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On peut toujours avoir vingt ans

Entrevue avec Mme Josée Bilodeau, professeure au Cégep de Victoriaville

Mme Josée Bilodeau enseigne en techniques de comptabilité et de gestion au Cégep de Victoriaville. Dans le cadre du dernier colloque de l’AQPC, elle a présenté une communication intitulée : « Les réseaux sociaux dans ma classe? Et pourquoi pas ? ». Elle a accepté de nous en parler en entrevue.

Comment lui est venue l’idée d’utiliser les réseaux sociaux dans sa classe ?

En techniques de comptabilité et de gestion au Cégep de Victoriaville, lors de l’année scolaire 2005-2006, le programme a débuté un enseignement en utilisant des ordinateurs portables. En 2009-2010, le collège a démarré les entreprises d’entraînement ce qui a été l’occasion de refondre le programme. Josée Bilodeau explique : « on voulait intégrer des cours à saveur marketing et gestion dans le programme d’études. On considérait alors que l’on n’avait pas le choix de mettre en place un cours de marketing électronique. C’est moi qui ai hérité de ce cours. Il m’apparaissait incontournable de parler des réseaux sociaux.  À cette époque, il n’y avait pas de formation sur les réseaux sociaux. Histoire de me familiariser avec cela, je me suis inscrite sur les réseaux sociaux. J’ai exploré. Avant que le cours ne démarre, j’ai intégré mes étudiants sur ma page Facebook personnelle. J’ai commencé à interagir avec eux, mais je voulais le faire de façon pédagogique ». 

Pour Josée, l’utilisation de Facebook s’inscrit d’abord dans une perspective de relation pédagogique : « Mon but était de prolonger la relation prof-élève; pour moi, c’est la base de l’enseignement. J’ai la conviction que l’on peut leur demander beaucoup quand nous avons une bonne relation avec eux et qu’ils donnent beaucoup aussi en retour. Des exemples? Au début du cours, je demande à mes élèves ceux qui sont intéressés à devenir amis Facebook avec moi. Envoyez-moi l’invitation. Bien sûr, j’insiste pour leur dire qu’ils ne sont pas obligés. Quand ils le font, c’est qu’ils le veulent bien. Dès le premier jour, une poignée d’étudiants s’inscrivent. D’autres se rajoutent progressivement quand ils constatent le type d’interventions que je vais faire ».

En visant des thématiques abordées dans le cours et le programme, elle utilise l’actualité. Dans le cadre de l’incident Pachioretti au hockey, Air Canada a annoncé que dans ce contexte elle voulait cesser sa commandite. Elle a mis cet article sur sa page Facebook; des élèves ont réagi. En classe, elle est revenue sur les commentaires. Elle analyse avec eux l’impact marketing d’une telle démarche. Elle leur explique comment l’image de l’entreprise est concernée et l’impact que cela peut avoir même à la bourse. « Voilà le genre d’interaction intéressante. Nous jouons beaucoup sur l’actualité .Ces éléments figurent sur ma page Facebook. Les étudiants font leurs commentaires ». 

Des interventions plus ludiques aussi : « Je leur dis d’aller sur la page Facebook de telle entreprise. Dites-moi ce qui marche et ce qui ne marche pas. Et j’offre deux billets de cinéma à ceux qui gagnent le concours. Tout cela se fait à l’extérieur des cours ». 

Josée est consciente des risques de l’utilisation de Facebook : « Je n’interviens jamais au niveau de la morale. Je n’interviens pas sur le français. Je n’interviens pas dans leur vie de jeune. Je n’interviens jamais dans ce qui ne me concerne pas. Si je le faisais, je serais rapidement exclue. Par contre, je vais intervenir de façon privée, si je vois de la détresse. Si dans un commentaire Facebook, quelqu’un dit : « je suis triste » ou « la vie m’écoeure », j’envoie un message privé. J’interviens aussi de façon privée, quand je vois de la frustration. Je leur dis alors de faire attention comment ils écrivent leurs commentaires. J’interviens aussi de façon privée pour les problèmes légaux qui pourraient survenir comme de l’intimidation ». Il faut noter que toutes ces interventions se font en dehors du cours. 

