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Une pénurie de relève menace l’aéronautique

Chronique de Jean-Philippe Décarie  La Presse+

 

24 mars 2018 - J’ai eu récemment l’occasion de visiter l’École nationale d’aérotechnique (ENA) de Saint-Hubert et c’était impressionnant de voir l’arsenal pédagogique qui est mis à la disposition des élèves qui fréquentent l’établissement. Imaginez, ils peuvent apprendre leur métier en montant et démontant 10 hélicoptères de toutes les tailles, 26 avions – Cessna, Challenger, Learjet et bientôt un C Series –, des bancs d’essai de moteurs Pratt & Withney, des trains d’atterrissage…

L’ENA est un campus du cégep Édouard-Montpetit, situé à proximité de l’aéroport de Saint-Hubert et de plusieurs entreprises du secteur de l’aéronautique. C’est un centre d’enseignement de pointe qui permet aux élèves de décrocher un diplôme d’études professionnelles au terme de trois années d’apprentissage.

L’ENA est surtout une alliée indispensable des entreprises du secteur de l’aéronautique puisqu’elle est leur principal centre de formation, et donc leur plus précieux bassin de main-d’œuvre qui permet de régénérer leur base d’effectifs. Et c’est là le problème.

L’ENA a une capacité d’accueil de 1300 élèves et compte un peu moins de 900 inscrits à son programme.

Depuis deux ans, le nombre de nouvelles inscriptions décline, alors que les besoins de main-d’œuvre de l’industrie augmentent et sont même sur le point d’exploser.

« On a beaucoup de pression de l’industrie, mais on a de la difficulté à faire le plein de nouveaux candidats. Beaucoup de parents déconseillent encore à leurs jeunes d’embrasser une formation en aéronautique parce qu’ils ne voient que les mauvaises nouvelles qui ont affecté Bombardier, notamment », déplore Sylvain Lambert, directeur général du cégep Édouard-Montpetit et de l’ENA.

« La réalité, c’est que les perspectives d’emploi n’ont jamais été aussi favorables dans le secteur de l’aéronautique. Le trafic aérien est en hausse partout dans le monde. On a une expertise et une présence industrielle importantes au Québec et, surtout, nos entreprises doivent remplacer des milliers d’employés qui partent à la retraite, » enchaîne-t-il.

Une réalité qui fait peur

C’est dans le cadre d’un souper-bénéfice pour la fondation du cégep Édouard-Montpetit que Sylvain Lambert m’a fait part des difficultés de recrutement de l’ENA.

Plus tard en soirée, Kevin P. Smith, vice-président aux ressources humaines de Pratt & Whitney Canada (PWC), m’a confirmé l’effet dévastateur que le manque de relève dans les métiers de l’aéronautique pourrait avoir sur l’ensemble de l’industrie.

Le constructeur de moteurs d’avions est l’un des plus importants employeurs de l’aéronautique au Québec avec ses 5900 employés dans son usine de Longueuil et ses centres d’activités de Saint-Hubert et de Mirabel.

D’ici 10 ans, 40 % des effectifs de l’entreprise devront être remplacés.

« D’ici cinq ans, 900 de nos 2200 employés syndiqués vont être admissibles à la retraite. On parle ici de techniciens, de machinistes, d’opérateurs. Il faut assurer une relève pour les remplacer.

« On parle ici d’emplois bien rémunérés au sein d’une grande entreprise avec des perspectives d’avancement parce qu’on favorise le perfectionnement et la progression de nos employés », m’explique Kevin P. Smith.

Le responsable des ressources humaines chez PWC est également le maître d’œuvre du chantier Relève et main-d’œuvre d’Aéro Montréal, la grappe industrielle de l’aéronautique.

« C’est un enjeu colossal. Il y a 40 000 emplois qui sont occupés présentement dans l’aéronautique et, d’ici 10 ans, plus de 22 000 postes vont être à pourvoir en raison des départs à la retraite seulement », illustre-t-il.

Sylvain Lambert, de l’ENA, souligne par ailleurs que ces chiffres alarmants ne tiennent même pas compte des nouveaux besoins de main-d’œuvre qui vont être générés par la croissance du secteur au cours des 10 prochaines années.

Pour répondre seulement en partie aux besoins de l’industrie, il va falloir que l’ENA réduise rapidement son déficit de 400 non-inscriptions et actualise son plein potentiel de 1300 élèves par année.

La situation actuelle est d’autant plus surprenante quand on sait que les entreprises de l’aéronautique s’arrachent les élèves de l’ENA pour qu’ils réalisent des stages rémunérés durant leurs études en vue de les embaucher pour de bon, une fois leur DEC obtenu.

Autre particularité de l’ENA, la moitié des élèves qui terminent leur DEC décident de poursuivre des études universitaires pour décrocher un diplôme en génie. Ça tombe bien, l’industrie aéronautique devra aussi embaucher massivement de nouveaux ingénieurs dans les cinq prochaines années pour remplacer ceux qui partent à la retraite.

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