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Retourner sur les bancs d’école pour assurer son avenir

Article publié par Le Devoir.com



Photo: Marie-France Coallier Le Devoir L'enseignant au collège Ahuntsic Benoit Trempe (à gauche) supervise ses étudiants Sylvain Rioux (au centre) et Nicolas Picard (à droite).
Karl Rettino-Parazelli

21 juillet 2018 - Robotisation, intelligence artificielle, objets connectés : les nouvelles technologies obligeront à terme des milliers de travailleurs à acquérir de nouvelles compétences en cours de carrière pour suivre le rythme ou profiter de la manne. Dans ce premier de quatre articles sur les visages de la révolution numérique, gros plan sur l’un des enjeux les plus cruciaux du monde du travail québécois.

À première vue, ce local du collège Ahuntsic ressemble à une salle d’informatique comme les autres : une dizaine d’ordinateurs et quelques étudiants qui les utilisent pour mettre la touche finale à leurs travaux de fin de session. Sauf que de l’autre côté de la pièce, une drôle de machine métallique munie de bras robotisés et de capteurs attire l’attention.

« Ici, chaque poste de travail remplace un opérateur », lance Benoit Trempe en montrant du doigt les intrigants dispositifs.

La machine qui se trouve devant lui est en fait la reproduction, à petite échelle, d’une chaîne de montage ultramoderne. Un outil didactique qui permet aux étudiants de maîtriser le genre d’outils qui commencent à faire leur apparition dans les usines du monde entier.

« Les étudiants qui viennent nous voir sont souvent des gens qui ont fait un diplôme d’études professionnelles [DEP], qui ont cinq ou dix ans d’expérience sur le marché du travail, explique cet enseignant au Département des technologies du génie électrique. Les compagnies dans lesquelles ils travaillent commencent à automatiser leur ligne de production, à installer des systèmes de communication réseau. Les travailleurs constatent que ça leur prend de nouvelles compétences et ils viennent ici pour obtenir ce qui leur manque. »

Forte demande
En plus d’enseigner au cégep, M. Trempe développe des programmes de formation continue adaptés aux besoins du marché du travail. L’attestation d’études collégiales (AEC) intensive en automatismes industriels affiche complet depuis au moins quatre ans, avec de 15 à 18 étudiants par cohorte, et toutes les places du nouveau programme en robotique industrielle, qui débutera en août, ont trouvé preneurs.

« Depuis quatre ou cinq ans, il y a une forte demande, parce que c’est l’industrie 4.0 qui se met en place avec l’automatisation, la connectivité entre les appareils, la cybersécurité, énumère M. Trempe. La caricature n’est pas vraiment exagérée : le monsieur qui faisait des tâches manuelles va être remplacé par une chaîne de production. Il va devenir opérateur, ce qui veut dire qu’il va devoir communiquer avec des interfaces, des ordinateurs et des systèmes numériques avec lesquels il n’est pas nécessairement habitué de travailler. »

Plus d’un million d’emplois
Le collège Ahuntsic n’est qu’un des établissements collégiaux du Québec qui permet de former les travailleurs de demain, une mission définie comme prioritaire par le gouvernement Couillard.

« Pour les prochaines années, la croissance économique du Québec sera en grande partie tributaire de la capacité du marché du travail à s’adapter aux besoins des travailleurs et des employeurs et à faire face aux défis que sont les changements démographiques et le développement rapide des technologies », a-t-il souligné dans son dernier budget, en insistant sur l’importance de la formation en cours de carrière.

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Il a du même coup débloqué 810 millions de dollars sur cinq ans pour répondre aux défis du marché du travail et 49 millions d’ici 2022-2023 pour développer spécifiquement l’offre de formation continue.

Au moment de présenter sa Stratégie nationale sur la main-d’oeuvre 2018-2023, en mai dernier, le gouvernement du Québec a par ailleurs souligné que plus de 1,3 million d’emplois devront être pourvus au Québec d’ici 2026, dont plus de 90 000 dès maintenant. Selon les estimations d’Emploi-Québec, ces postes seront surtout pourvus par des jeunes et par la future population immigrante, mais tout le monde devra vraisemblablement contribuer à l’effort.

Recrutement difficile
« Avec le plein emploi et la rareté de main-d’oeuvre, je vous dirais que ça n’aide pas nécessairement le recrutement, affirme Simon Delamarre, directeur de la formation continue au Collège de Bois-de-Boulogne. Certaines personnes qui n’ont pas toutes les compétences requises sont quand même embauchées par les entreprises, qui décident de les former elles-mêmes, au sein de la compagnie. »

Dans ce collège du nord de Montréal, près de 1200 adultes étudient à temps plein, dont environ 400 en informatique. Les travailleurs qui veulent s’adapter aux nouvelles technologies viennent s’y former en programmation, en conception de bases de données ou encore en Internet des objets.

Malgré les annonces gouvernementales, M. Delamarre constate une diminution du financement pour la formation de la main-d’oeuvre, ce qui a pour conséquence de limiter le nombre de places disponibles dans les différents programmes.
« Pourtant, les entreprises nous sollicitent énormément. Ce n’est pas le temps de ralentir le financement, dit-il. On ne parle pas d’emplois à 30 000 $ par année, ce sont des emplois très bien payés. »

« Pour Bois-de-Boulogne, les ressources financières ne sont pas suffisantes », tranche-t-il.

Étudiants recherchés
Au Collège de Maisonneuve, près de 80 % des travailleurs qui retournent sur les bancs d’école sont des immigrants venus notamment d’Afrique, d’Europe de l’Est ou d’Amérique du Sud.

Ils sont âgés de 25 à 45 ans et sont souvent très scolarisés. Mais sans reconnaissance de leur diplôme obtenu dans leur pays d’origine, ils doivent acquérir de nouvelles compétences pour voir les portes du marché du travail s’ouvrir à eux.

Ceux qui choisissent d’étudier en automatisation, en informatique ou en programmation ont parfois du mal à terminer leur formation, tellement la demande est forte, souligne Iris Pérez, coordonnatrice de la formation continue.

« On doit parfois convaincre les étudiants de rester jusqu’à la fin, parce que les entreprises leur offrent déjà des contrats. Il y a un grand besoin. »

La semaine prochaine : Sylvain Rioux et Nicolas Picard, deux travailleurs qui ont découvert leur amour des robots sur le tard