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Sur les traces de Haruki Murakami

Entrevue réalisée par Mme Marie Lacoursière avec monsieur Christian Braën enseignant au programme Arts et Lettres du collège Marie-Victorin.

 

Miyajima, l'un des 3 plus beaux sites du Japon.Une île sacrée, célèbre pour son sanctuaire et son Torii

Le programme Arts et Lettres du collège Marie-Victorin offre à ses étudiants depuis l’année 2007 l’opportunité de faire en fin de formation des voyages d’immersion interculturelle leur permettant de se plonger concrètement dans l’univers d’un auteur à l’étude. Ces voyages s’inscrivent dans le cadre du projet synthèse de fin d’études et se sont successivement déroulés au Japon en 2008 et 2011, en Europe en 2009 et au Maroc en 2010. En 2012, les étudiants devaient se rendre en Finlande, mais la grève étudiante a empêché que le projet se concrétise.

Le profil Littérature : lire avec les écrivains
un profil presque unique dans le programme en Arts, lettres et communication

Selon monsieur Christian Braën, enseignant au programme Arts et Lettres avec qui nous avons échangé, le profil Littérature se distingue passablement des quatre autres constituantes du programme Arts, lettres et communication en place au cégep. Dans les profils Cinéma, Média, Théâtre et Langues, les travaux d’équipe, les productions cinématographiques, la création de différents spectacles présentés devant public sont monnaie courante et dynamisent tant les activités d’enseignement que les projets synthèses de fin d’études.

Dans le cadre de leur formation, les étudiants développent et acquièrent les outils propres à l’étude des lettres. Au fil de leur formation, ils développent de multiples compétences liées à l’analyse d’œuvres littéraires, mais aussi des compétences leur permettant de commenter des œuvres culturelles de façon plus holistique et de produire des réflexions d’ensemble. À titre d’exemple, dans le cours Écrire pour les lecteurs, qui est préalable au cours Dossier : Écrivain, ils expérimentent divers types de textes critiques (préface, commentaire critique, essai). Les travaux des élèves en littérature s’avèrent généralement plus intimes et quelques fois très introspectifs.

Revitaliser le parcours scolaire et susciter l’enthousiasme

Le programme Arts et Lettres accueille annuellement depuis sa mise en place un faible nombre d’étudiants, et le taux de rétention au programme est demeuré jusqu’à ce jour critique. « Autour des années 2006, nous avons décidé de revisiter notre façon de faire, afin de susciter l’enthousiasme des étudiants durant l’ensemble de leur parcours académique », précise monsieur Braën. Il ajoute : « À ce moment, nous avions une cohorte d’étudiants qui, tout au long de leur programme, s’étaient particulièrement penchés sur l’œuvre de l’écrivaine nippo-québécoise Aki Shimazaki dans le but, notamment, de réaliser sur elle un dossier qui serait publié sur Internet et qui ferait figure de travail de fin d’études. Bien que ce dossier était une réalisation d’importance, il est apparu rapidement qu’il ne suscitait pas tout à fait le même enthousiasme que des activités de même nature pratiquées dans les autres profils, comme le gala annuel du profil cinéma ou le spectacle de fin d’année des étudiants en théâtre, par exemple. Comme notre auteur vedette a placé le Japon de ses origines au centre de son œuvre et que, comme par hasard, j’ai un lien privilégié avec ce pays que je connais très bien (mon épouse est japonaise), nous avons eu, les professeurs du profil et moi, l’idée de plonger nos élèves au cœur même de l’imaginaire d’Aki Shimazaki en les faisant voyager au Japon. »

Cette nouvelle activité s’est naturellement greffée au cours Dossier : Écrivain qui veillait déjà à encadrer le projet de publication du dossier sur l’auteur vedette. Comme il n’était pas possible de rendre le voyage obligatoire pour tous les élèves, notamment à cause des coûts importants qu’il impliquait, le groupe a donc dû être séparé entre ceux qui partaient et ceux qui restaient. Ces derniers se sont occupés des recherches sur l’auteur et ont produit des textes d’analyse sur son œuvre. Les participants au voyage, quant à eux, ont construit un carnet de voyage collectif qui a pris la forme d’un blogue qu’ils alimentaient quotidiennement pendant toute la durée de leur séjour au Pays du Soleil levant. Ce blogue, joint aux textes réalisés par l’ensemble du groupe, a constitué le dossier sur Aki Shimazaki, évaluation finale du cours. Ce dossier est d’ailleurs toujours disponible à la lecture sur Internet, tout comme ceux bâtis par les cohortes suivantes. Ce premier voyage au Japon a été un tel succès que l’expérience sera en effet reprise au cours des années qui ont suivi. En 2009, guidés par l’œuvre de Jean-François Beauchemin, des étudiants se sont rendus en Europe. D’autres encore ont foulé, l’année suivante, le Maroc de Tahar Ben Jelloun et, en 2011, le Japon encore, mais celui de Haruki Murakami cette fois-ci.

