspire, qui nous accroche. Mais c’est plus difficile d’accrocher quand on est en mode asynchrone. Quand l’étudiant ne nous rencontre jamais, on a beau mettre des points d’exclamation dans nos courriels, tisser un lien affectif est plus ardu. En fait, il y a trois dimensions à cet engagement dans un cours : l’affectif, le cognitif et le comportemental. Mais le défi réel de la participation en ligne est au niveau affectif. »
Motivé à s’engager
« Réussir au cégep suppose d’abord d’être motivé. » affirme madame Parent. Plusieurs études en témoignent d’ailleurs comme elle le présente dans son texte De la motivation à l’engagement, un processus multidimensionnel lié à la réussite de vos étudiants publié dans Pédagogie collégiale.Selon elle, motivation et engagement sont intimement liés. Mais alors que les enjeux associés à la motivation semblent assez bien circonscrits, ceux liés à l’engagement demeurent à intégrer.
Camille Arpin, éditrice de Profweb (Collecto), ajoute « qu’en ligne ou en présentiel les questions de motivation sont un peu les mêmes. C’est souvent de ramener autant le contenu que les évaluations à quelque chose de signifiant. Il faut montrer que la portée de la matière enseignée ne se limite pas à un examen de mi-session. Par exemple ce qui est motivant, ce sont les projets collaboratifs où les étudiants sentent qu’ils sont impliqués du début à la fin. »
Les facteurs d’engagement
Mener l’étudiant à s’engager et à persévérer dans le cadre d’un cours, notamment en ligne, s’apparente à trouver les astuces pour aligner les six faces d’un cube Rubik.Trois éléments peuvent nourrir la motivation d’un étudiant : son intérêt pour le cours, la perspective d’avoir de bonnes notes ou parce que le cours fait partie d’un parcours obligé. Par ailleurs, l’engagement de l’étudiant relève de trois autres dimensions : l’affectif, le comportemental et le cognitif. Et l’enseignement est le pivot au cœur de cet engagement.
À la base, aimer un cours suffisamment pour s’y investir et persévérer suppose un certain attachement à son enseignant et une dynamique stimulante avec ses pairs conjugués au plaisir d’interagir. Le cours devient ainsi un rendez-vous attrayant avec le savoir, le savoir-être et le savoir-faire. Apprendre ainsi, en s’engageant émotivement, justifierait l’effort d’étudier et de participer.
Dans une réflexion pédagogique, Favoriser la motivation et l’engagement des étudiants… tout au long de la session, Séverine Parent illustre les trois facettes de l’engagement.
S’ancrer dans la réalité
En présentiel ou en ligne, inciter les étudiants à l’action dans un contexte qui leur ressemble et qui les rassemble pave la voie à leur participation. En ce sens, les inviter à apprendre en réalisant des projets bien réels est gagnant.
Camille Arpin,a adapté pour le contexte collégial 8 stratégies pour améliorer la participation des étudiants à leurs cours en ligne.
Stratégies synchrones
1. La discussion en toile d’araignée
2. Le clavardage comme outil pour valider la compréhension
3. La classe inversée pour des discussions plus significatives
4. Repenser le « 1-2-Tous » pour Zoom
Stratégies asynchrones
5. Une nouvelle version du « show-and-tell » (explication de choses)
6. Créer des conversations engageantes avec des forums en ligne
7. Un atelier carrousel (gallery walk)
8. Un remue-méninges en ligne
Catherine Rhéaume, éditrice de Profweb (Collecto), ajoute que « pour soutenir les profs, il y a un répondant du Réseau REPTIC dédié à l’intégration des technologies dans tous les collèges. Ce n’est pas tout le monde qui part du même point et ce ne sera jamais tout le monde qui sera au même point non plus. Toutefois, il ne faut pas prendre les bouchées trop grosses, c’est un pas à la fois et chacun y va à son rythme. »
Profweb s’avère aussi une précieuse source d’information. Mais c’est à travers des groupes de pédagogie numérique au collégial que les intervenants interagissent de plus en plus, notamment via le groupe Facebook animé par Profweb.
