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Une salle de cours branchée à 100 %… sur l’humain

25 août 2015 - OPINION de Réjean Bergeron ;  Enseignant en philosophie au Cégep Gérald-Godin ; publiée dans la Presse+

Cette session, avant que mes étudiants assistent à leur premier cours de philosophie, je n’ai pris aucun risque. Voulant leur éviter un certain malaise, j’ai décidé de leur envoyer un courriel pour les prévenir qu’ils allaient participer à une expérience pédagogique qui pourrait remettre en question leurs habitudes et même leur façon de penser.

Dans ce message, je leur explique que cette expérience sera vécue entièrement en 3D et dans une ambiance sonore de qualité. Ainsi, la salle dans laquelle ils prendront place sera dotée de quatre murs blancs ayant la capacité de réfléchir la lumière. Sur l’un d’eux se trouvera un tableau rectangulaire multifonctionnel et sans fil sur lequel je pourrai mettre du contenu qu’il me sera loisible de sauvegarder, supprimer ou réorganiser à volonté.

Tout en se vivant en temps réel, ce cours sera aussi totalement interactif avec possibilité de rétroactions positives. Nous pourrons échanger de l’information sous le mode visuel, sonore et même tactile, ce qui nous permettra de consulter des documents, les faire circuler, et comparer le contenu de nos réflexions afin d’en améliorer le produit final.

Concrètement, la salle de cours sera organisée de la façon suivante : je me tiendrai debout devant mon tableau vert, craie à la main, alors que devant moi seront assis l’ensemble des étudiants. C’est à partir de ce moment que pourra se mettre en branle cette expérience pédagogique qui a le potentiel d’être des plus déstabilisantes, puisqu’elle se donne comme objectif d’être à 100 % branchée sur l’être humain.

Voilà la stratégie que j’ai utilisée auprès de mes étudiants pour leur faire comprendre ce que peut receler de potentialités le cours magistral. D’un côté, un enseignant avec son expérience, le savoir propre à sa discipline et la passion de le partager ; de l’autre, des étudiants curieux, habités par le désir d’apprendre, de se dépasser et aussi de se laisser surprendre.
Dans ce contexte, lorsqu’une des parties refuse de jouer son rôle d’une manière sincère, elle est rapidement démasquée. Aucun écran derrière lequel les étudiants ou moi pourrions nous cacher, faire semblant, nous laisser distraire. Le cours magistral nous offre encore ce privilège, de plus en plus rare dans un monde qui a tendance à se virtualiser, de se regarder directement dans les yeux, quitte à ce que ce regard, parfois, devienne insupportable pour celui qui ne veut pas s’impliquer dans ses études – ou encore dans son travail d’enseignant !

UN SANCTUAIRE

Ma salle de cours est un sanctuaire que je m’entête en tant qu’enseignant à protéger du « bruit », des modes et des distractions en provenance du monde extérieur. En fermant la porte à tout ce brouhaha, j’offre la chance à l’étudiant de se débrancher un moment, d’être concentré, en somme, de s’entendre penser. Un luxe incroyable à notre époque et sur lequel l’étudiant peut parfois lever le nez tellement cette expérience peut lui sembler inconfortable.

Donc, une salle dénudée, avec un simple tableau vert et des étudiants qui rangent leur téléphone intelligent – oui, je l’exige –, qui prennent des notes, qui écoutent ou réagissent à mes commentaires, qui posent des questions et qui se doivent d’être toujours prêts à répondre aux miennes lorsque je m’adresse à eux personnellement dans le but d’évaluer leur degré d’attention et de compréhension : voilà ce que je considère comme des conditions minimales pour que puisse s’accomplir ce que j’appelle apprendre.

Toutefois, plusieurs s’accrochent aux technologies de l’information et de la communication comme si elles représentaient la solution miracle. Aurons-nous finalement compris la leçon ?

Dans quelques années, une étude viendra nous apprendre que les sommes astronomiques qui auront été « investies » dans l’achat de tablettes numériques auront surtout servi à « distraire » les élèves au lieu de les éduquer. Le fétichisme technologique est une maladie pernicieuse dont il n’est pas facile de se débarrasser.