Articles

Pour la réussite des étudiants innus

Entrevue réalisée par Mme Marie Lacoursière avec Mesdames Linda Côté directrice de études, et Nathalie Santerre enseignante au Cégep de Baie-Comeau.

           

         Linda Côté                              Nathalie Santerre

L’étudiant autochtone et les études supérieures : regards croisés au sein des institutions, c’est le titre du rapport de recherche conjointement déposé durant la dernière année à l’attention du ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche par le Cégep de Baie-Comeau et l’Université du Québec à Chicoutimi. Plusieurs y ont collaboré. Elles sont du Cégep de Baie-Comeau : mesdames Chantale Lévesque, conseillère pédagogique, et Nathalie Santerre, chargée de projet, de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) : Miriame Blackburn, Jo-Anni Joncas, Fanny Gobeil, Josée Savard, chargées de projet, et Sophie Riverin, agente de gestion.

Sous la supervision de madame Linda Côté, directrice des études au Cégep de Baie-Comeau, de monsieur Marco Bacon, directeur du Centre des Premières Nations Nikanite et du responsable scientifique, monsieur Roberto Gauthier, le projet de recherche a servi à l’élaboration d’un Guide d’intervention institutionnelle favorisant la persévérance et la réussite scolaire des étudiants autochtones au Cégep et à l’Université. Mesdames Côté et Santerre relatent pour nous les étapes et les activités qui ont mené à la production de ce guide actuel et fort bien reçu dans le milieu.

S’inscrire dans un processus de sensibilisation culturelle face à la réalité autochtone

Le nouveau plan de réussite institutionnel intégré au plan stratégique 2009-2014 du Cégep de Baie-Comeau est à l’origine de l’élaboration du guide d’intervention institutionnelle nouvellement paru. À compter de l’automne 2010, des échanges sont amorcés avec les équipes programmes et les différents comités de réflexion sur les objectifs poursuivis par le plan de réussite. Le milieu réalise alors qu’il connaît très peu la culture, les valeurs et les réalités des étudiants innus. La mise en place d’activités d’enseignement et d’apprentissage qui tiennent compte des particularités de la clientèle autochtone, prévue au plan de réussite, suscite l’intérêt.

Madame Linda Côté, directrice des études, nous explique la démarche suivie : « En janvier 2011, le collège reçoit du ministère de l’Éducation un appel de projets de recherche axée sur la collaboration collèges et universités. L’équipe pédagogique saisit l’opportunité qui lui est donnée et dépose un projet de recherche portant sur la connaissance de la culture innue, dans le but de développer des stratégies d’encadrement pédagogique qui tiendraient compte de sa réalité et qui seraient de plus efficaces pour l’ensemble de la clientèle étudiante. À la grande satisfaction de tous, le projet a été accepté par le ministère, donnant ainsi lieu à la réflexion souhaitée. Les moyens choisis pour atteindre les objectifs se sont concentrés entres autres autour d’entrevues individuelles, réalisées selon un échantillonnage théorique auprès des élèves innus et des enseignants du collège. Des rencontres de groupe avec le personnel professionnel et des répondants de la communauté innue de Pessamit impliqués dans la politique, la vie scolaire et la santé ont aussi été tenues. Il nous apparaissait essentiel d’aller à leur rencontre afin de bien connaître leur culture et les attentes de la communauté afin d’adapter les outils à mettre en place à leur réalité, et ce, de façon très objective. »

Des rencontres individuelles et de groupes minutieusement préparées

Les enseignants et les étudiants ont été rencontrés dans le cadre d’entretiens individuels et enregistrés d’une durée d’une heure. Les professionnels et des intervenants de Pessamit l’ont été dans le cadre de focus groupes. Différentes thématiques ont été abordées : la conception de l’apprentissage, la vie à l’école et la culture innue telle qu’elle est perçue. À la suite de ces rencontres, un portrait général des constats fut tracé et porté à l’attention des groupes pour validation. Les analyses qui en ont découlé se sont avérées extrêmement utiles pour l’étape suivante durant laquelle il fallait identifier les difficultés rencontrées par les enseignants et préciser les stratégies les plus aidantes en classe. Les principales réflexions ont permis de confirmer les éléments qui devraient faire partie du guide au regard des stratégies pédagogiques, d’apprentissage, d’encadrement.

