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Le sens des mots de l’éducation: "Faire des exercices formatifs?"

Par M. Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation. 

En janvier, dans deux collèges différents, j’ai rencontré l’expression « exercice formatif » dans des plans de cours. Les enseignants qui me consultaient sur leur plan de cours étaient étonnés que je leur dise que l’expression constitue une redondance. Voyons pourquoi.

Il est maintenant dans l’entendement de tout le monde que l’évaluation formative ne « compte pas » pour le bulletin. Depuis que les PIEA des collèges ont encadré les pratiques d’évaluation formative, les enseignants savent que celle-ci est une zone franche dans laquelle l’étudiant a droit à l’erreur[i]. C’est une zone qui appartient au processus d’apprentissage, bien en amont du moment où l’enseignant aura à attester, par l’évaluation certificative,  que l’apprentissage a eu lieu. L’évaluation formative est entrée dans la culture, dans l’ordinaire de la pédagogie collégiale. Pour les intimes, plusieurs diront même qu’ils ont prévu un « formatif » dans la leçon de demain. Mais la culture « boutique », avec ses contractions de langage, aura fait naître une nouvelle dérive de sens. On découvre la présence de l’expression « exercice formatif ».  Cela semble signifier qu’il s’agirait d’un exercice qui ne « compte pas pour la note », laissant penser, en corollaire,  qu’il pourrait y avoir aussi des exercices qui, eux, compteraient pour la note.

Mais un exercice n’est-il pas toujours « formatif »? Tous les exercices, en classe (guidés) ou à la maison (autonomes), sont destinés à faire apprendre. Ce sont des « pratiques », des moments de répétition ou d’intégration qui aideront l’étudiant à consolider un apprentissage. On est alors en amont de l’évaluation sommative (ou certificative). Mais, (oups), l’est-on vraiment? Ne voit-on pas des enseignants prescrire des exercices sur lesquels on donnera une note qui va au bulletin? Ainsi donc, on aurait peut-être des exercices qui serviraient d’évaluation sommative? Oh la-la. Mais alors ! De telles pratiques corrompent le sens de ce que doit être un exercice. On ne se pratique pas au 100 mètres haies le jour de la compétition. On ne teste pas une nouvelle recette alors que les invités sont en route. On n’apprend pas en même temps qu’on montre qu’on a appris. Un exercice « sommatif », ça n’existe pas.  Et un exercice formatif ça n’existe pas non plus : c’est un pléonasme. Un prof qui annonce un exercice formatif, c’est un prof qui « dit » une redondance.

Les mots, ça s’use. C’est dans l’ordre de l’humain que d’user les mots. Avec le temps, on les banalise, on en atténue le sens et on finit par sentir le besoin de les préciser en y accolant un qualificatif qui, malheureusement, générera ses effets pervers. S’il y avait des exercices formatifs, peut-il y avoir aussi des exercices sommatifs? Mais alors, aura-t-on perdu de vue le sens profondément pédagogique de ce qu’est un « exercice »?

En pédagogie, un  exercice consiste à pratiquer, afin de faire du renforcement. Selon Legendre[ii], on pratiquera des tâches, des processus, des techniques, des méthodes afin d’en parfaire l’utilisation et en favoriser une application optimale dans d’éventuelles situations similaires. Dans un exercice, on applique de façon répétée et graduelle des apprentissages antérieurs dans un but de maîtrise, de perfectionnement, de consolidation, d’entretien, de rappel ou de contrôle. On voit tout de suite qu’un exercice appartient au processus de l’apprentissage. Et on le conjuguera avec l’évaluation formative si l’enseignant l’assortit d’une rétroaction corrective ou de renforcement.

Un exercice non formatif, ça n’existe pas. Un exercice formatif exprime une redondance, comme si on avait affaibli le sens du premier mot. C’est donc un pléonasme qui génère de la confusion.

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Rédacteur : Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Tout commentaire ou suggestion de votre part sera bienvenu. Vous pouvez adresser vos commentaires à howerobert@sympatico.ca


 

[i]  Bélair, Louise M.  L’évaluation dans l’école, nouvelles pratiques.  1999.  ESF éditeur.  125 pages.

« […] Quoique [l’évaluation formative] doit être essentiellement à caractère pédagogique, aidante pour l’élève dans la construction de son savoir et particulièrement positive, il demeure qu’elle a encore une place ambiguë dans les gestes journaliers.  À cet égard, nombre d’actions d’évaluation qualifiées de formatives servent encore à insérer des notes au carnet scolaire, à entériner un savoir ou à contrôler l’acquisition d’un objectif.  Or, dans de tels contextes, l’évaluation formative n’est, ni plus ni moins, qu’une évaluation sommative déguisée, sans commune mesure avec sa véritable définition.  Ceci se traduit alors par une cacophonie dans l’interprétation des gestes et des décisions des acteurs : l'ami devient aussi le contrôleur, donc l'erreur qui aurait dû être vue comme une occasion d’apprentissage devient la faute et l’infraction à la merci de l’épée de Damoclès qui symbolise la fatalité de l’échec ».

[ii] Legendre, R. Dictionnaire Actuel de l’Éducation, deuxième édition. Guérin éditeur. 2005.

 






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