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OLEOTEK : la chimie verte à l’oeuvre

 

 

 

 

Entretien avec M. David Berthiaume, directeur général du Centre collégial de transfert de technologie OLEOTEK, affilié au Cégep de Thetford

 

OLEOTEK a débuté ses opérations en février 2003. Il fêtera son 15e anniversaire bientôt. Au cours de son histoire, le centre a déménagé à 2 reprises. Maintenant, il loge dans des locaux autonomes à proximité du collège.

Le champ d’action du centre
OLEOTEK est spécialisé dans le domaine de la chimie verte, la chimie renouvelable, la mise à l’échelle de procédés et l’oléochimie. La région de Thetford est bien connue pour sa production de l’amiante. Il y a plusieurs années, les autorités, voyant ce secteur stagner et même décroître, ont mis en place un comité de diversification économique. Autour de cette table, différents représentants ont exploré ce que pourrait être l’économie de demain pour la région. « C’est un entrepreneur local, monsieur Jean-Guy Grenier, président de Prolab Technologies, qui a proposé un créneau porteur pour l’avenir : l’oléochimie. Monsieur Grenier fabriquait déjà des lubrifiants, mais planifiait d’en produire qui soient plus respectueux de l’environnement et biodégradables. De fil en aiguille, le comité de diversification économique a retenu dans ses priorités un créneau totalement novateur : l’oléochimie industrielle. C’est vraiment dans le cadre d’un effort de diversification économique de la région qu’OLEOTEK a été créé », raconte David Berthiaume.

Un profil de naissance particulier
« En 2002, le gouvernement a annoncé la création de 5 nouveaux centres collégiaux de transfert de technologie qui se démarquaient des centres existants, en ce sens qu’ils s’inscrivaient tous dans des créneaux novateurs qui avaient peu d’assises au niveau québécois. Ce qui fait que l’on ne retrouvait pas de masse critique dans ces domaines au Québec. Alors que, dans le passé, on exigeait que le collège ait déjà une expertise et des ressources pour obtenir un centre, dans le cas d’OLEOTEK, le scénario a été différent. On ne retrouve pas au Cégep de Thetford un programme apparenté en chimie verte. Les besoins en personnel spécialisé existent dans les entreprises, mais le bassin étudiant intéressé à étudier dans des programmes scientifiques n’est pas au rendez-vous afin de justifier la création de nouveaux programmes de formation », au dire du directeur général.

Les liens avec le collège
Le centre travaille avec les professeurs du cégep, même s’ils ne sont pas spécialisés dans le domaine de la chimie verte. Des collaborations existent avec les professeurs de science et de différentes techniques scientifiques, tels génie mécanique et plasturgie. « Nous avons aussi des liens avec des professeurs d’autres collèges, comme Lévis-Lauzon qui offre des programmes en chimie analytique et génie chimique. Notre mandat de retombées sur la formation collégiale s’est élargi pas seulement à notre cégep, mais aussi avec d’autres cégeps. »

Une chaire de recherche du gouvernement fédéral
Le centre a obtenu une chaire de recherche du CRSNG en développement de résines thermodurcissables renouvelables pour l’industrie des composites. Le titulaire de la chaire se nomme Dr Dominic Thibeault. Il développe de nouvelles molécules chimiques polymériques d’origine renouvelable pour remplacer les produits pétroliers dans les matériaux composites. Le développement de ces nouvelles résines vise à diminuer les impacts des composés volatils organiques sur la santé des travailleurs qui œuvrent dans ces industries.

Une usine pilote stratégique
Pour David Berthiaume, l’usine pilote d’OLEOTEK est le créneau en émergence le plus important pour le centre. Il s’agit d’un service qui est offert aux entreprises pour leur permettre de traverser « la vallée de la mort », à savoir le moment entre le développement technologique et la commercialisation. « Il y a toujours une étape où il faut faire une démonstration de la faisabilité d’un nouveau produit ou d’un procédé innovant. Une démonstration à plus grande échelle, avec de plus grandes quantités pour l’industrialiser et démontrer la faisabilité commerciale. L’usine pilote, c’est une étape obligée que les entreprises doivent payer elles-mêmes. Elles doivent construire l’usine, démontrer la faisabilité et passer par la suite à la production industrielle. Après le pilotage, l’usine pilote ne sert plus à rien. C’est un investissement qui se trouve perdu pour les entreprises. Et souvent, les projets achoppent à cette étape à cause des coûts très élevés pour les entreprises privées. Et les banquiers se montrent peu enclins à investir dans des installations qui par la suite n’auront plus d’utilité.

