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Kiuna, un collège unique qui s’inspire des aspirations des premières nations et qui les respecte.

                               

Une collaboration de  madame Prudence Hannis directrice du centre d’études collégiales des Premières Nations - Kiuna  et de monsieur David Paulin enseignant à Kiuna

Kiuna est le seul centre d’études collégiales des Premières Nations au Québec. Il est le résultat de plus d’une décennie d’investissements du Conseil en Éducation des Premières Nations (CEPN) 1  qui avait reçu, de la part de ses communautés membres, le mandat d’analyser les stratégies possibles pour accroître l’accès aux études postsecondaires par les Premières Nations et ainsi augmenter leur taux de diplomation, mais aussi, et surtout, pour s’affirmer et jouir d’une plus grande autonomie en matière d’éducation2 .  

LA PERTINENCE TOUJOURS ACTUELLE DE LA MAÎTRISE INDIENNE DE L’ÉDUCATION INDIENNE

La mise sur pied de Kiuna peut être considérée comme l’une des plus récentes actions entreprises par les Premières Nations du Québec pour reprendre le contrôle de leur éducation. Parmi les actions qui ont précédé, citons particulièrement la déclaration de principe La maîtrise indienne de l’éducation indienne, présentée au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien par la Fraternité des Indiens du Canada 3. Cette déclaration, publiée en 1972, s’inscrivait clairement comme une opposition décisive au contexte de la colonisation et des politiques oppressives appliquées, entre autres, eu égard à l’éducation des Autochtones. Le système des pensionnats, dont les effets ne se limitent pas qu’aux générations qui les ont fréquentés, en est un exemple. L’absence de programmes et de contenus culturellement adaptés en constitue un autre. Nul ne peut contester aujourd’hui que l’éducation a été utilisée comme un moyen d’assimiler les Premières Nations et de les aliéner de leur culture et de leur identité. La maîtrise indienne de l’éducation indienne avait pour but de renverser ce système et de proposer des solutions qui permettraient de mettre fin à cette notion d’éducation colonisatrice.

L’ouverture du Collège Manitou, en 1973, représentait l’une de ces solutions. Le Collège Manitou était, à l’époque, le seul à offrir des formations postsecondaires culturellement adaptées et correspondantes aux espoirs et aux aspirations des Premières Nations. Ce dernier mit toutefois fin à ses activités en 1976. Durant cette courte période, il eut tout de même un impact considérable dans le monde des Premières Nations en formant des leaders influents dans le développement actuel des communautés autochtones, tels que Ghislain Picard, Lise Bastien, Lucie Lachapelle et Bernard Hervieux.4

Malgré sa fermeture, l’expérience du Collège Manitou et l’éveil qu’elle a suscité ont eu pour effet de maintenir, voire de renforcer, la mobilisation des Premières Nations dans leur quête autonomiste, par le biais de laquelle elles revendiquent la capacité et les moyens de déterminer les programmes, les contenus, les approches et les structures de gouvernance. Désireuses de se doter d’institutions permettant la pleine maîtrise de leur éducation, une éducation qui respecte leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être, les Premières Nations du Québec ont créé le Conseil en Éducation des Premières Nations (CEPN).

Fondé en 1985, le CEPN compte aujourd’hui dans ses rangs 22 communautés, provenant de huit nations qui, en association, contrôlent la destinée de l’organisation et lui donnent ses orientations5 . Depuis sa création, il y a 30 ans, le CEPN s’est imposé comme un acteur incontournable dans tous les dossiers relatifs à l’éducation des Premières Nations, à tous les cycles d’apprentissage. Ses actions sont orientées de manière à faire respecter le désir d’autonomie exprimé par ses membres, tant sur le plan politique qu’administratif, de même qu’il milite en faveur d’un système d’éducation qui valorise et qui développe les connaissances des Premières Nations dans le plus grand respect de leur identité. Kiuna, fondé par le CEPN et ses communautés membres, s’inscrit également dans cette visée autonomiste.

