Nouvelles
Intelligence artificielle au cégep
La pensée en sous-traitance
Professeure de littérature au cégep, Élyse Dupras avait demandé à ses étudiants un travail de fin de session : ils devaient produire un recueil de citations tirées d’ouvrages au programme et les accompagner de leurs commentaires. Le résultat lui a brisé le cœur.
Au fil des corrections, Élyse Dupras a vite compris que l’intelligence artificielle (IA) s’était mêlée des travaux de la plupart des étudiants. Par mégarde, l’un d’eux avait même copié-collé la requête faite à ChatGPT (le « prompt », comme on dit dans le jargon) dans son recueil autrement impeccable.
Trop impeccable, il faut bien le dire, pour ne pas soulever de doutes.
Élyse Dupras a écrit à ses étudiants. « J’ai corrigé vos florilèges. Avec une profonde tristesse », leur a-t-elle avoué. Certains avaient manifestement utilisé l’IA pour reformuler des phrases. D’autres avaient demandé à ChatGPT d’identifier figures de style et autres procédés littéraires dans les citations.
Bref, les étudiants avaient donné leurs réflexions en sous-traitance à un robot conversationnel.
Leur professeure était dévastée. « Toute cette session, je me suis efforcée – imparfaitement, j’en suis consciente, je suis un être humain, je ne suis donc pas parfaite – de vous accompagner avec autant d’empathie que cela était possible ; de vous aider à réfléchir pour vous préparer à [l’épreuve uniforme de français], mais surtout à la suite du monde ; d’entrer en dialogue avec chacun d’entre vous, avec votre pensée, avec votre sensibilité », leur a-t-elle écrit.
« Cette confiance que je croyais mutuelle vient de se heurter au mur de l’IA. Vous avez estimé que ce dialogue entre nous était sans intérêt, que seul le résultat comptait. »
Page après page, Élyse Dupras a eu l’impression de corriger… une machine. Ça n’avait aucun sens, aucune pertinence. « Le processus d’évaluation est cassé, leur a-t-elle écrit. Vos notes ne valent plus rien. »
Cette histoire s’est passée l’an dernier au cégep de Saint-Jérôme, mais elle aurait pu se passer dans n’importe quel cégep du Québec. Et elle risque fort de se multiplier. L’intelligence artificielle chamboule l’enseignement supérieur à une vitesse folle.