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La pédagogie inclusive, modèle éducatif du futur ?
Par Élise Prioleau
Le réseau collégial compte aujourd’hui près de 20 000 étudiants en situation de handicap (ESH). Une hausse de 850 % depuis 2009, selon le ministère de l’Éducation1. Cette ouverture aux différences va de pair avec un intérêt croissant pour la pédagogie inclusive. En quoi consiste ce modèle ? Est-il déjà appliqué dans le réseau collégial ?
En moyenne 20% des étudiants est en situation de handicap2. Les demandes d’accommodements particuliers sont en hausse dans les établissements. Aux étudiants en situation de handicap s’ajoutent les étudiants travailleurs, plus âgés, internationaux et autres. L’étudiant dit normal existe-t-il encore ? Ce constat a donné naissance à un modèle en émergence dans les pays occidentaux : l’éducation inclusive.
« La pédagogie inclusive postule qu’il n’existe pas d’apprenant typique et que la diversité est la norme3. Cette approche permet d’adapter l’enseignement à cette diversité, sans baisser son niveau d’exigences académiques et dans le but de prévenir les obstacles arbitraires à la réussite », rappelait Céline Péchard, conseillère pédagogique et membre du Comité conseil permanent sur l’éducation inclusive (CCPEI) de l’UQAM, lors d’une récente conférence.
Pour être inclusif, il s’agit de varier les moyens de communication, de diversifier les pratiques pédagogiques et d’offrir des choix aux étudiants au niveau des évaluations. Accorder suffisamment de temps pour la réalisation des travaux, donner des consignes claires et précises à l’oral et à l’écrit, rendre accessible le matériel de cours sur la plateforme numérique et s’assurer que les personnes se sentent libres de s’engager dans une discussions ont des exemples de pratiques inclusives.
Roch Ducharme, directeur du Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap (CRISPESH).
Les avantages du modèle inclusif
La pédagogie inclusive offre aux enseignants des méthodes, qui à long terme leur permettent de gagner du temps, selon Roch Ducharme, directeur du Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap (CRISPESH). «Par exemple, un enseignant pourrait choisir d’offrir à ses étudiants un plan de cours accessible en ligne, avec ses coordonnées, sa biographie, la description du matériel requis, la présentation des travaux, des exemples de travaux et une vidéo de présentation du cours. Dans ce cadre-là, les étudiants qui ont une dyslexie vont mieux comprendre les explications en format audio. Ceux qui ont un trouble du déficit de l’attention vont avoir accès au plan de cours à l’avance et pourront mieux se concentrer pendant le cours, et ainsi de suite», explique Roch Ducharme.
La « classe inversée » est une autre méthode inclusive. Il s’agit de demander aux étudiants de voir la matière à la maison par l’entremise de vidéos explicatives ou de textes. Par la suite, l’étudiant met en pratique ses apprentissages en classe avec le professeur. En prévoyant un encadrement de groupe lors de la pratique, cette méthode permet par la suite de réduire les questions individuelles souvent récurrentes4.
Les méthodes pédagogiques inclusives permettent aux enseignants de prévenir la répétition d’accommodements individuels, explique Roch Ducharme. « Les enseignants doivent composer avec de nombreuses demandes de leurs étudiants, qu’ils traitent généralement au cas par cas. C’est lourd à gérer. En revanche, ce que les enseignants mettent en place pour accommoder un maximum d’étudiants en situation de handicap, ça sert aussi à l’ensemble des étudiants. »
Un système inclusif ne vise pas à éliminer les stratégies d’accommodement personnalisées, mais permet de les réduire, soutien Roch Ducharme.« Comme le montre le modèle RAI, un système éducatif basé sur des méthodes inclusives pourrait répondre à 80 % des besoins particuliers. Aujourd’hui, la portion d’accommodement universel située en bas du triangle est encore très petite », reconnaît-il. « Pour que notre système d’éducation devienne inclusif, c’est l’ensemble des acteurs du réseau qui doit revoir ses pratiques. C’est là que ça peut créer des frictions, car ça demande des changements. »
Une réforme systémique
La pédagogie inclusive ou universelle est une approche qui suggère que l’institution d’enseignement porte la responsabilité de l’inclusion des étudiants. Un modèle social qui s’oppose au modèle traditionnel, qui remet la responsabilité de s’adapter à l’individu. Plus concrètement, la pédagogie inclusive est un processus de réforme systémique. Il s’agit de valeurs, de politiques, de normes et de pratiques pédagogiques nouvelles à adopter collectivement5.
