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Pauline Marois, récipiendaire du Prix Guy-Rocher

Par Marie Lacoursière et Alain Lallier

Dans le cadre du dernier congrès de la Fédération des cégeps, madame Pauline Marois recevait le Prix Guy-Rocher. Elle a accepté de partager avec le Portail ses impressions et ses idées sur quelques grandes questions d’actualité.


Guy Rocher, un géant
Pour madame Marois, Guy Rocher est un géant : « Quand j’étais à l’université, j’ai étudié la sociologie dans ses manuels. Je possède toujours les trois tomes de son Introduction à la Sociologie générale. Ils sont tout cornés et barbouillés, mais j’y suis attachée. À l’époque, il était impressionnant de penser qu’un Québécois avait mis sur papier une formation globale sur la sociologie et les grands mouvements de cette discipline », explique-t-elle.

« J’ai appris à mieux connaître sa pensée en me penchant sur l’élaboration de la politique culturelle et linguistique québécoise. Mon engagement à la défense de la langue française m’a incitée à relire les textes qu’il a écrits au milieu des années soixante-dix au moment où il travaillait avec Camille Laurin. Il est fascinant de voir à quel point ses propos sont justes et toujours actuels. Guy Rocher est un géant qui a contribué à dessiner notre identité.

« Le Rapport Parent qui symbolise la révolution qu’a connue le Québec des années soixante nous a tirés vers le haut. Au sein de l’équipe de la Commission Parent, Guy Rocher a joué un rôle déterminant dans les recommandations menant à la création des cégeps. Pour moi qui ai pu mesurer l’importance de son œuvre et la grandeur du personnage, recevoir le Prix Guy-Rocher est très émouvant. Pour l’occasion, il m’a fait parvenir un mot personnel1soulignant mon apport à l’éducation. Cela m’a beaucoup touchée. »

La création des cégeps a permis une avancée exceptionnelle de l’accessibilité à l’enseignement supérieur
« La création des cégeps nous a permis de faire une avancée exceptionnelle en matière d’accessibilité à l’enseignement supérieur », selon madame Marois. « L’arrivée des cégeps dans toutes les régions du Québec, à une époque où la majorité de nos parents ne détenaient pas de diplôme de niveau secondaire, nous a permis de concevoir notre avenir avec un nouveau regard. Avec eux, les Québécois ont acquis des connaissances dans tous les domaines de l’activité humaine.

« L’implantation des cégeps a aussi eu un impact sur le développement économique des régions. En plus des formations techniques et préuniversitaires qui y sont offertes, les cégeps permettent aux régions de disposer d’outils de développement extraordinaires et riches en retombées, un lieu de communication et de diffusion du savoir de haut niveau. Nous oublions souvent l’impact de la recherche au niveau collégial, qui est en lien direct avec les réalités socioéconomiques des régions. »

Les grandes gagnantes : les filles
L’ex-ministre de la Condition féminine est particulièrement sensible aux avancées réalisées par les filles en enseignement supérieur, et ce, à un point tel qu’elles sont maintenant majoritaires tant au cégep qu’à l’université. « Les cégeps ont rendu possible la marche des Québécoises pour l’égalité. Quand certains avancent l’idée de les abolir ou de les remettre en question, je réagis avec fougue. Notre système d’éducation diffère de ce qui existe dans d’autres juridictions, mais c’est un atout, une part du modèle québécois qui contribue à notre succès. Il faut le protéger jalousement ! » 

Elle a travaillé dans un cégep
Dans sa biographie, Pauline Marois, Au-delà du pouvoir, elle raconte son passage au Cégep de l’Outaouais :
« J’ai tendance à l’oublier, confesse-t-elle, mais ce fut une belle aventure. Alors que je travaillais au Conseil régional de développement, le budget du C.R.D. a été amputé sévèrement par le gouvernement libéral de l’époque. Au même moment, le coordonnateur du cours de technique en assistance sociale a pris un congé maladie, et j’ai été invitée à le remplacer. J’ai aussi été appelée à enseigner et à superviser les stages. J’ai adoré cette expérience. Cela m’a confirmé que pour réussir, pour avancer, il faut s’investir et aimer ce que nous faisons. Pour avoir du succès, il faut s’engager avec toute son énergie. Chaque fois que j’ai des défis à relever, je m’investis en profondeur, je me documente et je me passionne. »

Ses enfants ont étudié au cégep
Les quatre enfants de madame Marois ont fréquenté les institutions publiques, et ce, tant au primaire-secondaire qu’au collégial. Catherine a commencé son cours au Collège Ahuntsic et l’a terminé au Cégep André-Laurendeau. Félix et Jean-Sébastien ont étudié au Cégep du Vieux Montréal, alors que François-Christophe a choisi le Cégep Gérald-Godin.

Son expérience de parent au cégep
« Ma relation avec le cégep en tant que parent a toujours été très positive, confie-t-elle. Je n’ai jamais eu le sentiment que mes enfants étaient laissés à eux-mêmes et sans encadrement. Évidemment, au cégep, les étudiantes et les étudiants arrivent au moment où ils deviennent adultes et apprennent la liberté. C’est d’ailleurs le chemin que je souhaitais pour mes enfants. Chacun a pu laisser libre cours à ses propres champs d’intérêt et réussir ce passage notamment grâce à la qualité des enseignantes et enseignants qui les ont accompagnés. Quand je regardais leur évolution, j’aimais ce que je voyais et je n’ai pas eu d’inquiétudes. »

La liberté d’enseignement
Lors de son allocution à la remise du Prix, madame Marois a abordé la question de la liberté d’enseignement, un sujet qui lui tient à cœur et qu’elle juge fondamental. « Quand on se met à limiter les sujets dont on peut parler, quand il devient interdit de discuter des concepts ou des idéologies, quand on réduit la liberté d’expression, je trouve que nous faisons fausse route. Pour sortir des sentiers battus, aller plus en profondeur dans nos analyses, il est important de débattre et d’entendre des points de vue différents.