» Notre usine de pilotage offre aux entreprises une installation accessible à toutes celles qui en ont besoin en payant un coût de location pour l’utiliser pendant la mise à l’échelle de leurs procédés chimiques. Elles peuvent ensuite passer à une autre étape. Plusieurs entreprises étaient bloquées par la nécessité d’aller chercher des capitaux importants pour investir dans une usine pilote. Elles peuvent progresser en louant nos installations à un coût moindre que d’investir dans une nouvelle usine. Il y a beaucoup d’intérêt pour les entreprises en émergence pour ces services. »

La chimie verte : une filière porteuse
Avec la préoccupation sociale croissante pour l’environnement et le développement durable, la présence d’OLEOTEK augmente en pertinence. « Avant la fondation du centre, explique David Berthiaume, on percevait que l’industrie s’en allait vers là. L’industrie chimique avait intérêt à verdir ses procédés, à verdir ses produits. Depuis 2002, nous n’avons pas constaté de baisse ni de retour en arrière. Nous avions assisté à une première vague de verdissement des produits dans les années 80; malheureusement, les entreprises ont mis sur le marché des produits verts, mais pas vraiment scientifiquement démontrés et avec des qualités moindres que ce qui existait sur le marché. La seconde vague du vert, c’est d’arriver avec des produits démontrés scientifiquement avec des caractéristiques supérieures ou à tout le moins comparables aux produits moins intéressants sur le plan de l’environnement. La seconde vague est là pour durer. L’engouement est là. Nous avons toujours eu une croissance soutenue et ça continue. »

Partenariats et collaborations de recherche
Le directeur général d’OLEOTEK est affirmatif : « Les partenariats et les collaborations de recherche font partie de notre ADN. Au-delà de 80 % des projets réalisés sont en partenariat avec d’autres instituts de recherche et 95 % de nos projets de recherche sont faits en partenariat avec une entreprise privée. La culture de partenariat dans notre travail de recherche et de développement est très présente. À titre d’exemple, c’est dans le cadre d’un partenariat mené principalement par l’Université du Québec à Trois-Rivières que nous avons reçu le 30 novembre dernier le Prix Partenariat technologique Coup de cœur de l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec (ADRIQ) . Le projet de recherche vise à valoriser les ressources présentes sur la Basse-Côte-Nord, comme les algues et les petits fruits, dans le but de générer du développement autour de ces ressources locales renouvelables. Notre expertise en extraction et en pilotage de procédés est ici mise à contribution. »

Impact sur la création d’entreprises au niveau régional
Une des attentes du milieu en regard de la création du centre visait la naissance de nouvelles entreprises dans le secteur dans une perspective de diversification économique. « Disons-le, en recherche et développement, ça prend toujours un certain temps avant d’amener les technologies à maturité. Nous avons tout de même un exemple d’entreprise qui a été créée par des chercheurs d’OLEOTEK qui avaient le goût et l’intérêt de commercialiser une technologie que l’on dit “orpheline”. Il s’agit d’une technologie que nous développons dans un projet pour des clients, mais qui n’a pas d’intérêt particulier pour ce dernier parce qu’elle est hors de son champ d’expertise. Avec les ressources limitées dont dispose le centre, il n’est pas évident de vouloir faire de la valorisation. Il s’agissait en occurrence d’une technologie de lubrifiant pour le décoffrage du béton. Quand on coule des fondations, on utilise des moules en métal qui vont servir de forme pour pouvoir couler le béton à l’intérieur. Une fois le béton coulé, on ne souhaite pas que ces moules restent pris dans le béton. On doit les lubrifier. Le centre a développé une huile de décoffrage plus intéressante pour les conditions hivernales. Les huiles bio existaient déjà, mais elles avaient tendance à geler la nuit quand la température baissait. Les deux chercheurs ont développé une entreprise qui s’appelle Innoltek. L’entreprise est toujours en activité. Par la suite, ils ont vendu leurs parts à un autre entrepreneur. Bref, nous avons créé un spin off, une entreprise dérivée. D’autres exemples se sont faits à travers des entreprises existantes par de nouveaux procédés et de nouveaux produits. Ça permet de créer des emplois et de développer l’économie. »