Être en relation
Si développer la relation étudiant-professeur est capital pour soutenir la participation, des moyens sont disponibles pour nourrir l’expérience d’apprentissage dans un cours en ligne. Plusieurs sont d’ailleurs mentionnés dans le récent article Susciter l’engagement des élèves en contexte d’apprentissage en ligne publié dans le RIRE-CTREQ. Michelle Deschênes et Séverine Parent y insistent entre autres sur l’importance de varier les outils de communication et d’offrir de fréquentes rétroactions tout en privilégiant les interactions entre étudiants au sein du groupe.
Catherine Rhéaume explique « qu’en classe physique les étudiants se voient les uns les autres, c’est plus facile pour eux d’interagir. À distance, il y a les défis supplémentaires de faire percevoir la présence malgré la distance, de créer un sentiment de communauté même si chacun est chez lui. Dans un premier temps, par exemple, l’enseignant pourrait faire une rencontre individuelle avec chaque étudiant en début de session. C’est payant à long terme parce qu’une fois ce lien créé, c’est plus facile de veiller à ce que les étudiants ne prennent pas de retard et ils sont plus à l’aise d’interagir avec le prof. C’est essentiel de faire savoir que le prof est là, présent, même dans un cours en ligne. »
Madame Rhéaume poursuit en spécifiant « qu’on peut encourager les étudiants à interagir. Pendant un cours synchrone, c’est possible de faire travailler des étudiants en sous-groupes sur les plateformes de visioconférence. Les outils de clavardage sont aussià exploiter. Un cours en ligne synchrone n’est pas un webinaire. Le cours n’a pas besoin d’être centré sur le prof et le prof n’est pas obligé d’être la seule personne qui parle devant des étudiants dont la caméra et le micro sont fermés. Ils peuvent être amenés à interagir. Mais ce n’est pas non plus parce que l’étudiant garde sa caméra éteinte qu’il est passif. Parfois, c’est déstabilisant de ne pas savoir ce que l’étudiant fait, de ne pas le voir. Mais ça n’empêche pas de poser des questions, de faire des sondages interactifs, d’utiliser les tableaux blancs collaboratifs. »
« Un défi lié au cours synchrone, c’est la fatigue. » enchaîne Catherine Rhéaume. « Être en vidéoconférence pendant huit heures, c’est très difficile pour le prof et les étudiants. Les profs auraient avantage à maximiser l’utilisation des séances synchrones, à les raccourcir et à les réserver aux éléments qui demandent de l’interactivité. Les autres contenus pouvant être transposés en lectures ou en capsules vidéo préenregistrées que l’étudiant peut écouter quand il veut. Si on opte plutôt pour une formule entièrement asynchrone, alors il faut comprendre que gérer son temps demande de l’autonomie. L’étudiant doit se motiver à faire les choses qu’il doit faire au moment où il faut qu’il les fasse. Le prof va donc devoir être très actif sur la plateforme de cours, envoyer régulièrement des messages écrits et des messages vidéos, être actif sur les forums, interagir beaucoup afin de s’assurer d’avoir un lien avec chacun pour qu’il suive le bateau. »
Camille Arpin précise que le rôle d’un enseignant est d’être présent et accessible pour ses étudiants. « L’idée est de tisser un lien et non pas d’attendre seulement les copies d’examen à la semaine sept. L’attention constante du prof est essentielle pour sécuriser les étudiants. »
Une avancée majeure
Camille Arpin croit que le virage technologique était déjà amorcé. La crise sanitaire actuelle a forcé son adoption à vitesse grand V, ce qui a bousculé tout le monde. Selon madame Arpin « Cette familiarisation accélérée va donner place à davantage de formation en mode hybride ou comodal où les étudiants assistent à quelques cours en classe seulement. Trouver d’autres manières d’enseigner va mettre ce modèle de l’avant dans le réseau. »
Somme toute, bien que cette pandémie ait imposé aux cégeps de s’adapter extrêmement rapidement, chaque professeur et chaque étudiant a enrichi son expérience d’un gain technologique. Et l’exercice démontre la force des communautés collégiales et la solidarité du réseau.