« Il faut pouvoir débattre de tous les concepts et aborder toutes les questions, même celles qui pourraient blesser. Oui, soyons prudents et respectueux, mais ne refusons pas les débats. Dans la vie, il faut accepter la diversité des opinions si nous ne voulons pas revenir à l’époque du ‘crois ou meurt’, des dogmes et des religions. La société n’est pas une secte.

« J’ai hâte de lire le rapport commandé par la ministre McCann à Alexandre Cloutier, mon ancien collègue. J’espère que ça nous éclairera, que ça nous permettra non pas de nous refermer, mais au contraire de nous ouvrir.

« Un mot au sujet de l’histoire. On ne peut pas réécrire l’histoire à partir des idéologies et des valeurs actuelles.Il faut regarder lucidement le passé tel qu’il a été, avec ses bons et ses mauvais côtés, sans faire d’anachronisme. Cela nous aide à comprendre le présent et mieux définir ce qui doit changer, à définir l’avenir que nous désirons. Mais vouloir réécrire l’histoire c’est s’enfermer dans le mensonge et l’endoctrinement. »

Contrer les dérives antidémocratiques
Pauline Marois est inquiète pour la démocratie. Elle parle même de déclin. Elle croit que les établissements d’enseignement supérieur, cégeps et universités – et même les écoles secondaires – doivent jouer un rôle à cet égard. Pour elle, des initiatives doivent être prises dans les cours d’histoire pour favoriser une meilleure connaissance des institutions nationales.

« Je pense qu’il faut faire des exercices concrets de démocratie participative. Lors des élections, des débats doivent se tenir dans nos cégeps. Les institutions doivent se sentir concernées. Dans les programmes, il doit y avoir des éléments de formation à la démocratie. C’est vraiment un paratonnerre contre les dérives que l’on connaît aux États-Unis, où l’on voit des États manipuler les règles pour empêcher certaines personnes d’exercer leur droit de vote.

« Il faut aussi qu’à toutes les étapes de leur formation, les étudiants soient sensibilisés à la valeur des sources qui alimentent leurs recherches. À l’époque des médias sociaux, ils doivent apprendre à sélectionner, à faire eux-mêmes ce que les éditeurs et les enseignants faisaient pour nous autrefois. »

L’éducation, un fil conducteur
Dans sa biographie, Pauline Marois écrit : « De toutes les fonctions ministérielles que j’ai occupées, c’est celle de ministre de l’Éducation qui m’a passionnée le plus. » Elle persiste et signe. Pour elle, l’éducation est un fil conducteur dans sa vie. Son père racontait : « J’ai mangé mon pain noir; ce ne sera pas votre cas. »

« J’ai aussi une conviction profonde : la richesse des nations, c’est l’éducation. L’éducation est aussi une richesse personnelle : le pouvoir de gagner sa vie, d’être autonome. Depuis ma plus tendre enfance, l’éducation est essentielle. Mes parents auraient quêté pour nous envoyer à l’école. Pour moi, l’éducation a été un outil de promotion sociale et d’ouverture au monde. Mon passage comme ministre de l’Éducation m’a confirmé que l’éducation fait la différence entre les états et les nations. C’est vrai pour les sociétés, mais aussi pour les individus. Quand nous sommes formés, nous avons généralement une meilleure qualité de vie et nous prenons mieux soin de nous et de notre société, » conclut-elle. 
 



1Mot adressé par Guy Rocher à Mme Marois - HOMMAGE
Je tiens à remercier les membres du jury pour leur participation à ce concours. Je tiens surtout à les remercier pour l’heureuse décision qu’ils ont prise d’attribuer cette année ce Prix Guy-Rocher à madame Pauline Marois, une décision qui me réjouit. Je considère personnellement qu’il y a de multiples raisons pour justifier ce choix, étant donné le rôle éminent qu’a joué madame Marois dans la vie politique, sociale, culturelle du Québec, la place singulière qu’elle occupe dans l’histoire du Québec moderne et en particulier sa contribution à l’évolution de notre système d’éducation.

Je voudrais pour ma part ajouter ceci. Les cégeps québécois ont permis à un grand nombre de filles d’accéder à l’enseignement supérieur, un rêve autrefois irréalisable pour la plupart d’entre elles. Ce qui explique l’extraordinaire montée des femmes québécoises vers des postes supérieurs dans toutes les sphères de notre société. L’élection municipale que nous venons de vivre l’illustre particulièrement. Pour ces jeunes filles et jeunes femmes, Pauline Marois représente un modèle inspirant d’une femme qui a fait son chemin et fait sa marque dans un monde d’hommes, qui a audacieusement poursuivi une trajectoire qui l’a menée jusqu’aux postes de pouvoir et d’influence les plus élevés. La jeunesse a besoin de modèles de réussite.

Je tiens à souligner cette contribution d’exemplarité de Pauline Marois à la vie des cégeps et surtout à la motivation des cégépiennes.

Enfin, je ne peux pas ne pas mentionner que l’on doit à Pauline Marois d’avoir réussi avec adresse à faire passer nos commissions scolaires du statut de confessionnelles qu’elles furent si longtemps à celui de linguistiques, plus de trente ans après que la Commission Parent se soit vue juridiquement incapable de réaliser cette importante transformation.

Pour l’attribution de ce Prix Guy-Rocher 2021, je félicite chaleureusement madame Pauline Marois.

Guy Rocher



Il est également possible de regarder la vidéo de l'allocution prononcée par Pauline Marois, qui était sur place pour recevoir son prix.

               






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