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Enseigner et apprendre, une danse à deux !
Par Thérèse Lafleur
« La question d’engager les étudiants dans leur processus d’apprentissage est très présente actuellement considérant le contexte, considérant la pandémie, considérant que les étudiants sont en perpétuelles adaptations et qu’au plan de l’engagement scolaire, c’est un défi pour toutes et pour tous. » affirme d’entrée de jeu le professeur Simon Larose, conférencier principal au Colloque pédagogique 2022 du Collège Ahuntsic, qui s’est tenu le 12 janvier sous le thème Diversités d’apprenant.e.s, Diversités d’enseignements.
Simon Larose, professeur titulaire,
Faculté des sciences de l’éducation, Université Laval
Au cours de sa conférence Comment nos théories implicites sur les étudiants façonnent-elles nos façons d’enseigner et d’innover ?, Simon Larosei, professeur titulaire à l’Université Laval et directeur de ESH/Transitionii , aborde le rôle des pédagogues et de l’institution, le pouvoir réel d’agir, les perceptions tant des enseignants que des étudiants ainsi que le recours aux théories implicites de l’intelligence pour façonner l’engagement scolaire selon le modèle TARGETS.
Bien que la recherche démontre que le pouvoir d’action en tant que pédagogue ou acteur institutionnel soit limité, l’expérience collégiale demeure une danse à deux comme le mentionne monsieur Larose qui conclut que :
- Les enseignants ont un rôle important, mais modeste sur l’engagement des étudiants ;
- Entretenir la culture de l’éducabilité cognitive et sociale à l’échelle de l’enseignement et de l’institution représente le premier pas vers le renforcement de l’engagement des étudiants ;
- L’instauration de climats centrés sur la maîtrise des apprentissages représente le second pas vers l’atteinte de cet objectif ;
- Il faut demeurer modeste dans nos intentions pédagogiques en période de crise et miser sur la bienveillance. L’enseignement à distance n’est cependant pas une barrière à l’instauration de climats favorables à l’engagement et aux apprentissages. Il s’agit d’être créatifs !
Les déterminants de la diplomation
Pour présenter les déterminants de la diplomation, le professeur Larose réfère à une étude ayant suivi 444 enfants de la maternelle jusqu’à 23 ans, des jeunes qui ont tous accédé aux études postsecondaires. Les mesures de départ faites auprès des parents et des enseignants portaient sur l’agressivité, la prosocialité, l’anxiété et aussi la qualité des encadrements à l’école et à la maison tout comme le niveau d’éducation des parents, le revenu familial et la structure parentale alors que les enfants étaient âgés de 5 et 6 ans. L’ensemble des mesures collectées ont permis aux chercheurs d’élaborer un indice d’adversité.
Lors de la transition vers le cégep de ces jeunes, la qualité de leurs expériences collégiales soit de se conformer aux exigences de leur programme ou de tisser des relations positives ont fourni une mesure d’intégration scolaire et une mesure d’intégration sociale.
En combinant l’histoire développementale, donc toutes les expériences en amont de la transition au collégial plus les expériences liées à ce qui a été vécu en première session, le modèle permet de comprendre près 35 % de la variance de la diplomation à l’âge de 23 ans. Et de ce 35 %, un modeste 9 % est expliqué par l’expérience collégiale.
« En d’autres termes, quand nous tentons d’expliquer la diplomation qui passe d’abord par l’engagement scolaire, une bonne partie de cette diplomation dépend de l’histoire développementale et une moins grande partie, tout de même significative de 9 %, dépend de la qualité des premières expériences au collégial. » précise monsieur Larose. « C’est sur 9 % que nous pouvons agir, bien humblement. »
Les attentes et les croyances des enseignants
Créer chez les autres ce que l’on attend d’eux, c’est l’effet Pygmalion. Le professeur Larose définit l’effet Pygmalion en éducation comme : « une prophétie autoréalisatrice qui met en évidence les effets des croyances de l’enseignant sur les apprentissages scolaires des étudiants ».
Cet effet Pygmalion provient d’une étude menée auprès d’enfants du primaire à partir d’une simulation au cours de laquelle leurs enseignants étaient informés que les enfants de leur classe seraient supérieurement brillants. Cela a suscité des attentes positives quant au QI de leurs élèves malgré le fait que les enfants étaient assignés aléatoirement dans toutes les classes. À la suite de la communication de ces préjugés positifs aux enseignants, les QI étaient remesurés dans les 12 à 24 mois suivants ainsi que des données sur la réussite scolaire. Les attentes positives des enseignants vis-à-vis les élèves supposément plus intelligents du primaire se sont traduites par de meilleurs résultats scolaires et par une augmentation de leur engagement et même de leur QI.
Alors quels sont les mécanismes qui opèrent dans l’action d’enseigner considérant l’effet Pygmalion ?
- Cela crée un climat émotionnel favorable envers le groupe d’étudiants au potentiel anticipé qui se traduit par une plus grande considération positive, plus d’interactions envers ceux que l’on croit plus intelligents ;
- Et,si certains étudiants sont perçus comme ayant un potentiel plus élevé, l’enseignant a tendance à leur proposer davantage de défis et à leur donner davantage de rétroactions.
Ce qui amène le professeur Larose à présenter une théorie implicite sur l’intelligence :
- Conception dynamique de l’intelligence — Il faut beaucoup travailler pour être intelligent. Pour être intelligent, il faut beaucoup apprendre. L’intelligence s’améliore obligatoirement en travaillant ;
- Conception statique de l’intelligence — Le niveau d’intelligence change peu même si on travaille fort. Pour être intelligent, il faut avoir certaines qualités dès la naissance. C’est difficile de changer son niveau d’intelligence.