Les partenariats avec plusieurs membres du réseau Trans-tech
Plus de 80 % des projets du centre se font en partenariat avec des membres du réseau Trans-tech, au-delà d’une quinzaine de CCTT différents. Par exemple, OLEOTEK travaille avec Mérinov en Gaspésie sur une filière de valorisation des microalgues de la Côte-Nord, de la Gaspésie et des Îles de la Madeleine. Avec l’autre CCTT affilié au Cégep de Thetford, le CTMP, OLEOTEK collabore dans tous les projets qui touchent la plasturgie et les matériaux avancés. D’autres collaborations sont aussi réalisées avec le CDCQ de Saint-Jérôme au niveau des composites et avec TransBIOTech (Lévis) sur des ingrédients actifs, entre autres.

Les collaborations s’étendent aussi au milieu universitaire avec l’Université Laval, en particulier avec le département en génie chimique, avec l’UQTR et l’Université du Québec à Rimouski.

Convertir le siège social de la mine d’amiante pour faire de la chimie verte…
Le centre est installé dans le bâtiment de l’ancien siège social de la mine d’amiante, qui avait été abandonné pendant une dizaine d’années. La Ville de Thetford en a fait l’acquisition pour y installer deux entreprises, dont OLEOTEK. La ville a rénové la bâtisse et investit des sommes importantes. Depuis 5 ans, le centre s’est porté acquéreur de la partie qu’il occupe. Le terrain permet des agrandissements qui se sont réalisés il y a quelques années pour l’installation de l’usine pilote et de laboratoires. Cette reconversion de l’ancien siège social de la mine pour faire de la chimie verte a vraiment valeur de symbole.

Environ 400 millions de tonnes de résidus dorment sur le territoire.

Crédit photo : Nadeau Photo Solution

Contribuer à la valorisation des résidus miniers
Au départ le centre a été reconnu dans un créneau extrêmement pointu, celui de l’oléochimie industrielle. L’avantage qu’il en a tiré est qu’il a rapidement pu se positionner dans ce créneau comme un expert de calibre international. « Compte tenu de nos installations, les entreprises nous sollicitent pour des travaux dans d’autres domaines que l’oléochimie industrielle. De plus en plus, nous avons répondu à des demandes dans le domaine de la chimie verte et de la mise à l’échelle de procédés. C’est ce qui a mené à l’élargissement de notre mission par le ministère de l’Éducation il y a 2 ans. La mise à l’échelle de procédés touche un éventail assez large d’entreprises dans le secteur de la chimie, y compris la valorisation des résidus miniers. Une entreprise locale nous a demandé de collaborer avec elle dans son projet de production de fertilisants à partir des résidus miniers. Nous travaillons sur la mise à l’échelle du projet. Dans le cas de la région de Thetford, ce ne sont pas les résidus qui manquent. Des tonnes et des tonnes ont été accumulées pendant plus de 100 ans d’exploitation de l’amiante. Ces résidus sont facilement accessibles. Il y a eu plusieurs projets de valorisation de ces ressources, malheureusement sans grand succès. Il y a une résurgence de ces projets. Les paysages sont marqués par ces centaines d’années d’exploitation. L’idée n’est pas de valoriser la chrysotile. Je crois que la région a fait une croix là-dessus. Mais, nous avons le choix entre les recouvrir de végétation ou les utiliser pour des projets de développement économique. »

Des projets pour l’avenir
Parmi les nombreux projets que caresse le centre, le réaménagement de l’usine pilote figure en tête de liste pour pouvoir faciliter les opérations et améliorer l’efficacité énergétique du bâtiment. Compte tenu de l’engouement pour l’usine pilote, il est fort à parier qu’un projet d’agrandissement soit élaboré. Des clients souhaitent même investir pour un agrandissement de l’usine.


Entrevue et texte réalisé par Alain Lallier, éditeur en chef et édimestre, Portail du réseau collégial du Québec






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