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À la recherche du conseiller pédagogique perdu

M. Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Notre collaborateur Robert Howe se questionne ici sur le rôle que joue le conseiller pédagogique d’aujourd’hui. M. Howe, qui a été conseiller pédagogique pendant la plus grande partie de sa carrière, observe que certains conseillers pédagogiques de relève sont appelés à des rôles parfois fort différents de ce que les pères fondateurs des cégeps avaient conçu.

Il arrive que des événements déclenchent une réflexion sur des sujets délicats. Dans des sessions de formation que j’animais l’an passé, il m’est arrivé d’entendre des enseignants déplorer que leur conseiller pédagogique ne constitue pas une ressource crédible, susceptible de les aider à résoudre certains problèmes en enseignement. Dans un autre collège, un conseiller pédagogique me confiait son inquiétude de voir sa profession se diluer par un accaparement de toutes sortes de mandats qui, souvent, répondent plus aux besoins de son patron que des enseignants.

Ces deux anecdotes m’interpellent dans une réflexion sur l’évolution de la profession de conseiller pédagogique.

On me traitera de nostalgique, je veux bien, mais j’ai mal à ma profession lorsque je rencontre un conseiller pédagogique qui me semble bien incapable de conseiller en pédagogie. Pourquoi en est-il ainsi? Est-ce de l’incompétence en pédagogie ou le résultat d’un affolement dans un tourbillon de mandats de toutes sortes?  Peut-être les deux, dans certains cas. Peut-être même, enfin, qu’on perçoit différemment le rôle des conseillers pédagogiques.

Évolution dans le temps

Dès le début des collèges, à la fin des années ’60, cette profession a d’abord été exercée sous l’appellation de conseiller en recherche et expérimentation (CRE), puis, au début des années ’80, sous le titre de conseiller pédagogique.  C’est une profession qui a toujours eu pour rôle, dans les collèges, de voir à l’animation pédagogique des enseignants1 . Dès le début des années 1970, on a souhaité que les cégeps, encore naissants, se dotent d’un « spécialiste de la pédagogie agissant comme conseiller auprès des professeurs2 » . Pour bien comprendre l’intention originelle des collèges à l’égard des conseillers pédagogiques, je recommande la lecture de l’excellent rapport de recherche de Houle et Pratte (2007) dont le premier chapitre rappelle l’histoire de la création de cette profession de conseiller pédagogique ainsi que les étapes de son évolution. J’y ai retrouvé, avec plaisir, les traces de la fébrilité (pages 16-19) qui animait ces institutions, toutes nouvelles à l’époque, qui sentaient le besoin fécond de se donner une culture pédagogique propre. Dès le début de la création des cégeps et pendant une part importante de leur histoire, « l’euphorie des bâtisseurs » (page 17) a donné naissance à une pléthore d’expérimentations pédagogiques de toutes sortes et les directions des collèges ont vite convenu de la nécessité d’encadrer et de guider ces expérimentations. Il fallait aussi aider les enseignants dans leur métier de pédagogues alors qu’ils sont tous spécialistes de leur discipline. C’est de là qu’on a vu l’embauche des conseillers pédagogiques3  (ou CP), dans chacun des collèges.

Mais voilà que certains collèges remplacent des conseillers pédagogiques compétents et chevronnés par des conseillers pédagogiques débutants sans leur accorder les moyens de se développer des compétences en counseling  pédagogique4. Ou sans requérir qu’ils se donnent ces compétences…!
Récemment, j’ai rencontré des conseillers pédagogiques qui n’ont aucune formation en pédagogie et qui, de là, sont bien incapables de jouer leur rôle de soutien aux enseignants en matière de pédagogie. Des conseillers pédagogiques qui se cantonnent dans des rôles de « chargés de projets », entièrement absorbés par des tâches associées notamment à la reddition de comptes. Certains auront été détournés de leur fonction de conseillers en pédagogie, seront devenus des adjoints d’adjoints, des animateurs de groupes de travail5 .

Si, dans la majorité des collèges et cégeps, les conseillers pédagogiques sont des soutiens pédagogiques crédibles et respectés des enseignants et dont je salue ici la sincérité et la professionnalité, il y a malheureusement des collèges qui « maltraitent » cette profession de conseiller pédagogique. On y embauche quelqu’un qui n’aura aucun rôle de soutien à la pédagogie mais à qui on confiera des dossiers institutionnels spécifiques, dont, entre autres, les dossiers d’évaluation prescrits par la CEEC. Certains, qui auront pour mandat d’accompagner le perfectionnement des enseignants, notamment en étant répondants locaux de PERFORMA, ne seront que gérants d’activités tout en étant bien incapables de donner, eux-mêmes, de la formation à « leurs » enseignants.

