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Du Rapport Parent à l’ouverture des premiers cégeps


 

Un entretien avec M. Martial Dassylva, docteur en histoire, auteur de La naissance des cégeps, 1964 –1971

 

Le Rapport Parent est à l’origine de l’idée de créer un nouvel ordre d’enseignement au Québec que l’on nommera « cégep ». Du concept virtuel d’Institut dessiné dans le Rapport Parent à l’ouverture des premiers cégeps à l’automne 1967, tout un travail de planification est souvent passé sous silence. Dans un mémoire de maîtrise déposé à l’Université du Québec à Montréal, La naissance des cégeps, 1964-1971, Martial Dassylva s’est attaché à retracer la trame des travaux qui ont permis l’ouverture des premiers cégeps à l’automne 1967, il y a de cela 50 ans. Nous l’avons rencontré pour en discuter. Journaliste retraité du quotidien La Presse, monsieur Dassylva déposait également en 2013 une thèse de doctorat en histoire à l’UQAM portant sur  les 25 dernières années du Comité catholique du Conseil de l’instruction publique (1939-1964).

Les 2e et 3e tomes du Rapport Parent sont remis au ministre de l’Éducation Paul Gérin-Lajoie en décembre 1964. Les premiers cégeps ouvriront leurs portes en septembre 1967. Entre les deux évènements, des étapes importantes ont permis de préparer la rentrée de 1967. Deux groupes ou comités joueront un rôle central : le COPEPP (Comité de planification de l’enseignement préuniversitaire et professionnel) et la Mission.

La création du COPEEP et l’urgence sociale d’apporter des changements
Gérin-Lajoie reçoit le Rapport Parent en décembre 1964. Il crée le COPEPP début janvier 1965, un imposant comité de 30 personnes représentant 24 groupes différents et présidé par Arthur Tremblay, sous-ministre en titre. Quelque 23 réunions se tiendront à partir de janvier 1965. Comment expliquer une telle rapidité et un tel déploiement de ressources ? Martial Dassylva parle ici d’urgence. « On parlait d’éducation depuis 1956. Déjà au retour des libéraux au pouvoir dans les années 40, c’était dans le décor. Il y a eu la grande réunion de l’éducation en 58 où, lors des Assises générales sur l’éducation, Arthur Tremblay fait une conférence de grande importance. La question de changement était dans l’air depuis un bon bout de temps. On réalisait que, par rapport aux anglophones, le Québec imposait deux années additionnelles de formation pour accéder au diplôme de baccalauréat. Le cours classique durait huit ans. Les lacunes de ce curriculum où le latin et le grec ancien occupaient une place importante étaient de plus en plus soulignées. Il y avait une urgence sociale à apporter des changements. »

Le rôle de Gérin-Lajoie
Dans ce contexte d’urgence sociale, il fallait de plus composer avec la personnalité de Paul Gérin-Lajoie, selon monsieur Dassylva. « Il était très volontaire et habitué à mener. Il n’était pas entré en politique pour perdre son temps. Il avait compris que si on avait voulu faire lentement les changements qui s’imposaient, on n’aurait pas pu vaincre certaines résistances… Et il y en avait de la résistance. Pensez-vous que les collèges classiques allaient disparaître sans résister à ce changement ? »

Le bilan du COPEPP
Quel est le bilan des travaux du COPEPP ? Parmi les résultats très concrets, c’est la mise en forme du Règlement no 2 (qui deviendra le Règlement no 3) qui attire l’attention. Il s’agit d’une sorte de mise en forme des règles administratives et légales qui devaient encadrer les futurs cégeps. Le 30 mai 1966, le règlement est complété et servira d’assises au projet de loi 26 à l’automne 66, un an avant l’ouverture des premiers cégeps.

Parmi les dossiers sur lesquels a travaillé le COPEPP, se retrouve la mise en place d’un ou deux Instituts pilotes. L’idée étant qu’il fallait expérimenter le modèle du Rapport Parent avant de l’implanter dans plusieurs régions du Québec. On avait même choisi la région du Saguenay (Chicoutimi-Jonquière) comme site pilote. Le COPEPP y tenait, mais le projet ne s’est jamais réalisé. Pourquoi ? Martial Dassylva estime que Gérin-Lajoie a jugé qu’on n’avait plus le temps de se livrer à cette expérimentation. « En politique, un an, c’est un siècle. »

Un outil développé par le COPEPP sera très utile pour la suite de choses : la carte scolaire. En fait, il s’agissait d’établir, sur la base des données démographiques de l’époque, le nombre de cégeps à implanter et dans quelles régions. Dans un premier scénario, le COPEEP prévoyait une trentaine de cégeps.

