Articles

Entrevue avec Bernard Dionne et recension de livres en Sciences humaines

« Y’a personne qui trippe sur ça, la métho »

À l’occasion du nouveau cours obligatoire de Méthodologie intellectuelle, rencontre avec une sommité et compte-rendu de livres très récents sur le sujet.

Daniel Samson-Legault, Portail du réseau collégial

« C’est vous qui avez écrit des livres de méthodologie ? »

« Oui. »

« C’est vous qui nous avez fait chier pendant deux ans ! Au cégep de Granby, les profs n’arrêtaient pas de nous dire “Prenez votre Dionne”, “Vérifiez dans Dionne”, “Faites comme Dionne”… »

Cette « reconnaissance » à Bernard Dionne, ici lors d’une pause dans un cours à l’UQAM, le fait parfois passer pour un bouc émissaire. Quand il en parle, il prend avec sourire ce rôle de mal-aimé ! « Les étudiants peuvent me planter des fléchettes vaudoues… La métho, c’est platte, y’a personne qui trippe sur ça, la métho. » Quant aux enseignants, ils sont plus passionnés par leur discipline que par la métho, comprend-il.

Chenelière vient de publier une 2e édition de L’essentiel pour réussir ses études, après la 1re de 2018. Mais le succès du pédagogue Bernard Dionne date de bien plus loin. En 1982, alors que Dionne enseignait l’histoire et la méthodologie au Cégep de Saint-Jérôme comme sa collègue Louise-Marie Marquis, ils ont publié Les travaux au Cégep : guide méthodologique. Malgré sa facture modeste, il a remporté un bon succès ; un prix leur a été décerné par la Direction générale de l’enseignement collégial en 1983. Pour réussir, guide méthodologique pour les études et la recherche a suivi, chaque 4 à 5 ans, à partir de 1991, puis deux éditions de L’essentiel… En tout, neuf éditions se sont succédé de ce qui est devenu un classique de la pédagogie au collégial. « J’ai déjà calculé : on doit s’approche du demi-million d’exemplaires vendus. Je pense que j’ai touché pas mal d’étudiants dans le réseau collégial ces dernières années ! »

« Les étudiants peuvent me planter des fléchettes vaudoues… »

Parmi des milliers de styles bibliographiques, l’ouvrage traite abondamment Traditionnel-Dionne et APA7th (de l’American Psychological Association), les plus utilisés au Québec. C’est l’occasion de voir les différences et d’interroger l’économie d’espace du second. « Moi, je mets le nombre de pages », dit Bernard Dionne. « Est-ce que j’ai affaire à un ouvrage de 25 pages ou à un ouvrage de 585 pages ? Il me semble que c’est important ! » Les sciences humaines et les lettres utilisent davantage Traditionnel-Dionne tandis que la psychologie et les sciences utilisent davantage APA. Par souci d’économie d’espace peut-être, APA ne demande plus le lieu d’édition ni le nombre de pages, révélateurs pourtant. « Là où je suis d’accord avec APA, c’est pour enlever désormais la date de consultation, sauf dans le cas de Wikipédia évidemment, où je demande systématiquement la date de la dernière mise à jour. »

Il respecte évidemment la prérogative des enseignants-es pour privilégier un style bibliographique, mais il donne clairement des bases très consensuelles. Il faut éviter que ce soit l’étudiant qui « doive se dépatouiller avec les consignes de différents enseignants ».

Cure minceur

« En 2018, on a choisi de faire L’essentiel. Le livre avait grossi à 280 pages et c’était un livre qui n’était relié à pratiquement aucun cours dans le réseau collégial. »

Ce n’est donc pas la nouvelle compétence obligatoire en sciences humaines qui a dicté ce choix. « Le programme Tremplin-DEC est un programme pour les étudiants à qui il manque quelques crédits du secondaire et qui ont des difficultés d’orientation. Alors ils s’inscrivent au collégial, à condition de réussir quelques cours seulement. Ils se trempent un peu dans la culture collégiale, en français par exemple. Un cours de méthodologie avait été instauré. Il y avait un besoin criant chez ces jeunes-là. On a décidé de raccourcir le livre, d’aller à l’essentiel, d’avoir des textes extrêmement punchés pour les étudiants. Le livre s’adresse aux étudiants, pas aux professeurs. Il était temps de le mettre à jour, en 2023, d’autant plus que le nouveau cours obligatoire est arrivé en sciences humaines. »

Comment un livre peut-il passer de 280 à 218 pages, dans un format sensiblement plus petit ? « On n’a rien sacrifié. Mais plutôt que de commencer un chapitre avec une introduction, on y va direct. L’étudiant, lui, ce qu’il cherche, ce sont des recettes, des trucs éprouvés par la pratique des profs de cégep. »

Des réflexions d’actualité

S’il ne l’a pas inventé, Dionne adopte facilement le concept de « métier d’étudiant ». Quand je suppose l’étonnement des jeunes pour qui un métier est une activité principale rémunérée, il me précise en quoi être étudiant-e est un métier. « C’est un ensemble de connaissances, de pratiques, d’habiletés, de compétences… nécessaires pour atteindre un objectif. » Quant à être payés pour étudier, plusieurs en rêvent !

