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Philippe J. Fournier, l’enseignant qui sait déchiffrer le ciel électoral
Par Élise Prioleau
Enseignant en astrophysique au Cégep de Saint-Laurent, Philippe J. Fournier a été nommé sur la liste des 50 personnalités influentes du magazine Maclean’s. Une nomination qui souligne la popularité de ses analyses, lues par des millions de lecteurs depuis cinq ans. Entrevue avec un scientifique qui a su se tailler une place en politique.
C’est en concevant un simulateur de Big Bang pour ses étudiants du Cégep que Philippe J. Fournier a eu l’idée de créer un modèle statistique qui prédit les résultats électoraux. Sept élections plus tard, force est de constater que ses résultats sont extrêmement précis. Depuis 2018, il a su prédire 90 % des résultats électoraux, dans l’ensemble des circonscriptions provinciales et fédérales.
« J’ai pris tous les résultats d’élections depuis plus de 25 ans et je compare d’élection en élection tous les mouvements du vote. Avec ma connaissance des statistiques et un peu de programmation, j’ai réussi à construire un modèle qui permet d’anticiper les résultats d’élections. » Son modèle permet ainsi de dégager les probabilités de succès pour l’un ou l’autre des partis dans chacune des circonscriptions. « C’est important d’avoir quelqu’un qui a une vue d’ensemble des tendances. C’est ce à quoi mon modèle d’analyse sert. »
Aujourd’hui, Philippe J. Fournier est analyste scientifique de sondage pour plusieurs grands médias, tel que L’Actualité. Ses analyses non partisanes sont basées sur une analyse rigoureuse des sondages électoraux. « En astrophysique, nous travaillons énormément avec les statistiques. C’est cette connaissance-là des statistiques, appliquées au contexte électoral, qui a intéressé les grands médias. Mes analyses apportent un complément d’information scientifique au travail plus partisan des journalistes », résume l’analyste de sondages.
« Je dégage une vue d’ensemble avec un œil non partisan qui est le plus objectif possible, sans mention de mes émotions et de mes préférences. Mon but n’est pas d’influencer, mais d’informer. »
- Philippe J. Fournier, enseignant en astrophysique au Cégep de Saint-Laurent et analyste de sondages
La campagne américaine de 2016
L’élection opposant Trump et Clinton a été le point de départ du blogue Qc125. « Au cours de cette élection, je voyais que les chiffres des maisons de sondage annoncés de jour en jour ne concordaient pas avec le consensus médiatique qui annonçait Hilary Clinton gagnante », explique Philippe J. Fournier. « Les chiffres m’indiquaient que Mme Clinton était favorite, mais son avance n’était pas si écrasante que ce l’on laissait croire. Quand je voyais le New York Times qui annonçait une probabilité de victoire de 98 % pour Clinton, je me disais ce n’est pas du tout ça que les chiffres disent. C’était beaucoup plus serré que ça. »
Philippe J. Fournier a constaté en 2016 le manque de rigueur scientifique dans le monde de l’analyse politique chiffrée. « Au cours de cet automne-là, j’ai commencé à accumuler des résultats de sondage sur une feuille Excel », raconte-t-il. « C’est à ce moment-là que j’ai parti mon blog Qc125 et que j’ai commencé à écrire mes propres analyses. Rapidement, j’ai eu des appels de La Presse, Le Devoir et de la Gazette qui voulaient publier mon travail. »
Philippe J. Fournier anime aujourd’hui les blogues Qc125 et 388Canada, dans lesquels il analyse les résultats de sondages des élections provinciales et fédérales. Il publie dans le magazine L’Actualité et commente dans plusieurs grands médias lors des campagnes électorales.
Un rôle de vérificateur
Philippe J. Fournier exerce également un rôle de vérificateur du travail des maisons de sondage. « Mon travail est de prendre tous les sondages réalisés par les maisons de sondage et de les comparer aux résultats réels des élections provinciales et fédérales», explique-t-il. « Ceci me permet d’évaluer une cote pour chaque sondeur. Quels sondeurs ont bien performé, moins bien performé, où et quand, dans quelle province, etc. Ça permet d’avoir une vue d’ensemble, et de comparer les résultats des sondeurs du Canada. »
Les électeurs québécois
Au Québec, depuis 10 ans, les électeurs ont des comportements extrêmement chaotiques, observe l’analyste politique. « Lors des trois dernières élections au Québec, trois partis différents ont été élus. En 2012, c’était le Parti Québécois, en 2014 les libéraux et en 2018 la CAQ. Ce n’est pas arrivé souvent ça. C’est le même cas de figure au fédéral, au cours de la même période. En 2011, les Québécois ont voté pour Jack Layton, en 2015 ils ont choisi Justin Trudeau et en 2019, le Bloc Québécois a fait son retour », relève-t-il.
Autre fait remarquable : les Québécois ont tendance à fonctionner en vague lors des élections. « En 2011 au fédéral, une grande partie des électeurs québécois sont passés du Bloc Québécois au NPD. En 2012 au provincial, après l’élection de Pauline Marois, les libéraux de Philippe Couillard ont augmenté leur fraction de vote partout dans les 125 circonscriptions. 4 ans plus tard, les Libéraux perdaient du terrain partout. Ça fonctionne par vague. Il suffit de regarder l’ampleur de la vague dans chacune des régions pour être capable d’estimer les résultats. »
Après cinq années à côtoyer le monde des sondages électoraux, Philippe J. Fournier souligne l’importance d’admettre que les mesures ne soient pas entièrement précises en statistique. « J’enseigne à mes étudiants en physique à tenir compte de l’incertitude dans les statistiques. Il s’agit d’estimer et de mesurer le degré d’incertitude », confie-t-il. Si en journalisme politique, on souhaite ardemment déterminer les résultats avec certitude, la science des sondages quant à elle, rappelle aux lecteurs la volatilité des résultats en temps d’élection.