KIUNA : UN MILIEU DE VIE QUI NOUS APPARTIENT

Kiuna, qui signifie «À nous» en langue abénakise, est un terme tout à fait approprié pour désigner cet établissement d’enseignement conçu pour et par les Premières Nations. Situé à Odanak, une communauté abénakise du Centre-du-Québec, Kiuna accueille des étudiants provenant de différentes communautés et nations autochtones désireux d’entreprendre des études collégiales dans un environnement qui leur appartient6, qui s’inspire de leurs traditions, cultures, réalités et histoire et les reflète.
S’inspirant du modèle des institutions postsecondaires des Premières Nations (IPPN) déployées dans les provinces de l’ouest du Canada, Kiuna propose, par le biais de son programme Sciences humaines – profil Premières Nations (300.B0)7 , un environnement éducatif dynamique reposant sur la mise en valeur du patrimoine culturel et l’interaction avec les communautés, conditions essentielles à la réalisation de sa mission de former la prochaine génération de leaders, compétents et fiers de leur patrimoine culturel, soucieux du bien-être de leur communauté et ouverts sur le monde 8 inauguré en août 2011, Kiuna accueille annuellement quelque 70 étudiants, déterminés à obtenir une éducation qui leur permettra d’améliorer leurs conditions vie, motivés à contribuer à l’essor de leur communauté et à devenir des acteurs de changement social.

L’IMPORTANCE DE LA GOUVERNANCE

Kiuna est la prolongation de ces actions entreprises quelque 45 ans plus tôt, et figure parmi les symboles de l’autonomie et de la reconnaissance des compétences des Premières Nations en matière d’éducation. Kiuna est dirigé par une équipe compétente composée de membres issus d’une Première Nation, et compte parmi son personnel enseignant une forte proportion d’Autochtones. Par sa structure, son programme et son approche, Kiuna contribue à développer et à mettre l’expertise des Premières Nations en valeur. Afin de bonifier cette réalisation dans les années à venir, la gouvernance en éducation est impérative. C’est la raison pour laquelle, en 2013, les communautés membres du CEPN proposent d’élaborer un projet de gouvernance en éducation visant à « définir et mettre sur pied des systèmes d’éducation, fondés sur les principes et aspirations des Premières Nations et reflétant la diversité des cultures des Premières Nations. » 9 Cette autonomie permettrait aux différents établissements d’enseignement de mieux gérer les ressources, les différents secteurs de gestion, le contenu des apprentissages ainsi que les techniques utilisées pour les transmettre.

APPUYONS UNE FORTE GOUVERNANCE EN ÉDUCATION DES PREMIÈRES NATIONS

Ce projet de gouvernance propose un programme rigoureux, ordonné et bien structuré, comme il est possible de le constater dans le document rédigé à cet effet intitulé Appuyons une forte gouvernance en éducation des Premières Nations : Guide de normes, publié en 2015.  

Les propositions incluses dans ce projet concernent notamment le contenu des cours, l’élaboration et la gestion des programmes. Il est impératif d’avoir des programmes axés sur les besoins des jeunes des Premières Nations, tout comme des cours à contenu représentatif. Dans un premier temps pour la transmission de la culture et des valeurs, mais également pour la rétention des étudiants. Tel que mentionné dans un article de Roberto Gauthier et Miriame Blackburn, Favoriser l’accès aux études supérieures pour les étudiants des Premières Nations, les « difficultés éprouvées par l’étudiant autochtone devant l’obligation d’étudier dans une langue seconde, sans documents significatifs, avec des approches inappropriées, dans un univers étranger [ainsi que] l’attitude contestataire que les jeunes Autochtones auraient développée face à l’école occidentale, considérée comme un appareil idéologique de domination et d’assimilation » 10 constituent des appels criants pour une gouvernance en éducation chez les Premières Nations.

En leur offrant un environnement à leur image, Kiuna favorise un cheminement adapté et personnalisé qui permet à ses étudiants de progresser davantage dans leurs études. Cet environnement amenuise les difficultés d’adaptation souvent rencontrées dans d’autres établissements, notamment en raison de la valorisation de la culture et des traditions autochtones et des nombreuses occasions offertes leur permettant de renouer avec leur identité. Tous ces facteurs contribuent à augmenter la fierté et la motivation des étudiants, leurs résultats et le taux de réussite des jeunes des Premières Nations. Ce sont quelques-uns des avantages déjà visibles des premiers pas vers la forte gouvernance en éducation des Premières Nations.    

BILAN ET PERSPECTIVES D’AVENIR

Le 27 septembre 2016, Kiuna célébrait son 5e anniversaire. Cet événement constituait l’occasion de souligner les efforts soutenus des communautés, du CEPN et de l’équipe de Kiuna pour la création d’un milieu de vie et d’enseignement complètement ancré dans la culture et le développement d’une identité forte, éléments-clés du cheminement vers la réussite des étudiants. Kiuna peut certainement s’enorgueillir de compter sur une équipe compétente et dévouée pour accompagner les étudiants dans la réalisation de leur projet éducatif, et qui a à cœur la mission de l’établissement.

