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Réjean Bergeron, le Socrate de Montréal

Le professeur de philo pourfend le fétichisme technologique et la conception utilitaire de l’éducation

29 octobre 2016 - Texte de Louis Cornellier publié dans Le Devoir.com


La technologie est entrée à l’Institut Saint-Joseph de Québec (photo), mais pas dans le cœur du philosophe Réjean Bergeron, qui prône une école « 100 % branchée sur l’être humain ».
Photo: Francis Vachon Le Devoir
 

Je veux être un esclave !
Réjean Bergeron
Poètes de brousse (« Essai libre »)
Montréal, 2016, 236 pages

Professeur de philosophie au cégep Gérald-Godin, Réjean Bergeron intervient aussi fréquemment sur la place publique pour défendre son exigeante conception de l’éducation. Il incarne de belle façon la figure du philosophe dans la cité. Avec un style limpide et imagé, Bergeron, fort d’une solide connaissance de la tradition philosophique, parvient à faire preuve de profondeur tout en restant accessible. Son travail rappelle celui du philosophe Jacques Dufresne, naguère chroniqueur au Devoir et à La Presse.

Je veux être un esclave ! regroupe une quarantaine de textes publiés par Bergeron dans Le Devoir, La Presse, le Huffington Post Québec et la revue Argument. Plaidoyers pour la liberté, qui « ne nous est pas donnée par la nature […], mais s’acquiert au détriment de celle-ci et à travers une lutte de tous les jours » contre les modes, les préjugés et la propagande, les courts essais de Bergeron critiquent avec aplomb la conception utilitaire de l’éducation, les idées associées au prétendu renouveau pédagogique et le « fétichisme technologique » qui est en voie de contaminer tout le système scolaire, avec des conséquences désastreuses.

Partisan d’une conception conservatrice de l’éducation, du cours magistral, notamment, le philosophe fait l’éloge d’une expérience pédagogique séculaire, celle qui « se donne comme objectif d’être à 100 % branchée sur l’être humain ». Bergeron, c’est sa force, se soucie moins d’être original que d’être rationnel et lucide.

L’utile et l’essentiel

Pour le philosophe, l’idée selon laquelle le système d’éducation devrait être au service des besoins du marché du travail et, par conséquent, délesté des matières non directement « utiles » relève de la servitude volontaire. « Enseigner, écrit-il, c’est transmettre des savoirs, une culture, et non pas les compétences du jour qui demain seront dépassées. »

Quand ses étudiants lui demandent « à quoi ça sert », un cours de philosophie, Bergeron, à la manière d’un Socrate de Montréal, retourne la question à chacun d’entre eux : « Toi, à quoi tu sers ? » Manière de leur faire comprendre, évidemment, que « l’éducation ne s’adresse pas strictement au futur employé, mais à l’être humain dans son intégralité », qu’elle ne vise pas à façonner un outil humain, mais des hommes, des femmes, des amis, des amoureux, des parents, des citoyens cultivés capables d’esprit critique.

Pour Bergeron, la réforme de l’éducation et le fétichisme technologique trahissent la noble mission de la transmission des savoirs et de la culture. La première, en faisant de l’enseignant un simple guide accompagnateur des découvertes des enfants, lui retire son autorité intellectuelle et mine ainsi la valeur des connaissances dont il est le représentant. Une idée liée à la réforme, et défendue par Michel Serres dans Petite Poucette (Le Pommier, 2012), veut même que l’acquisition de ces connaissances ne soit plus nécessaire puisque, désormais, elles sont facilement accessibles grâce aux outils numériques.

Bergeron n’est pas tendre envers cette imposture pédagogique. Après avoir cité Normand Baillargeon qui rappelle qu’« une simple définition qu’on consulte ne peut être comprise que si on connaît déjà une grande part de ce qu’on y lira », il explique que la mémoire à long terme n’est pas un boulet que l’on traîne, « mais bien plutôt un lieu organique toujours en transformation dans lequel prennent place et se réorganisent sans cesse des faits, des connaissances et des schémas de réflexion à partir desquels, seulement, il nous est possible de construire une pensée et de comprendre le monde ». Aussi, négliger les connaissances au profit des compétences revient à espérer que l’intelligence puisse naître du vide.

La distraction numérique

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