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Point de vue sur l’inclusivité dans le réseau et ailleurs

Entrevue avec Dominique Dubuc, militante pour les droits de la communauté LGBTQ+

« Une vision réseau avec des orientations gouvernementales claires contribuerait grandement à la mise en place de mesures concrètes favorisant l’inclusion des personnes des minorités sexuelles et de genre ».

Par Geneviève Lemay, rédactrice

Le 3 juin dernier, au Musée de la civilisation de Québec, Dominique Dubuc, enseignante en biologie au Cégep de Sherbrooke, a reçu le prix Action LGBTQ+ dans la catégorie Hommage, décerné par le Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie et remis par la ministre des Relations internationales et de la Francophonie et ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron.

Lors de son entrevue avec le Portail, Mme Dubuc nous parle de son implication de longue date, qui lui a permis de se distinguer pour l’obtention de ce prix. Elle nous fait aussi part de son point de vue des plus lucides sur la situation des droits des communautés LGBTQ+.

Cet article brosse un tableau réaliste d’un certain nombre de défis actuels et d’un climat de plus en plus défavorable à la lutte pour le respect des droits des personnes concernées.

Une pente politique de plus en plus glissante

Selon Dominique Dubuc, malgré les avancées collectives des dernières années au Québec, la situation actuelle demeure alarmante.

D’un côté, la désinformation bat son plein sur un nombre croissant de tribunes. De l’autre, la droite politique instrumentalise de plus en plus la transphobie au profit de sa montée en puissance : « C’est une épée de Damoclès au-dessus de la tête de toute la communauté, mais surtout sur celle des plus jeunes, qui demeurent les plus vulnérables. La montée de la droite se nourrit, comme toujours, de l’ignorance et de la haine, et il n’y a malheureusement rien de plus fédérateur que la haine à l’égard d’une minorité, quelle qu’elle soit. Les personnes LGBTQ+ en sont la cible privilégiée actuellement et il importe de prendre conscience de cette instrumentalisation politique. »

Au fil de l’entretien, il apparaît clairement que ce climat politique constitue une toile de fond difficile pour les militants.es qui souhaitent faire passer leur message. Il nuit sans aucun doute aux nombreuses initiatives menées de front par les personnes et les organismes qui luttent contre l’homophobie et la transphobie.

Des choix à remettre en question

Les grandes manifestations transphobes et homophobes qui ont eu lieu un peu partout au Canada, y compris à Montréal, de même que l’actuelle montée de la violence bien documentée à l’égard des communautés LGBTQ+, inquiètent fortement Mme Dubuc.

Elle souligne que « les autorités gouvernementales devraient tenter de calmer le jeu, de sensibiliser et d’éduquer la population quant aux réalités vécues par ces populations et les droits de celles-ci ». Ce n’est malheureusement pas ce qu’elle constate. Par exemple, elle dénonce la mise en place par le gouvernement du Comité de sages, qui a comme mandat de réfléchir aux questions liées à l’identité de genre : « Le gouvernement avait pourtant déjà tous les outils pour traiter les questions liées à la pluralité des genres avec son Plan d’action 2023-2028 et son Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Il n’y avait donc nulle raison de déployer des sommes faramineuses dans un comité qui n’a aucune expertise dans le domaine et qui ne contient aucune représentation des personnes directement concernées. »

Elle avance aussi que les actions du gouvernement ont parfois des effets qui, quoique non intentionnels, restent néanmoins néfastes. Elle cite l’exemple de l’adoption par l’Assemblée nationale de la motion contre l’utilisation de l’expression « personne ayant un vagin » dans un jugement de la Cour suprême. Cette motion a eu l’effet pervers imprévu de nier l’existence de certaines personnes non-binaires et de certains hommes trans, et surtout d’alimenter le climat transphobe déjà exacerbé. Notons que cette expression n’y a été utilisée qu’une fois contre les 67 occurrences du mot « femme ».