Sur les traces de Haruki Murakami en 2011

Chroniques des oiseaux à ressort Carnets du Japon

« Moi. Qui suis-je?... écrivit Sarah-Kim Boudreault, étudiante inscrite au cours Dossier : Écrivain durant l’hiver 2011… Une personne parmi des milliers. Depuis toute petite, j’apprivoise la littérature : les livres me transportent dans toutes sortes de mondes, ils me font découvrir et m’apprennent toujours un peu plus chaque jour. C’est au fil des années que cet amour pour la lecture a fini par devenir une passion. Il m’est impossible de passer une journée loin de mes livres; peu importe l’endroit où je suis, il y en a toujours un qui voyage en ma compagnie. Je ressens une inexorable attirance pour tous ces univers auxquels je suis confrontée; pour tous les personnages que je risque de rencontrer, de connaître et d’aimer et qui me font tant apprécier les livres. Ce n’est que quelques-unes des raisons qui m’ont incitée à étudier la littérature. Contrairement à la lecture, l’écriture est un plus gros défi. Ce n’est que durant mes études que j’ai commencé à apprivoiser cette façon de s’exprimer, de faire voir à travers des mots qui je suis réellement. Ce voyage au Japon, le premier de ma petite vie, me poussera vers le monde de Haruki Murakami, univers duquel je compte m’inspirer. »

Chichu Art Museum. l’architecture du bâtiment, dessinée par l’architecte Tadao Ando, se mêle littéralement aux œuvres plastiques de James Turrell, Claude Monet et Walter de Maria.

« Une des particularités importantes du voyage d’immersion international, explique monsieur Christian Braën, tient au fait qu’il encourage l’approfondissement d’une œuvre littéraire à travers la familiarisation de l’élève avec la culture, la littérature et l’histoire. Il n’a jamais été question de partir sur les traces d’un écrivain afin de voir sa maison, etc. Il importait que les élèves s’imprègnent de la culture, qu’ils comprennent le rythme de vie de l’auteur et que leur imaginaire soit provoqué au moment même de la lecture de ses œuvres. En 2011, le voyage sur les traces de Haruki Murakami constituait pour la plupart des étudiants l’occasion d’un premier voyage international et d’un unique voyage au Japon. Ils n’avaient pas encore pris le pli du voyageur. L’immersion qu’ils vivaient constituait une expérience d’étonnement qu’il nous fallait combler en multipliant les occasions de découvertes. Si le travail fait durant le trimestre précédent visait à préparer les élèves au voyage, les textes produits durant le voyage devaient alimenter et enrichir leur réflexion autour de l’œuvre globale. »

Des voyages d’immersion culturelle difficiles à concrétiser

Compte tenu du petit nombre d’élèves finissants, les voyages d’immersion culturelle furent annuellement difficiles à justifier, ajoute Christian Braën. « Pour assurer la rentabilité de l’exercice, nous avons dû élargir l’offre d’admission à des élèves des autres profils, rendant de ce fait l’atteinte des objectifs programme moins réaliste. L’esprit de corps essentiel dans un événement de cette nature était difficile à créer et l’intérêt du blogue perdait son sens pour les élèves des autres profils. »

Que retenez-vous de ces expériences ?

Christian Braën : « L’accompagnement d’étudiants au Japon fut extrêmement riche tant pour les enseignants accompagnateurs que pour les élèves. Inévitablement, faire découvrir un pays aussi riche à des groupes d’étudiants que j’apprécie demeure un privilège. Dans un tel contexte, les activités d’enseignement sont propices au développement de relations centrées sur la recherche, la découverte, le partage d’idées, le soutien et la relation d’aide. Les deux voyages au Japon que j’ai effectués avec ces jeunes enthousiastes et curieux se sont avérés très gratifiants. Malgré l’immense responsabilité que nous devions assumer, et ce, 24 heures sur 24, nous avons été choyés. Onze finissants ont suivi avec nous les traces de Haruki Murakami, auteur à l’étude sur lequel ils se sont penchés avec ardeur, au Japon. Les écrits qu’ils ont déposés sur le blogue “Chroniques des oiseaux à ressort” sont d’éloquents témoignages de découvertes, d’éblouissement et d’éveil. Le voyage fut pour eux l’occasion de se plonger concrètement dans l’univers ambivalent et onirique de Murakami en appréciant les moments de découvertes mis à leur disposition. Les heures ont filé imprégnant chez eux des images porteuses. Nous portons à votre intérêt ¸les réflexions d’Élise Provencher, étudiante diplômée de juin 2011.

Le retour… Je ne sais plus du tout quel jour on est. Les aiguilles du cadran semblent tourner à l’envers. Alors que le soleil est à son zénith, mon corps s’alourdit et je finis par tomber dans un lourd sommeil. Alors que la lune brille de mille feux dans un ciel sans étoiles, j’erre seule dans ma maison silencieuse et enveloppée par les ténèbres. Depuis mon retour, je suis tombée dans un véritable abysse temporel. Les deux derniers jours depuis mon retour ne semblent former qu’un et les heures défilent à un rythme inconstant. Mon voyage des deux dernières semaines m’apparaît par moments comme un doux rêve dont je viens de m’extirper.