Cet événement a surtout permis de mettre en valeur ses étudiants et de démontrer que Kiuna répond définitivement aux aspirations des communautés pour une éducation qui les représente et s’inspire de leur réalité. Depuis son inauguration en août 2011, Kiuna a traité près de 400 demandes d’admission et compte, depuis 2013, 60 diplômés. Grâce à l’acquisition d’une culture académique solide et au renforcement de leur identité et de leur estime de soi, plus de 90% des diplômés de Kiuna sont investis dans une variété de programmes universitaires ou occupent un emploi de qualité et sont déployés aux quatre coins de la province.

 

Bien qu’elle soit une jeune institution, Kiuna est déjà en mesure de constater les impacts positifs de son programme et de ses activités pédagogiques culturelles sur les apprenants qui y cheminent, particulièrement sur leur degré de fierté, mais aussi sur leur volonté de contribuer au développement de leur communauté, tel que le démontre l’étude réalisée par Dufour publiée en 2015 11 . Forte de ses réalisations et des succès rencontrés, Kiuna envisage l’avenir de façon positive. L’an 2016 marque la fin de la phase expérimentale de Kiuna, qui amorce désormais son plan de pérennisation dans lequel figurent entre autres le déploiement de nouveaux programmes et une diversification de sa clientèle.

Biographies des auteurs
Prudence HANNIS est membre de la communauté abénakise d’Odanak. Formée en sociologie (UQAM) et en management public (ÉNAP), elle dirige le Centre d’études collégiales des Premières Nations - Kiuna - depuis sa mise sur pied par le Conseil en Éducation des Premières Nations, en février 2011.

David PAULIN est titulaire d’une maîtrise en études françaises avec cheminement en littérature et création de l’Université de Sherbrooke. Il est également enseignant à Kiuna en français, langue d’enseignement, depuis 2012, et en français, langue seconde, depuis 2013.

Notes

1. Depuis 2006 et encore à l’heure actuelle, le CEPN travaille en partenariat avec le Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue et le Collège Dawson pour consolider les bases et la gestion pédagogique de Kiuna.
2. Pour connaitre plus de détails concernant la genèse de Kiuna, consultez l’article suivant : Hannis, Prudence (2014). Faire de son éducation une tradition. Pédagogie collégiale, 27(4), p. 35-38.
3. Ancêtre de l’Assemblée des Premières Nations.
4. [http://mondeautochtone.blogspot.ca/2013/05/le-premier-college-autochtone-du-canada.html]. Pour plus de détails concernant le Collège Manitou, vous pouvez consulter le documentaire L’Éveil du pouvoir, des productions Tshinnan inc, 2009.
5. [http://www.cepn-fnec.com]
6. Le générique masculin a été utilisé tout au long du texte sans aucune discrimination et dans le seul but d’alléger le texte.
7. Le programme est reconnu et autorisé par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
8. [http://www.kiuna-college.com/apropos.aspx]
9. CONSEIL EN ÉDUCATION DES PREMIÈRES NATIONS (2015). Appuyons une forte gouvernance en éducation des Premières Nations : Guide des normes, Wendake, p.10. 
10. GAUTHIER, Roberto, Miriame BLACKBURN (2014). Pédagogie collégiale, 27(4) : Favoriser l’accès aux études supérieures pour les étudiants des Premières Nations, p. 29.
11. DUFOUR, Emmanuelle, (2015). La sécurité culturelle en tant que moteur de réussite postsecondaire: Enquête auprès d'étudiants autochtones de l'Institution Kiuna et des espaces adaptés au sein des établissements allochtones. Mémoire de maîtrise, département d'anthropologie, Université de Montréal.

Références bibliographiques
1.CONSEIL EN ÉDUCATION DES PREMIÈRES NATIONS (2015). Appuyons une forte gouvernance en éducation des Premières Nations : Guide des normes. Wendake.

2. DUFOUR, Emmanuelle (2015). La sécurité culturelle en tant que moteur de réussite postsecondaire: Enquête auprès d'étudiants autochtones de l'Institution Kiuna et des espaces adaptés au sein des établissements allochtones. Mémoire de maîtrise, département d'anthropologie, Université de Montréal.

3.GAUTHIER, Roberto, Miriame BLACKBURN (2014). Pédagogie collégiale, 27(4) : Favoriser l’accès aux études supérieures pour les étudiants des Premières Nations, p. 29-34.

4.HANNIS, Prudence (2014). Pédagogie collégiale, 27(4) : Faire de son éducation une tradition, p. 35-38.

Dossier préparé par Marie Lacoursière éditrice et  édimestre pour Portail du réseau collégial.






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