Les défis auxquels on peut s’attaquer maintenant et collectivement

Sans se départir de son inquiétude face à la gravité de la situation, Dominique Dubuc rappelle que nous pouvons collectivement soutenir la cause de l’inclusion en relevant des défis quotidiens, tels que l’accueil inclusif.

« Ensemble, on peut trouver le moyen d’inclure tout le monde de manière efficace, affirme Mme Dubuc. Le langage inclusif est un puissant outil qui n’invisibilise ni les hommes ni les femmes tout en tenant compte des personnes non-binaires. Le Cégep de Sherbrooke s’apprête d’ailleurs à adopter des lignes directrices en matière de communication inclusive en lien avec le genre. On y trouvera des stratégies langagières simples et concrètes permettant de reconnaître l’existence et le droit à la dignité de toustes. En 2024, on ne devrait plus avoir besoin d’en débattre. »

Aussi, la militante constate qu’au-delà du langage, des biais hétérocisnormatifs persistent encore trop souvent dans l’enseignement disciplinaire lui-même. « Par exemple, si on enseigne les dynamiques familiales en sociologie sans parler de l’homoparentalité, il y a un problème », soulève-t-elle.

Le soutien essentiel du réseau pour faire avancer la cause

En vérité, la prise en charge du dossier LGBTQ+ est actuellement inégale d’un cégep à l’autre. Par exemple, au Cégep de Sherbrooke, plusieurs initiatives ont été réalisées pour rendre le climat explicitement plus inclusif, mais ce n’est pas le cas partout : « Une vision réseau avec des orientations gouvernementales claires contribuerait grandement à la mise en place de mesures concrètes favorisant l’inclusion des personnes des minorités sexuelles et de genre. »

Dominique Dubuc met également en lumière l’importance du rôle des organisations syndicales, comme la CSN et la CSQ, qui sont au front pour les droits des personnes LGBTQ+ depuis des décennies. Aujourd’hui encore, elles poursuivent assidûment ce combat, par exemple en s’impliquant dans la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation, mais aussi dans diverses avancées légales, telles que l’union civile, le mariage et, plus récemment, la reconnaissance légale des personnes non binaires : « Le fait de pouvoir avoir un X plutôt qu’un M ou un F sur ses papiers d’identité est très porteur et significatif pour ces personnes. Il reste maintenant à ce que cette légitimité officielle chèrement acquise percole dans la société pour créer un climat plus accueillant et bienveillant pour les personnes de tous genres. »

Ici, l’enseignante en biologie nous fait part du fait que, lors des séances de formation à l’introduction de nouvelles pratiques plus inclusives, elle est confrontée à un nombre grandissant de témoignages d’une opinion antagoniste : « Tenter d’apporter des solutions sérieuses, sensibles et réfléchies, ce n’est pas de tout repos lorsqu’on se bute à des mentalités inflexibles et à des opinions basées sur tout sauf la vérité. Parfois, ça devient drainant, mais c’est la nature de la lutte en soi. Alors on continue. »

Pour les générations futures

Comme mot de la fin, Mme Dubuc apporte un point de vue touchant, teinté par sa réalité personnelle. Étant mère et grand-mère, elle espère que le fruit de ses actions et de son engagement sans relâche pourra être récolté par les prochaines générations : « J’ose espérer que les prochaines générations pourront évoluer dans un climat social plus ouvert et inclusif, et où leurs droits ne seront pas remis en cause à tout vent. »

Plus sur Dominique Dubuc

Enseignante en biologie au Cégep de Sherbrooke, Dominique Dubuc est militante pour les droits des personnes des minorités sexuelles et de genre depuis plus de deux décennies. Elle s’implique notamment au sein du Comité confédéral LGBT+ de la CSN, comité pour lequel elle siège à la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation. Ancienne présidente du CA du Conseil québécois LGBT, elle a aussi été membre des CA d’Egale Canada et de ILGA, soit l’International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association, une fédération d’organismes LGBTI à travers le monde qui a un statut consultatif au Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC). Elle est également conférencière, formatrice et autrice ou co-autrice de publications sur les enjeux LGBTQ+.