Des constats signifiants

« Nous avons réalisé, précise Nathalie Santerre, que le français était véritablement une langue seconde pour les étudiants innus. Sa maîtrise relevait du défi pour plusieurs et pouvait constituer un obstacle majeur à leur réussite au collégial. Nous avons de plus été surpris par la vision qu’ils ont du temps et qui diffère significativement de la nôtre. Leur intérêt à terminer leur parcours en temps requis n’est pas primordial. L’important pour eux, c’est d’accomplir quelque chose et d’apprendre de leur expérience. La notion d’échec diffère également. Même si l’échec est difficile à vivre, ces élèves le perçoivent comme un moment de réflexion, une remise en question leur permettant de repartir, s’améliorer et refaire mieux. Ce mode d’apprentissage dit “holistique” est repris par les chercheurs, dont Emmanuel Colomb, de l’UQAC. Ce type d’apprentissage est ancré chez les autochtones et les premiers peuples qui peuvent apprendre autant de la famille, de la communauté que des institutions formelles où les cours et les processus de formation sont réfléchis et pensés par des allochtones. »

Une meilleure compréhension de l’étudiant

« La recherche a vraiment permis de réfléchir à nos façons de faire, d’avoir une meilleure compréhension de notre étudiant, de ses valeurs et de ses préoccupations, de continuer madame Santerre. Nous avons développé des moyens d’accompagner nos étudiants autochtones dans leur réussite en privilégiant des approches très ciblées. Pour eux, apprendre n’est pas forcément interagir, discuter ou échanger avec les autres. Ils sont davantage en retrait et observateurs. Ils privilégient les apprentissages concrets qui leur conviennent très bien. L’acquisition du langage disciplinaire s’avère difficile parce que leur langue est imagée. Les lexiques, les simulations, les démonstrations prennent une place capitale dans le processus d’intégration des connaissances et d’apprentissage. Les stratégies pédagogiques que nous suggérons dans le guide sont donc arrimées à des assises scientifiques très actuelles. Les constats retenus correspondent à des écrits de recherche énoncés et publiés chez nous, au Canada et ailleurs dans le monde. »

Le guide ressemble un peu à un livre de recettes

Le guide ressemble un peu à un livre de recettes qui fait ressortir les principaux constats énoncés en cours de recherche et qui concernent les exposés oraux, le travail en équipe, la maîtrise de la langue, l’argumentation. « Pour les Innus, de préciser madame Santerre, argumenter, s’expliquer ou justifier ne fait pas partie de leur culture, c’est même un signe d’irrespect qui exprime un désaccord face aux affirmations du communicateur. Nous avons ainsi compris comment l’argumentation pouvait s’avérer difficile pour eux. Le guide est bâti afin d’apporter des réponses et des solutions aux difficultés perçues et reconnues. Le texte est accessible et peut être utilisé pour tous les élèves. Il supporte les contacts personnalisés, une attention sincère et ponctuelle du professeur afin que les élèves se sentent acceptés et bien dans la classe. Dans cette perspective, des recherches ont été effectuées sur le concept de la sécurité culturelle que nous encourageons. Le professeur disponible, attentif, qui écoute et privilégie une discipline égale pour tous favorise la création d’un lien de confiance et de respect de l’autre extrêmement positif et favorable aux apprentissages. »

L’impact du projet dans le milieu

« Le projet a été bien reçu par la communauté autochtone parce que nous sommes allés les voir, confirme la directrice des études. Loin de nous centrer uniquement sur les étudiants, nous sommes allés vers la communauté en démontrant l’intérêt que nous avions pour elle. Près de 90 individus dans le cégep ont participé, de loin ou de près, au projet. Quelque 50 personnes ont assisté à l’activité de lancement. Les demandes d’information sur le guide et le contexte de sa réalisation sont fréquentes. Les commentaires de la part des enseignants et professionnels qui travaillent avec les étudiants sont très positifs. Le guide est en demande et rejoint les préoccupations des gens de l’éducation. »

Nos stratégies constituent la base universelle de l’enseignement et de l’apprentissage.

La directrice des études, Linda Côté, conclut avec ce constat positif et ouvert sur l’avenir : « Nous avons atteint l’ensemble des objectifs fixés par le projet. Ces derniers nous conviaient à mieux cerner les éléments de culture, les valeurs, les préoccupations scolaires de l’étudiant pour être en mesure d’identifier les stratégies centrées sur les véritables besoins. Nous sommes véritablement retournés à la source. Nos stratégies constituent la base universelle de l’enseignement et de l’apprentissage. Les stratégies et les conseils relatés dans le guide concernent l’ensemble de notre clientèle étudiante, peu importe leur culture. Nous comprenons mieux nos étudiants innus et sommes davantage en mesure de les accompagner efficacement sur le chemin de la réussite. Nous nous sommes rapprochés de la communauté de Pessamit et nous croyons que cela donnera lieu à d’autres projets de collaboration. L’année 2015 en témoignera puisque nous amorcerons un projet émergeant de ce dernier, à savoir l’élaboration d’un guide d’accompagnement pour l’élève innu. ».






Infolettre Le Collégial

Soyez informés de l'actualité dans le réseau collégial. L'infolettre est publiée mensuellement de septembre à mai.

Je m'inscris