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Favoriser le développement de l’autorégulation en lecture au collégial. Quoi faire… et ne pas faire !

 

 

 

 

Un texte de Mme Catherine Bélec, enseignante en français au Cégep Gérald-Godin

 

Note : Ce texte est un résumé de la présentation faite dans le cadre du colloque de l’AQPC 2018

 

 

 

La littératie est en ce moment un enjeu de taille dans le monde de l’éducation. En effet, posséder de hautes compétences en littératie ne consiste pas à savoir lire et écrire sans faute, mais bien à avoir la capacité, dans une société de l’écrit, d’exploiter le langage afin d’arriver à se développer (professionnellement, personnellement et socialement) de manière autonome. Ceci dit, selon le Conseil supérieur de l’Éducation, 38 % des titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires non universitaires n’atteignent pas le niveau de compétence 3 en littératie (minimum acceptable pour pouvoir bien fonctionner en société). Plusieurs collèges et enseignants ont tenté, pour répondre à ce problème, d’enseigner des stratégies de lecture et d’écriture en classe ou par le biais de mesures d’aide. Cependant, le succès de ces mesures demeure mitigé, car si les élèves semblent comprendre l’intérêt des stratégies d’apprentissage, peu d’entre eux, surtout parmi les élèves les plus faibles, commencent à utiliser celles-ci de manière autonome à la suite d’un enseignement explicite. Cela peut s’expliquer par le fait que la mise en œuvre de la métacognition dépend de l’autorégulation, qui repose sur une régulation interdépendante des dimensions cognitive, comportementale, contextuelle et affective. Ainsi, l’enseignement de stratégies de lecture, s’il peut alimenter le processus cognitif, ne peut suffire à assurer le développement des régulations affectives et comportementales dont dépend la mise en œuvre autonome de la métacognition par les étudiants.

Les hypothèses à l’origine du projet
Ceci considéré, nous avons posé l’hypothèse que le développement des compétences en littératie était intimement lié au développement de l’autorégulation, notamment en lecture. Nous avons donc décidé de nous intéresser plus spécifiquement à cet aspect de littératie, moins étudié au collégial et qui est pourtant une pierre d’angle essentielle à la réussite d’études postsecondaires.

Une exploration de la littérature scientifique nous a permis de constater, d’abord, que certains facteurs peuvent être mis en place afin de développer l’autorégulation.


Facteurs favorisant le développement de l’apprentissage autorégulé
(Sannier-Bérusseau et Buysse, 2015)
1. Faire en sorte que les étudiants aient besoin d’utiliser des stratégies d’apprentissage
2. Créer un espace pour réaliser une réflexion structurante sur l’apprentissage (métacognition)
3. Préserver la motivation affective et scolaire
4. Donner aux étudiants l’occasion d’être actifs afin…
• … qu’ils puissent apprendre par les conflits cognitifs
• … qu’ils développent leur sentiment d’efficacité personnelle (SEP)
5. Créer un espace où les étudiants peuvent être autonomes et leur donner les moyens de l’être


Ensuite, nous avons constaté qu’un dispositif susceptible de permettre la mise en place de tous ces facteurs et ayant déjà déjà prouvé sa capacité à développer l’autorégulation en lecture existait : les cercles de lecture. Ceux-ci se définissent comme « “un groupe restreint de pairs ayant pour objectif d’enrichir leur lecture d’un ou de plusieurs textes grâce à des discussions suscitant des conflits cognitifs, en cours [de lecture] et après lecture; pour ce faire, chacun des membres doit procéder à une lecture orientée en utilisant consciemment diverses stratégies de lecture pour arriver à faire des liens entre le texte et son cadre personnel de référence” (Bélec, 2016).

Objectifs du projet
C’est de là qu’est émergé un projet de recherche-développement collaborative intitulé “Pour un développement de l’autorégulation en lecture : les cercles de lecture au collégial”. Ce projet, subventionné par le Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage (PAREA), avait pour objectif de développer des scénarios de cercles de lecture adaptés aux réalités pédagogiques de plusieurs disciplines du collégial. Six enseignants de six disciplines différentes (administration, communication, français, histoire, mathématiques et philosophie) ont participé à ce projet.

Les scénarios devaient répondre aux besoins verbalisés par les enseignants et permettre la mise en place des facteurs favorisant le développement de l’autorégulation. Les objectifs particuliers du projet visaient à évaluer la qualité des cercles conçus au regard de ces objectifs généraux.

Méthodologie
Le projet s’est déroulé en quatre étapes : 1) analyse de la situation et des besoins; 2) conception/adaptation de scénarios de cercles de lecture à la réalité pédagogique et disciplinaire des enseignants; 3) mise en œuvre des cercles de lecture; 4) évaluations et régulations des cercles (à au moins trois reprises). Dans le cadre du projet, chacun des enseignants participants devait réaliser un minimum de deux cercles de lecture.

À chaque étape de la recherche, des collectes de données (questionnaires, journaux de bord, verbatims de rencontres de communauté de pratique et d’entretiens, journal de pratique de recherche, etc.) ont été réalisées afin de réguler la conception des cercles ainsi que leur mise en place. L’analyse et la validation des données ont été réalisées à la lumière de la triangulation de l’ensemble des données récoltées auprès des trois groupes d’acteurs (enseignants, étudiants et chercheurs) de cette recherche action.