Dans au moins un cégep, on a attribué le titre de conseiller pédagogique à tous les professionnels non enseignants (PNE) pour la seule raison de les avantager sur le plan salarial. Ainsi, la bibliothécaire est CP. Le conseiller d’orientation est CP. Le conseiller aux affaires étudiantes et communautaires est CP. Dans un autre collège, une adjointe administrative est devenue conseillère pédagogique. Pourtant elle n’a jamais eu la moindre formation en pédagogie et est tout à fait incapable de nommer un auteur en pédagogie. Et les mécanismes de priorité d’emploi dans un même corps d’emploi font que des passerelles sont faciles à franchir entre un CP « chargé de projet » à un CP « soutien pédagogique aux enseignants ».

En 2008, la Fédération du personnel professionnel des collèges (CSQ) publiait un excellent cahier sur l’histoire de l’évolution de la situation de travail des professionnels des collèges. On y lira un récit éloquent des efforts qui ont, pendant les trente cinq ans touchés par ce document, fait évoluer une culture professionnelle de haut niveau au service des enseignants et des étudiants de l’ordre collégial. En arrière-scène du développement des instances syndicales, ce rapport Lavoie 6 est clair : les professionnels des collèges sont animés d’une vision et d’une motivation élevée quant à leur engagement envers l’excellence de ce qui se fait dans les collèges.

Pourtant, je vois des jeunes se voir confier des mandats de conseiller pédagogique mais laissés à eux-mêmes pour se former, sauf dans le cas des « chanceux » qui deviennent répondant locaux de PERFORMA ou d’autres structures de développement (par exemple : l’ARC,  le Carrefour de la réussite, le réseau REPTIC) et qui trouvent dans leurs activités réseau ce soutien solidaire qui contribue à leurs compétences. Je ne sache pas qu’il existe des mécanismes formels de mentorat pour intégrer les conseillers pédagogiques à la profession. On assiste avec tristesse à une perte d’expertise. Et peut-être, à terme, à une perte de statut professionnel. Des collèges qui, paradoxalement, vont chercher à démontrer qu’ils prennent des mesures pour favoriser la réussite des étudiants choisissent de se priver de la contribution d’une personne spécialiste en pédagogie qui pourrait, avec crédibilité et respect, assister les enseignants, surtout les nouveaux, dans leur tâche dont on sait qu’elle est complexe et difficile.
C’est dommage.

Rédacteur : Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Tout commentaire ou suggestion de votre part sera bienvenu. Vous pouvez adresser vos commentaires à howerobert@sympatico.ca


NOTES et RÉFÉRENCES

  1. Entre 1975 et 1998, j’ai exercé cette profession d’abord sous l’appellation de conseiller en recherche et expérimentation puis, au tournant des années ’80, sous le titre de conseiller pédagogique.  Depuis bientôt dix ans, j’ai repris ce service comme consultant.

  2. Quelques références essentielles :
   • St-Pierre, Lise. Les Conseillères et les conseillers pédagogiques du collégial : La fonction de conseiller pédagogique, son origine et son évolution. Sherbrooke. PERFORMA.  Éditions de l'Université de Sherbrooke, 2005. (Disponible au Centre de Documentation Collégiale, Cote : 787375)


  • Hélène Houle, Marielle Pratte., Les Conseillères et les conseillers pédagogiques : Qui sont-ils? : que font-ils? /  2003: Revue «Pédagogie collégiale» Vol. 17, no 2, déc. 2003, p. 20-26. http://www.cdc.qc.ca/ped_coll/pdf/houle_pratte_17_2.pdf

. • Hélène Houle, Marielle Pratte. La Fonction de conseiller pédagogique au collégial : Rapport de recherche.  Sherbrooke : Regroupement des collèges PERFORMA ; Collège de Sainte-Foy, 2007. 273p.  http://www.cdc.qc.ca/pdf/786746-houle-pratte-fonctions-conseillers-pedagogiques-performa-2007.pdf
 

3. Ces professionnels, au départ spécialistes de la pédagogie ou enseignants formés en pédagogie, sont ces leaders qui se sont donné, en 1981, un regroupement de solidarité et de co-développement professionnel. En fondant ce regroupement, ils l’ont appelé … Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC).
 

4. Ce mot « counseling » est maintenant accepté par l’Office de la langue française. Voir : http://www.granddictionnaire.com/ficheoqlf.aspx?id_fiche=8872132

 5.  Dans un collège, le conseiller pédagogique anime les comités de programme parce que, à défaut de ce rôle d’animateur, les comités de programme ne se réuniraient pas. Un « gentil organisateur », un « père fouettard »?

  6. Jean-Luc Lavoie. UNE HISTOIRE POUR NOTRE AVENIR. TRENTE-CINQ ANS DE LUTTE POUR LE PERSONNEL PROFESSIONNEL DES COLLÈGES. Fédération du personnel professionnel des collèges. CSQ. Juin 2008. 99 pages. (Disponible au Centre de documentation collégiale, sous la cote 787183)






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