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Carole David - Sortir de la fresque

Article publié par La Presse+ - Dominic Tardif

26 mars 2022 - Ouvrez un livre de Carole David, au hasard, nous suggère le poète Benoît Jutras. « Et vous allez voir que ses textes sont toujours des énigmes qui donnent l'illusion d'être nus, mais en fait c'est une fausse simplicité. Ses textes sont denses comme une bière noire. »

Une analyse qui sied également à son plus récent recueil, Le programme double de la femme tuée, dans lequel Carole David, inspirée par un séjour en Italie, observe le triste cycle de la violence faite aux femmes se répéter, du XVIe siècle à nos jours. Sujet tragique s'il en est. « Mais chez Carole, précise la poète Chloé Savoie-Bernard, il y a toujours quelque chose qui survit, qui résiste à la mort. »

À 67 ans, Carole David compte aujourd'hui parmi les plus importantes poètes québécoises. Elle a remporté en 2020 le prix Athanase-David, l'ultime récompense en littérature québécoise, et a par le fait même rejoint des géants comme Hubert Aquin, Marie-Claire Blais, Michel Tremblay et Nicole Brossard.

« Je dis toujours que j'ai été initiée à la poésie de deux manières : à l'école et par la rue, dans les librairies sur Saint-Denis », raconte l'écrivaine en entrevue. Dans ses classes du cours classique, la jeune femme apprend le latin et la versification classique, lit Ovide. Mais à 16 ans, elle assiste à une partie de la Nuit de la poésie de 1970 - le couvre-feu imposé par sa mère lui permettant néanmoins d'être happée par plusieurs performances exaltantes, dont celle de Claude Gauvreau. Une autre vie apparaît soudainement possible.

Transfuge de classe

Fille d'une mère née de parents italiens dans la Petite Italie, et d'un père qui a tôt dû subvenir aux besoins de ses 11 frères et soeurs, Carole David grandit au sein de cette classe moyenne à laquelle accédaient enfin des gens ayant connu la misère. L'univers de sa jeunesse dans Rosemont, à la frontière de Saint-Léonard, avec en fond sonore la télé américaine, est celui d'un certain conformisme consumériste, un étouffement que son oeuvre ne cessera de rejeter.

« À un moment donné, j'ai appris qu'il y avait un autre monde, que pendant qu'on allait à Old Orchard, pendant qu'acheter je sais pas quoi, c'était le bout de la marde, il existait des beatniks, il existait Juliette Gréco. »

- Carole David

« [M]a vocation délétère/commence tôt le matin/je recueille les feux/mes mains éphélides sont lianes/je sors de la fresque/qu'on m'a assignée », écrit-elle dans Le programme double de la femme tuée, un des vers les plus autobiographiques de ce livre. C'est à la fresque de cette existence qui l'attendait que la littérature lui aura permis de s'arracher.

« Mon destin, ce n'était pas l'écriture. Je suis une vraie transfuge de classe. Pour ma mère, la plus belle job, c'était d'être engagée chez Bell Téléphone. La famille de ma mère a travaillé en usine, mon grand-père a été victime d'un accident de travail violent. Ce sont des traumas qui font que tu te dis : ??oeFaites que je ne sois pas pognée ici !” J'étais motivée à sortir de là. »

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