«Je quitterai demain, avec nostalgie, ce lieu empreint d’une atmosphère particulièrement murakamienne. J’imagine Kafka longeant la rive sablonneuse rêvassant à son destin. Je vois l’adolescent du roman tournoyant sous la pluie qui rebondit sur toit de ma tante. Je crois apercevoir ce même garçon errer à travers les spectres de la forêt des montagnes qui enlacent le petit camping de Naoshima».

À travers les images désordonnées et fragmentées de mon voyage qui m’apparaissent comme un véritable fractal, je revois les villes que mes pieds ont foulées, les visages accueillants et souriants que j’ai croisés, nos chambres d’hôtel dignes d’un véritable capharnaüm et les cernes bleutés sur les visages de mes compagnons toujours prêts, malgré la fatigue, à partir à la découverte de la jungle urbaine de Tokyo ou de temples zen de Kyoto. Je revois plus nettement Tokyo, première et dernière ville avec laquelle j’ai eu un contact lors de mon périple au Japon. Me revoilà à la sortie de la gare de Shibuya. La foule dense et compacte au pied des gratte-ciel ambitieux m’aspire d’un seul coup et m’entraîne dans son tourbillon effréné. Traverser une intersection représente alors pour moi toute une épreuve de force! Les grands magasins défilent de chaque côté de la rue, Zara, Gap, H &M, décevant… L’insupportable tube Price Tag m’irrite les tympans lorsque je l’entends à répétition. Je bifurque dans une petite rue qui me mène vers le quartier de Harajuku… impressionnant! De charmantes boutiques et des friperies vintage se révèlent comme de véritables cavernes d’Ali Baba. Je prends également un plaisir fou à engloutir l’une de ces immenses crêpes que l’on vend à chaque coin de rue fourrées de crème fouettée et de caramel dégoulinant bien chaud. Décadent! Tokyo c’est également la ville du karaoké. J’ai encore en acouphène l’écho des voix éraillées de mes pairs qui s’époumonent en interprétant des succès pop des dernières décennies dans un décor quelque peu kitsch. Tokyo, au-delà de son caractère grandiose et superficiel, capte nécessairement l’attention de ses visiteurs en stimulant leurs sens par ses couleurs éclatantes, ses odeurs fortes et inconnues se faufilant en dehors des restaurants et par ses sonorités étourdissantes. Je me rappelle également Kyoto, une ville qui présente un équilibre parfait entre la tradition et la modernité. La démarche délicate et quelque peu coincée de femmes vêtues de kimono aux côtés de fashionistas perchées sur leurs talons aiguilles en plein centre-ville m’étonne au premier coup d’œil. C’est à cet endroit que l’union de notre groupe de voyageurs s’est solidifiée. Je nous revois autour de la table de notre petite auberge ou bien autour du jardin papotant de tout et de rien lors des petits déjeuners. C’est également à ce moment que nos professeurs accompagnateurs ont laissé tomber leur façade d’autorité pour devenir, au sein de notre groupe, des compagnons de voyage. Je me remémore la visite de temples parfois sublimes, parfois dotés d’une simplicité renversante. Une toute nouvelle sensibilité à la beauté de la nature et à la capacité de création humaine s’est révélée à moi lors de ces découvertes. La dernière image qui me reste de cette charmante ville est celle de notre sympathique aubergiste au cœur démesurément grand qui nous envoie la main au pas de son auberge alors que le groupe quitte définitivement l’endroit sur le bord d’une étroite rue bordée d’un petit ruisseau.

Je revois Hisroshima comme une ville qui, en surface, ne laisse paraître aucune cicatrice des terribles événements passés.

Une visite au Musée de la Paix me fait comprendre que les blessures ne sont pas totalement refermées; on se souvient encore. Plus de soixante ans après la tragédie du 6 août 1945, la bombe nucléaire laisse une trace amère de souffrance à travers les générations. Les arbres ont poussé du sol calciné, l’eau de la rivière est redevenue translucide, le soleil a percé les nuages de fumée, mais l’horreur et la souffrance soufflent encore parmi les feuilles, coulent encore à travers le courant et flottent toujours dans le ciel.

La visite de l’île de Naoshima représente pour moi une parenthèse agréable à travers le voyage. Alors que je me trouvais dans la société la plus technologique du monde il y a quelques jours, je me retrouve alors les deux pieds dans le sable, déconnectée de toute forme de technologie. La visite des musées de Naoshima est pour moi une réconciliation avec les formes d’art modernes, abstraites ou conceptuelles auxquelles j’étais réticente auparavant. L’île de Naoshima, c’est également le décor aux résonnances mystérieuses et typiquement murakamiennes dans lequel le groupe de voyageurs mange ensemble dans une pénombre nocturne avant de potiner et de s’esclaffer à l’écoute d’anecdotes sans queue ni tête dans une yourte où tous se sont réunis. De retour à Montréal, l’horrible tube Price Tag m’écorche les oreilles dès que je mets le pied dans l’automobile de ma mère…Je retourne donc chez moi, le cœur léger et l’esprit lourd d’images et de souvenirs. L’hospitalité et la politesse des Japonais me manquent dès le moment où un automobiliste enragé nous coupe en nous envoyant un charmant doigt d’honneur…






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