Depuis 10 ans, le modèle inclusif suscite de plus en plus d’intérêt. Un phénomène directement lié à la reconnaissance récente des besoins d’un nombre croissant d’étudiants en situation de handicap. Rappelons qu’en 2010, le MELS a revu son modèle d’organisation des services au postsecondaire et bonifié son soutien aux étudiants en situation de handicap. Dès 2013, des services ont été offerts aux étudiants dont le handicap est invisible, comme la dyslexie, la dysorthographie, les troubles d’apprentissage ou de santé mentale. Des fonds ont alors été accordés pour soutenir ces étudiants-là, ce qui a permis leur intégration en plus grand nombre au collégial6.
Émilie Boulet-Levesque, directrice du CCSI de l’Ouest
Un constat encourageant
En juin 2012, les Centres collégiaux de soutien à l’intégration (CCSI) ont été créés pour orchestrer la mise en place des mesures d’intégration offerts aux étudiants en situation de handicap. Le réseau collégial va dans la bonne direction en matière d’inclusion, constate Émilie Boulet-Levesque, directrice du CCSI de l’Ouest et Alexandre Girard-Lamontagne, coordonnateur du CCSI de l’Est.
Alexandre Girard-Lamontagne, coordonnateur du CCSI de l’Est
« Nous percevons que le personnel des établissements, y compris les enseignantes et enseignants, sont de plus en plus nombreux à adopter des mesures inclusives. Nous constatons des efforts considérables vers l’adoption de bonnes pratiques pédagogiques qui peuvent répondre aux besoins des ESH. C’est un bon pas vers l’inclusion de cette population étudiante, mais aussi vers l’inclusion des autres populations étudiantes qui ont des besoins particuliers », affirment-ils.
Pour les enseignants qui souhaitent adopter des méthodes plus inclusives, la première étape est de tester des stratégies variées, selon Émilie Boulet-Levesque et Alexandre Girard-Lamontagne.« Pour adopter un choix de stratégies pédagogiques plus inclusif, nous pensons qu’il est primordial de connaître une variété de méthodes et d’outils d’enseignement, de les avoir essayés et d’en avoir évalué les impacts. C’est à ce moment qu’il y a un choix éclairé qui est fait par un enseignant pour répondre aux besoins de ses groupes d’étudiants en adoptant une ou plusieurs mesures inclusives », précisent-ils.
Si les méthodes inclusives permettent de créer des conditions d’apprentissage équitables pour les étudiants, elles contribuent également à la qualité des relations, concluent Émilie Boulet-Levesque et Alexandre Girard-Lamontagne. « À notre avis, la relation enseignant-étudiant peut bénéficier significativement d’un climat de classe inclusif. »
1Source : données du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) recueillies par le Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap (CRISPESH).
2Donnée du CRISPESH.
3Anne Meyer, David Howard Rose, David Gordon, 2014, Universal Design for Learning: Theory and Practice, CAST Incorporated ; in Céline Péchard, Marie-Christine Dion,Adopter des pratiques pédagogiques inclusives : pourquoi et comment?, Conférence organisée par le Groupe d'intervention et d'innovation pédagogique (GRIIP), octobre 2019.
4Céline Péchard, Marie-Christine Dion,Adopter des pratiques pédagogiques inclusives : pourquoi et comment?, Conférence organisée par le Groupe d'intervention et d'innovation pédagogique (GRIIP), octobre 2019.
5 Idem
6Source : CRISPESH