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Pour une philosophie au service du bien commun

Texte publié par Le Devoir.com -

Les études divergent sur le degré d'efficacité du masque, mais pas sur le fait qu'il y ait une certaine efficacité, insiste l'auteur.
Photo: Valérian Mazataud

Par Julien Fecteau Robertson
Enseignant en philosophie au cégep de Rimouski

25 juillet 2020

J'ai sourcillé en lisant la lettre ouverte de David Vachon, doctorant en philosophie à l'Université de Montréal, qui tente de déboulonner certains arguments pour le port du masque en invoquant des éléments de logique du premier cours de philosophie au collégial. Comme j'enseigne ce cours depuis huit ans, il me semble nécessaire de corriger plusieurs erreurs majeures dans son argumentation.

La science et la philosophie doivent travailler ensemble. Malheureusement, ce texte à prétention philosophique s'appuie sur plusieurs affirmations scientifiquement douteuses. D'abord, que le taux de létalité « semble » avoir été surestimé n'est pas un argument suffisant pour le sous-estimer. Le calcul diffère d'un endroit à l'autre, mais la surmortalité demeure significative partout. Ensuite, certes, les études divergent sur le degré d'efficacité du masque, mais pas vraiment sur le fait qu'il y ait une certaine efficacité. Comme il ne peut occasionner que de rares et mineurs inconvénients, le principe de prudence s'applique. Ajoutons que la comparaison avec l'influenza a été réfutée à de nombreuses reprises, notamment à cause de l'existence de vaccins.

L'auteur dénonce ce qu'il croit être un sophisme ad hominem, consistant à s'en prendre aux gens qui soutiennent un argument plutôt qu'à l'argument en tant que tel. Selon lui, les experts en santé publique et autres défenseurs du masque se contenteraient d'accuser ses détracteurs de conspirationnisme au lieu d'utiliser des arguments rationnels. Or, critiquer un argument pour en conclure que ceux qui le soutiennent adhèrent à un courant de pensée inquiétant, ce n'est pas un ad hominem.

L'argument suivant est un sophisme de la pente fatale, impliquant une conclusion désastreuse et exagérée : « Et pourquoi ne pas fermer tous les fast-foods de la planète et obliger la population à faire 30 minutes de jogging par jour ? » De plus, l'analogie ne tient même pas : les mauvaises habitudes de vie ne nuisent qu'à la personne qui les adopte, contrairement à un virus contagieux.

Liberté

Autre passage troublant : « La rhétorique émotivo-sentimentale de la ??oepeur de la mort” n'est que charlatanisme et arnaque intellectuelle. » Cette caricature montre que l'auteur ne prend pas au sérieux les arguments auxquels il répond, comme on doit le faire en philosophie. Mais le plus inquiétant, c'est cette idée selon laquelle la liberté individuelle serait un principe si important qu'elle permettrait de mépriser le droit à la vie.

On pourrait voir dans notre opposition une confrontation classique entre les deux grands courants éthiques : je défendrais une thèse utilitariste visant à minimiser le nombre de morts, alors que monsieur Vachon défendrait une thèse déontologique valorisant la dignité humaine et la liberté. Mais aucun déontologue sérieux ne défendra le droit de poser un geste qui pourrait menacer, directement, la vie et la liberté d'autrui. Ne pas respecter les mesures sanitaires, ce n'est pas une attitude innocente avec des externalités négatives dont on pourrait se déresponsabiliser. Contaminer quelqu'un à la COVID-19, c'est s'en prendre directement à sa vie, et donc à sa liberté. On en revient à un principe que la plupart d'entre nous avons appris non pas au cégep, mais au primaire : ma liberté s'arrête là où commence celle de l'autre.

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