Résultats découlant de l’analyse de la situation
Une analyse de la situation avec les enseignants, réalisée en co-construction avec ces derniers, a permis de mettre à jour certaines pratiques susceptibles de nuire au développement de l’autorégulation — justement parce qu’elles “court-circuitent” un ou plusieurs facteurs favorisant son développement. Parmi ces pratiques se trouvent celles où l’on observe un abaissement du niveau d’exigence en lecture (textes ou apprentissages plus simples ou moins nombreux). En effet, en plus de ne représenter que peu de défis pour les étudiants et de rendre de peu d’utilité le recours aux stratégies d’apprentissage, ces pratiques ne permettent pas le développement du SEP puisque les élèves n’ont pas l’occasion de vivre des succès significatifs. En revanche, l’absence d’encadrement avant ou pendant la lecture est également nuisible pour les étudiants éprouvant des difficultés, puisque l’absence de soutien entraînera forcément chez ces derniers, des échecs à apprendre par la lecture qui renforceront leur faible SEP et nuira à leur motivation.

Résultats découlant de l’analyse des données à la fin du projet : une structure modèle et des facteurs favorisant le succès des cercles

L’analyse des cercles de lecture produits a permis d’entrevoir une structure fixe (voir figure 1) de réalisation aisée à adapter à de nombreux textes ou contextes disciplinaires.
En ce qui concerne les scénarios de cercles de lecture produits, tous ont permis d’observer différents succès, et ce, dans une mesure variable : augmentation du répertoire de stratégies de lecture, augmentation de l’autonomie en classe, amélioration de la performance des étudiants aux évaluations, augmentation de la motivation en classe… En fait, dans les six groupes, les commentaires qualitatifs des étudiants comme des enseignants soulignaient, majoritairement, l’appréciation des cercles de lecture comme méthode d’apprentissage.

Toutefois, les succès les plus prometteurs ont pu être observés dans deux groupes où les enseignantes participantes avaient créé et mis en place durant la session non deux, mais bien quatre et six cercles de lecture. Une analyse de ces cercles a été réalisée à la lumière des données recueillies auprès des étudiants et des enseignants. Par la suite, ces analyses ont été mises en parallèle afin de faire émerger, à partir des caractéristiques récurrentes des différents cercles, les facteurs susceptibles d’influencer positivement ou non le succès de ce type de scénario pédagogique. Ainsi, dans les cercles des deux enseignantes où l’on a pu observer les effets positifs les plus marqués, on a vu émerger ces caractéristiques distinctes :

• Fréquence des cercles (12-15 heures/session)
• Lors de la première phase du cercle, mise en œuvre de modélisations liées à la lecture disciplinaire
•  Cohérence de la tâche réalisée en cercle par rapport aux évaluations et aux critères de performances de celles-ci
• Avant les lectures ou le cercle, objectivation du vocabulaire lié aux attentes et aux critères de qualité.
• Au fil des cercles, équilibre entre répétition et diversification des stratégies mises en œuvre.
• Complexité progressive d’un cercle à l’autre, soit par le biais du texte, soit de la tâche d’apprentissage à réaliser.

Limites du projet
Il est certain que ces données peuvent être influencées par différents facteurs, dont l’expérience des enseignants de l’apprentissage actif, le paradigme et la conception que les enseignants et les élèves ont de l’apprentissage et de la lecture ainsi que le rapport à la lecture des élèves dans une matière spécifique. En outre, dans deux des six groupes, le taux de participation des étudiants a été très limité, ce qui a restreint la possibilité de trianguler les données liées aux élèves à celles des enseignants et du chercheur.

Retombées pour la pratique au collégial
Malgré tout, il n’en demeure pas moins clair, au vu des résultats, que les cercles de lecture s’avèrent une avenue prometteuse pour les enseignants désirant améliorer les compétences en littératie de leurs élèves. Par cette même voie, il semble aussi possible d’améliorer significativement, en un temps assez court (13 semaines), le rapport à la lecture des étudiants par le biais du développement de leur motivation et de leur SEP. Enfin, les cercles de lecture semblent également permettre aux enseignants une bonification des apprentissages de leurs étudiants en vue des évaluations. Considérant cela, les cercles de lecture sont une approche pédagogique qui gagnerait à être davantage considérée dans le réseau collégial, et ce, dans toutes les disciplines.


Références

• Bélec, C. (2016a). Les cercles de lecture au collégial — Une stratégie pédagogique qui pourrait s’avérer profitable dans toutes les disciplines. Pédagogie collégiale, 29-4, p.39-45.
• Conseil supérieur de l’éducation (2013), Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes. Avis à la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, et au ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Québec, septembre 2013.
• Sannier-Bérusseau, C. et A. Buysse (2015). « Développer l’apprentissage autorégulé : état des lieux et perspectives », dans Buysse, A. et S. Martineau (prés.). Entre autorégulation, motivation et persévérance : l’autonomie, colloque organisé dans le cadre du 83e congrès de l’Acfas à l’Université du Québec à Rimouski, mai.






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