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Agrandissement du Collège Dawson : appréhension dans les cégeps francophones

Article publié par Ici.Radio-Canada - Alex Boissonneault - Hugo Lavallée
 

Les francophones comptent pour le quart de la population des cégeps anglophones.

25 novembre 2020 - La décision du gouvernement Legault d'inclure l'agrandissement du Collège Dawson dans son projet de loi 66 sur l'accélération des projets d'infrastructure envoie un très mauvais message sur le statut de la langue française à Montréal, déplorent des enseignants du réseau collégial dans une lettre obtenue par Radio-Canada. Dawson affirme ne pas chercher à accueillir plus d'étudiants.

On a le sentiment que, de manière progressive, les études en français dans le préuniversitaire sont dévaluées, sont déclassées. Alors, c'est très démotivant, autant pour les professeurs que pour les étudiants, s'inquiète Yannick Lacroix, professeur de philosophie au Collège de Maisonneuve, alors que l'étude du projet de loi se poursuit.

L'enseignant, qui compte une quinzaine d'années d'expérience, a rédigé et fait circuler une lettre ouverte dénonçant l'anglicisation du réseau collégial. Une quarantaine de ses collègues l'ont signée jusqu'ici.

"Les cégeps français souffrent de cette concurrence [des cégeps anglais] dans leur chair et leur âme. Cette dynamique linguistique, outre qu'elle fait planer des nuages noirs sur l'avenir du français dans notre coin de l'Amérique du Nord, est en train de créer, lentement mais sûrement, une perte de sens dans les cégeps français de Montréal."

Extrait de la lettre de Yannick Lacroix

La question, pour lui, n'est pas tant de savoir si Dawson a besoin ou pas de nouveaux locaux ni si des cégeps francophones pourraient bénéficier des dispositions du projet de loi 66, mais de voir l'enseignement supérieur en anglais prendre encore plus d'élan.


Les cégeps anglais siphonnent l'élite étudiante montréalaise de toutes les langues maternelles. Ça, ça mène à une différenciation entre les deux sortes de cégeps, anglais ou français, et il y a à craindre que, si ça continue, cette dynamique-là, qu'il puisse se mettre en place une espèce de système à deux vitesses, à Montréal, dans le collégial public. Un système anglophone pour l'élite et un système francophone pour le reste, fait valoir l'enseignant.

Une concurrence malsaine
À l'instar de Yannick Lacroix, la présidente de la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep (FEC), Lucie Piché, estime que le réseau francophone est désavantagé, surtout dans la métropole.

Les cégeps anglophones ont une telle demande qu'ils peuvent se permettre d'aller chercher les meilleurs étudiants, et ça crée un cercle vicieux. Sur l'île de Montréal, ajoute-t-elle, c'est un étudiant sur deux qui fréquente un cégep anglophone en préuniversitaire. C'est immense.

À son avis, l'agrandissement du Collège Dawson vient alimenter une concurrence malsaine dans le réseau à Montréal. Ça vient déséquilibrer le réseau, ça vient vider les cégeps francophones de leurs meilleurs éléments. Et on ne comprend pas pourquoi, parce qu'il y a d'autres cégeps qui pourraient avoir besoin d'autres agrandissements.

C'est difficile de sortir de cette boucle-là. En ce moment, ce qui se passe, c'est que les meilleurs étudiants vont dans les cégeps anglophones. C'est facile à comprendre : un étudiant [francophone] qui se dit je vais aller étudier en anglais, c'est souvent un étudiant qui est très fort, renchérit Nicolas Bourdon, professeur de littérature au Collège de Bois-de-Boulogne et signataire du texte.

Il déplore que bien des jeunes, éduqués dans les écoles primaires et secondaires du réseau francophone, prennent le virage de l'anglais au cégep, pour ensuite y poursuivre leurs études et leur carrière.

Les taux de diplomation sont supérieurs dans les cégeps anglophones par rapport aux cégeps francophones, mais ça, c'est lié essentiellement au fait que les cégeps anglophones peuvent se permettre le luxe de sélectionner uniquement les meilleurs étudiants, renchérit Yannick Lacroix.

Le Collège Dawson n'accepte que 30 % des étudiants qui demandent à y être admis, confirme son directeur général, Richard Filion.

Même chez les non-anglophones, les meilleurs élèves semblent souvent opter pour des études supérieures en anglais.

L'anglais a la cote
Sa collègue Sonya Morin, qui a pris sa retraite ces dernières années, a aussi signé le texte. Pour elle, le problème déborde largement la fréquentation des cégeps anglophones. Même au Collège de Bois-de-Boulogne où elle enseignait, l'anglais gagnait du terrain.

Plus les années avançaient, plus on entendait les étudiants échanger entre eux en anglais dans les couloirs, à la cafétéria, dans le café étudiant. [...] Il est arrivé, en classe, que je ramène à l'ordre certains de mes étudiants; pas fréquemment, mais il est arrivé que je doive dire à mes étudiants : "En classe, on parle en français, on ne parle pas en anglais", témoigne Mme Morin.

Les parents ont un rôle à jouer auprès de leurs enfants, selon elle, tout comme l'État et les institutions publiques.

Le mouvement des étudiants vers les établissements anglophones serait tel que des enseignants s'inquiètent pour leur avenir professionnel.

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