Il précise que : « Les théories implicites sur l’intelligence n’ont rien à voir avec le QI. L’idée est de croire au potentiel des jeunes à qui nous enseignons, de croire qu’ils peuvent progresser et qu’ils peuvent s’améliorer, quel que soit le point de départ de leurs apprentissages, leur diversité, leur culture ou leur provenance socioéconomique. »
Par Amelie Poulin-Brière, traduction de "Two Mondsets" de Carol S. Dweck
Tableau extrait de la présentation de Simon Larose, professeur titulaire, Université Laval
Colloque pédagogique 2022, Collège Ahuntsic
Il poursuit en mettant les croyances de l’enseignant en perspective.
Tableau extrait de la présentation de Simon Larose, professeur titulaire, Université Laval
Colloque pédagogique 2022, Collège Ahuntsic
Et le professeur Larose propose d’aller plus loin. « Si une institution concevait l’intelligence avec une conception dynamique par exemple en adoptant un discours axé sur le potentiel de tous les étudiants. »
Tableau extrait de la présentation de Simon Larose, professeur titulaire, Université Laval
Colloque pédagogique 2022, Collège Ahuntsic
Le professeur Larose affirme que : « Nous avons tout à gagner à entretenir des croyances positives envers nos étudiants. Il faut entretenir la culture de l’éducabilité cognitive et sociale pour valoriser les efforts, utiliser l’échec comme une expérience d’apprentissage et communiquer aux étudiants qu’ils peuvent toujours s’améliorer, à plusieurs moments et quels que soient leur point de départ. Cette croyance doit aussi transparaitre auprès des étudiants en situation de handicap et à l’échelle institutionnelle. Les messages doivent être ancrés autour de cela. »
Les pratiques pédagogiques des enseignants
C’est à partir des croyances que se déploie la pratique pédagogique. Les théories implicites sur l’intelligence ont suscité de nombreux travaux et généré plusieurs modèles pédagogiques. Le professeur Larose propose l’un de ces modèles, le modèle TARGETSiii , qui s’inscrit dans l’idée d’une conception dynamique de l’intelligence et vise l’instauration de climats d’apprentissages positifs et inclusifs en classe.
Il définit le modèle TARGETS comme : « un ensemble de pratiques pédagogiques qui communiquent une perspective cohérente de l’apprentissage et de l’engagement scolaire. Cette perspective est celle de viser à développer chez les étudiants les buts de maîtrise plutôt que les buts de performance. »
Qu’entend-on par buts de maîtrise et buts de performance ? Si l’étudiant a des buts de maîtrise, c’est qu’il veut comprendre, maîtriser des concepts, en savoir plus. Par ailleurs l’étudiant peut avoir des buts de performance et chercher à se comparer aux autres pour être au-dessus de la moyenne, à performer dans le groupe.
Donc l’idée de cultiver des buts de maîtrise devrait être une idée maîtresse dans l’instauration du climat de classe. Le modèle TARGETS vise expressément l’instauration de buts de maîtrise.TARGETS est un acronyme anglophone pour résumer :
T pour Tâche— Organiser des activités d’apprentissage signifiantes pour les étudiants;
A pour Autorité— Partager les responsabilités avec la classe et évaluer ponctuellement;
R pour Renforcement— Reconnaître les acquis et les progrès de tous les étudiants;
G pour reGroupement— Former des groupes hétérogènes;
E pour Évaluation— Évaluer pour mieux faire apprendre plutôt que pour sanctionner;
T pour Temps d’apprentissage— Optimiser le temps d’apprentissage en mettant les étudiants en action;
S pour Social—Instaurer des relations sécurisantes, respectueuses et démocratiques.
Et lorsqu’un modèle associé à un climat de maîtrise, comme le modèle TARGETS, est instauré, tout un processus se met en branle au bénéfice de la réussite.
Tableau extrait de la présentation de Simon Larose, professeur titulaire, Université Laval
Colloque pédagogique 2022, Collège Ahuntsic
Après avoir abordé l’engagement, les attentes et les croyances des enseignants, mais aussi des étudiants et de l’ensemble des acteurs de l’institution, le professeur Larose propose le modèle TARGETS pour inspirer les pratiques à mettre en œuvre. Selon lui : « L’instauration d’un climat de maîtrise en classe est l’une des meilleures stratégies pour favoriser l’engagement des étudiants. »
i Simon LAROSE est professeur titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval et directeur de la composante Laval du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant et l’adolescent (GRIP-Laval). Au cours des 20 dernières années, il a mené de nombreuses recherches auprès de jeunes du secondaire et du collégial sur des thèmes comme la transition secondaire-collégial, l’accueil, l’intégration et le mentorat en sciences, ainsi qu’auprès d’élèves à risque relativement aux déterminants psychosociaux de la réussite postsecondaire. Actuellement, en partenariat avec dix collèges du Québec, il dirige le projet ESH/Transition qui vise trois objectifs généraux : 1) Décrire les accommodements scolaires et les pratiques pédagogiques inclusives perçus et utilisés par les étudiants en situation de handicap au moment de la transition secondaire-collégial ; 2) Évaluer les contributions de ces deux mesures dans la prédiction des trajectoires d’adaptation des étudiants ; 3) Explorer les barrières et facilitateurs rencontrés par les étudiants et les conseillers des services adaptés dans l’implantation des mesures d’accommodement pendant la transition secondaire-collégial.
ii ESH et transition. Accommodements scolaires, pratiques pédagogiques inclusives et trajectoires d’adaptation des étudiants en situation de handicap au moment de la transition secondaire-collégial.
ii iLe modèle TARGETS. Anderman& Patrick, 2012; Ames, 1992.