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Le cinéma québécois comme prétexte d’enseignement
Par Élise Prioleau
Des enseignants et chercheurs entendent faire mieux connaître le cinéma québécois comme stratégie pédagogique. Une récente recherche publiée sur le sujet par les enseignants du Cégep Garneau, Marianne Gravel et Laurent Pelletier ainsi que Christian Poirier de l’Institut national de recherche scientifique, révèle le haut potentiel du cinéma comme stimulateur culturel et intellectuel.
Les étudiants voient en moyenne deux films québécois par année, selon les résultats de la recherche Le cinéma québécois dans l’environnement collégial (2019). À l’origine de l’étude, un constat : les étudiants québécois connaissent très peu leur cinéma national. « Dans mon cours sur le cinéma québécois, j’ai observé que mes étudiants finissants en cinéma ne connaissaient pas l’histoire du cinéma québécois. Dans une classe de 30 étudiants, en moyenne deux étudiants connaissent les grands classiques d’ici », explique Marianne Gravel, enseignante en cinéma au Cégep Garneau.
L’enseignante a voulu enquêter sur la réceptivité des étudiants lorsqu’on leur présente des films de répertoire ainsi qu’un bagage de connaissances qui leur permettent d’entamer une réflexion critique en classe. C’est ainsi qu’à vu le jour une recherche-action, menée auprès de 25 étudiants d’un cours complémentaire en cinéma. Une recherche principalement basée sur des laboratoires de visionnement et d’analyse de films du répertoire québécois.
« L’étude révèle que lorsqu’on leur propose de visionner des œuvres en contexte scolaire, l’intérêt des étudiants pour le cinéma d’auteur se déploie. Nous constatons que les étudiants adhèrent avec ouverture au cinéma indépendant, malgré qu’ils le connaissent peu au départ. »
L’idée de faire connaître le répertoire cinématographique d’ici aux étudiants ne date pas d’hier. Déjà en 1965, le Rapport Parent soulignait l’importance d’une éducation à l’image. Malgré ces recommandations, le cinéma québécois demeure sous-représenté dans les salles de classe, que ce soit au secondaire ou au cégep, selon la chercheuse et enseignante Marianne Gravel.
« Le cinéma national et indépendant est méconnu des étudiants. Le cégep a comme mission de leur faire découvrir de nouvelles formes culturelles.»
- Marianne Gravel, professeure en cinéma au Cégep Garneau
Une voie d’accès à la culture générale
On associe souvent le cinéma à une activité purement ludique. Le 7e art, cependant, a de multiples avantages lorsqu’il est utilisé pour stimuler le développement de la culture générale.
« Le cinéma est une voie d’accès à la culture. C’est important de montrer aux étudiants le cinéma en tant qu’objet artistique et culturel. Un objet à partir duquel peut émerger une réflexion sur la construction de l’image, sur le message inhérent au film, mais aussi sur une société donnée, une époque donnée. Le cinéma est une porte d’entrée intéressante pour bâtir en classe une réflexion critique, que ce soit en philosophie, en sociologie, en histoire et même dans les programmes techniques », explique Marianne Gravel.
Le cinéma aurait également un pouvoir immersif qui permettrait d’aller chercher les étudiants au niveau de l’affect, selon l’étude. « Le cinéma a la capacité de faire ressentir l’air du temps, l’atmosphère d’une époque donnée. Le cinéma encourage les étudiants à se réapproprier les images du passé. On court la chance qu’ils essaient de créer un dialogue avec ces époques-là. Ce sont en quelque sorte des archives vivantes. »
Par exemple, un enseignant qui aborde l’époque de la Révolution tranquille pourrait présenter à ses étudiants le film Le chat dans le sac de Gilles Groulx. « Parfois, les enseignants sont réticents à ne montrer qu’un extrait. Je pense, au contraire, qu’un extrait bien choisi peut également être très intéressant dans le cadre d’une démarche pédagogique », termine Marianne Gravel.
L’Arrivée de Denis Villeneuve en psychologie
Depuis 5 ans, l’enseignant Éric Kirouac utilise le film L’Arrivée de Denis Villeneuve dans le cadre de son cours d’introduction à la psychologie. Le film de science-fiction raconte l’histoire de l’arrivée sur terre d’êtres venus de l’espace pour offrir à l’humanité une technologie inédite qui utilise les souvenirs inscrits dans la mémoire.
Éric Kirouac, enseignant en psychologie au Cégep Garneau
«Le film nous permet d’aborder en classe les états de conscience modifiés, l’origine de la mémoire, la gestion du stress, etc. Après le visionnement du film, on amorce une réflexion commune autour du film, en relation avec les notions de psychologies vues en classe. Par la suite, dans le cadre du travail final, je demande aux étudiants de démontrer leur capacité de faire des liens originaux entre le film et la matière du cours», relate l’enseignant.
« 75 % des étudiants disent que la présence d’un film a soutenu leur motivation dans le cours. »
- Éric Kirouac, enseignant en psychologie au Cégep Garneau
Le défi selon Éric Kirouac est de sélectionner le bon film. « Au départ, je pensais me lasser de réutiliser le même film année après année. Au contraire, on arrive à faire de nouveaux liens tous les ans. C’est une source de motivation et d’intérêt pour les étudiants, mais aussi pour moi. C’est toujours très agréable de corriger des travaux originaux qui mettent en valeur la capacité des étudiants à construire une pensée fondée sur la mise en lien de notions pluridisciplinaires. J’espère les amener à aller plus loin que d’apprendre par cœur des notions. Il s’agit d’apprendre à les utiliser.»
Laurent Pelletier et Marianne Gravel enseignants au Cégep Garneau. À droite, Christian Poirier de l’Institut national de recherche scientifique.