Autre dossier du COPEPP : l’appellation « cégep ». Le Rapport Parent parlait de l’Institut. Un sous-comité a présenté une douzaine de noms possibles pour les futurs établissements. Dès les premiers votes, les membres ont rejeté majoritairement le nom d’Institut. Martial Dassylva explique : « Dès le départ, on était mal à l’aise avec l’appellation “Institut”. Ça faisait bizarre. On avait au Québec toutes sortes d’instituts, dont des instituts de beauté… C’était une importation française qui n’avait pas de racines québécoises. C’est enfin Daniel Johnson qui décidera du nom de “collèges”. Pour la simple raison : les gens vont au collège, pourquoi ils ne continueraient pas ? D’autant que le mot “collège”faisait sens en anglais. Le collège d’enseignement général et professionnel adoptera l’acronyme “CÉGEP” par la suite. Plusieurs établissements ont d’ailleurs conservé le nom de collège plutôt que cégep, dont plusieurs à Montréal. »

Un changement de gouvernement intervient
Si l’opération de mise en place des cégeps avait été lancée par le parti libéral, c’est pourtant un gouvernement de l’Union nationale qui le mènera à terme. En effet, les libéraux perdent le pouvoir le 5 juin 1966. Il y avait un risque important que le chantier soit abandonné ou du moins retardé. Au contraire, il n’y eut pas de rupture. Selon Martial Dassysla, trop de dépenses avaient été engagées pour abandonner le chantier. De plus, plusieurs partisans de l’Union nationale avaient participé aux travaux du COPEPP, dont Marcel Masse. « On avait atteint un point de non-retour. Le train était parti. »

Le gouvernement Johnson poursuit la refonte scolaire
Dès le 18 août 1966, Jean-Jacques Bertrand présente au Conseil des ministres un Mémoire sur l’organisation de l’enseignement préuniversitaire et professionnel. Il est autorisé à « mettre en place les dispositifs administratifs nécessaires à l’organisation progressive de l’enseignement préuniversitaire et professionnel », et à «  faire continuer le travail sur les programmes d’études, la loi-cadre des collèges préuniversitaires et professionnels, de même que la carte scolaire. Au chapitre des mécanismes administratifs, il est spécifiquement mandaté pour créer une Direction générale de l’enseignement préuniversitaire et professionnel et une Mission des collèges composée de fonctionnaires et de représentants des institutions intéressées1. »

La Mission des collèges
En novembre 1966, l’autre grand dispositif de la mise en place des premiers cégeps est créé : la Mission des collèges. C’est le père Gaston Bibeau, clerc de Saint-Viateur et supérieur du Séminaire de Joliette, qui présidera ce comité que Martial Dassylva qualifie de « brigade légère et d’équipe volante ». Elle est composée de 13 personnes. Dans un court laps de temps (entre le 26 janvier et le 8 février 1967), la Mission sillonnera le Québec et rencontrera plus de 23 groupes ou comités souhaitant démarrer un cégep.

La loi des cinq unités
Lors des rencontres, l’équipe présente son cadre de référence qui repose sur la loi des cinq unités à la base de la création des futurs cégeps : unité d’administration, unité de direction pédagogique, unité du corps enseignant, unité du corps étudiant et unité de lieu. Une quinzaine d’autres conditions seront ajoutées au fur et à mesure de la progression de leurs travaux.

Les sept premiers cégeps retenus
Le 28 mai 1967, la Mission dépose un rapport recommandant la création de sept cégeps pour le mois de septembre de la même année et propose que le reste de l’année 67 soit voué à la préparation et à l’ouverture d’une vingtaine d’autres établissements. Les sept sites retenus sont : Chicoutimi, Jonquière, Rouyn, Limoilou, Hull, Rimouski et Sainte-Foy. Comme on le constate, aucun cégep n’est alors prévu pour Montréal et sa région immédiate.

Coup de théâtre
Le 9 août 1967, le ministre de l’Éducation demande à la Mission d’explorer la possibilité d’ouvrir quelques cégeps dans la région métropolitaine avant le 16 septembre 1967. En moins de deux semaines, la Mission recommande la création de cinq autres cégeps : Longueuil, Valleyfield, Sainte-Thérèse, Sainte-Croix (Maisonneuve) et Ahuntsic.

« Un exercice rationnel, cohérent et urgent »
Lorsqu’il considère l’ensemble de la planification entourant la naissance des cégeps, Martial Dassylva la qualifie d’« un exercice rationnel, cohérent et urgent ». Relisons la conclusion de ses recherches : « Compte tenu de l’immensité de la tâche, des enjeux en cause, des forces, des intérêts et des aspirations en présence, compte tenu également des réticences et des blocages (notamment en ce qui concerne le monde scolaire anglophone et plusieurs éléments de l’élite religieuse catholique), compte tenu, enfin, des urgences à affronter, la naissance des cégeps s’est déroulée globalement d’une façon civilisée, rationnelle et non improvisée. Aurait-elle pu être étalée sur une plus longue période ? Nous pensons, au contraire, que nous n’avions pas le choix2.  »

Entrevue et texte réalisés par Alain Lallier, éditeur en chef et édimestre au Portail du réseau collégial.

1. Martial Dassylva, (2004). La naissance des cégeps, 1964-1971, mémoire de maîtrise, présenté au Département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal, p.97.
2. Martial Dassylva, (2006). La naissance des cégeps : un exercice rationnel, cohérent et urgent, publié dans Les cégeps : une grande aventure collective québécoise, Association des cadres des collèges du Québec, Presses de l’Université Laval, p.32.






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