La clientèle étudiante se renouvelle chaque année et adopte facilement les nouvelles technologies. Le sujet de l’heure, Chat GPT et l’intelligence artificielle, intéresse beaucoup Bernard Dionne, évidemment. « Par contre, je n’ai pas d’opinion très ferme en matière pédagogique, mon livre s’adresse aux étudiants, pas aux profs. Je peux dire cependant que je conduis une veille sur ce dossier, de concert avec ma collègue Catherine Ouellette, avec laquelle j’ai préparé le matériel numérique qui accompagne L’essentiel pour réussir ses études. Nous comprenons que l’IA recèle un énorme potentiel pédagogique ainsi qu’un réel danger en matière d’évaluation des apprentissages : plusieurs auteurs ont d’ailleurs mis en évidence le fait que, dorénavant, les profs ne pourront plus demander des travaux d’un genre traditionnel comme “quelles sont les causes de la Première Guerre mondiale”, ou tout autre type de questions faisant appel à l’énoncé de connaissances facilement accessibles avec l’aide de ChatGPT, notamment. »

Bernard Dionne voit évidemment d’un bon œil les nouveaux cours et compétence obligatoires en sciences humaines, plus importantes que jamais. De 30 à 45 heures seront désormais consacrées à savoir « Appliquer des méthodes de travail intellectuel en sciences humaines ».

« Nous comprenons que l’IA recèle un énorme potentiel pédagogique ainsi qu’un réel danger en matière d’évaluation des apprentissages »

Après une longue carrière en histoire, en enseignements et en méthodologie, Bernard Dionne a pris sa « retraite » en 2019. Difficile de le percevoir dans son curriculum vitae : les entrées sont presque aussi nombreuses après qu’avant. Car cela ne l’empêche pas d’être régulièrement appelé comme consultant, ce qu’il a fait pour une université marocaine récemment, ou comme professeur. Dès 2009 d’ailleurs, il est devenu directeur du Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD) pour deux ans. Il collabore à Mon Diapason, le site de ressources en ligne sur la recherche, inspiré de l’université australienne Griffith. « Un exemple de citation, un exemple de paraphrase, un exemple de notice bibliographique, pour chaque cas de figure. C’est un complément intéressant à mon ouvrage. » Il a aussi publié deux romans historiques et en prépare un troisième. Quelle retraite ?

Deux livres sont sortis récemment sur la méthodologie intellectuelle au collégial.

 

Dans le premier cas, c’est surtout une réédition. La réédition d’un classique de clarté et d’utilité. Une bonne partie de L’essentiel pour réussir ses études traite des deux styles bibliographiques les plus utilisés au Québec, du moins en sciences humaines. Qui de mieux pour parler d’un style bibliographique qui porte son nom ? En détails sont présentés les styles APA 7e et Traditionnel-Dionne, sur 24 pages, et même jusqu’au couvert 2. Quelques pages maintenant définissent le plagiat et donnent des exemples de mauvais et de bons comportements. La partie la plus substantielle du livre porte sur la recherche et le traitement de l’information trouvée. L’ouvrage évoque Zotero comme outil bibliographique et la suite bureautique Office de Microsoft, car contrairement à la France, c’est ce qu’on utilise le plus ici dans le réseau collégial.

L’expertise de l’auteur-e orientant le contenu d’un livre, Pearson-ERPI est allé chercher deux neuropsychologues québécoises pour Savoir apprendre pour réussir. On mise ici sur le développement des neurosciences pour développer des recommandations aux étudiants. Après une brève présentation du cerveau humain, motivation, mémorisation, concentration font l’objet de conseils pratiques. Plusieurs pages expliquent ce qu’est une lecture active. Les auteures proposent courageusement aux adolescents qu’un mode de vie permet « un esprit sain dans un corps sain ». Le livre est complété par un site Web de différentes ressources multimédia, en collaboration avec l’association de mentorat professionnel Academos.

Cela dit, les recoupements sont nombreux. Dionne prend tout le chapitre 2 sur la gestion du temps et un nouveau chapitre vise à « Gérer son stress et son anxiété » ; ERPI consacre une dizaine de pages aux normes de présentation de textes.

Couleurs vives de plus en plus présentes, illustrations, infographie abondante, découpage de textes en morceaux, reliure semi-rigide solide : les deux éditeurs ont mis en place des outils attirants pour des jeunes dont le « métier d’étudiant » n’exige pas les mêmes soins qu’un métier d’archiviste !

DIONNE, Bernard (2023, 2e éd.), L’essentiel pour réussir ses études, Chenelière Éducation, 218 p.

ESCUDIER, Frédérique et Karen DEBAS (2020), Savoir apprendre pour réussir, Éditions du Renouveau pédagogique Pearson-ERPI, 274 p.