L’enseignante constate que cette approche se traduit par une valorisation du professeur et une valorisation de l’élève : « Une fois, j’écris à mes élèves : « Quel beau groupe de première année. Tout le monde est à peaufiner sa présentation orale. Tout le monde a mis sa petite touche personnelle ». Je mets cela dans mes commentaires. De leur dire que mes groupes de première année sont géniaux, les élèves se sentent valorisés par de tels propos. Ces interventions ajoutent au climat de la classe. Le professeur se sent valorisé par des commentaires du type : « merci beaucoup Josée! Grâce à ton cours, j’ai eu droit à une entrevue dans une entreprise parce que j’ai complété mon cours de service à la clientèle ».

L’élève vient aussi chercher de l’information auprès de l’enseignante. Il a trouvé un article sur internet. Il lui communique sur Facebook. C’est l’occasion d’échanger avec lui sur le contenu de cet article. Une discussion qu’elle n’aurait probablement pas eue en classe.
Nous lui faisons remarquer que ce type d’intervention ne figure pas dans la tâche d’un professeur de cégep. Elle répond : « Ça ajoute beaucoup à mes cours. Je peux par exemple leur annoncer : « attachez vos tuques, ça va brasser dans le cours demain ». Le lendemain matin, ils sont déjà fébriles, ils ont hâte ».

L’utilisation des réseaux sociaux à l’intérieur des cours
Dans le cadre du cours marketing électronique, les étudiants ont eu à élaborer une stratégie WEB 2.0 pour une entreprise qui existe réellement. Ils ont dû cibler une entreprise eux-mêmes. Ils ont rencontré l’entreprise; ils ont ciblé les besoins. Ils ont choisi les médias sociaux à utiliser : une page Facebook, un blogue, un compte Twitter, une vidéo You-Tube. Ils ont créé les réseaux sociaux pour cette entreprise. Ils ont alimenté ce réseau pendant six semaines et ils ont fait la veille, c’est-à-dire répondre aux commentaires des clients. Ils ont fait une analyse des résultats, un suivi de cette stratégie. Ils ont produit en plus un guide d’utilisation pour les gens de l’entreprise. Si bien que les élèves en bout de parcours en savaient plus que l’entreprise sur l’utilisation des réseaux sociaux.

Vingt entreprises ont été impliquées. À la fin de ces six semaines, sept entreprises ont décidé de garder les élèves à l’emploi et ont accepté de les rémunérer pour ce faire. 

Josée évalue très positivement ce projet : « il y eut des retombées pour le milieu : un élargissement du réseau des entreprises intéressées. D’autres entreprises ont manifesté leur intérêt à faire appel aux étudiants. Le collège y gagne aussi en visibilité et en reconnaissance au niveau local et provincial, parce que d’autres succursales d’entreprises de Victoriaville se sont montrées intéressées. Les élèves sortent de cette expérience valorisés, parce qu’ils découvrent qu’ils ont des compétences que les gestionnaires n’ont pas. Le niveau de confiance, de valorisation et de fierté augmente. On apporte quelque chose aux entreprises au lieu d’aller chercher quelque chose ». 

« À l’intérieur du cours, cette approche permet d’apprendre de manière différente. On apprend beaucoup des travaux des autres. Nous sommes en mesure d’utiliser des exemples réels de réalisations des élèves. À titre d’exemple, quelqu’un a fait un concours Facebook qui n’a pas marché. On peut analyser ensemble pourquoi. Les élèves sont d’autant intéressés que ça vient d’eux. La tâche du professeur en devient une de supervision. Il faut quand même faire le tour de toutes les pages Facebook et d’autres sites tous les soirs. Il y avait un contrôle du professeur avant de mettre les projets en ligne. La force de cette approche pédagogique réside dans le fait de travailler sur des situations réelles ». 

Les étudiants réagissent très positivement à cette approche. Ils apprécient l’encadrement et le suivi actif du professeur. L’étudiant est conscient du temps supplémentaire qu’il consacre à son projet. Mais, il en est très fier. Les entreprises accordent leur confiance à ces étudiants, ce qui les valorise beaucoup. Ils se donnent à fond. « C’est beaucoup de travail pour les élèves et pour le professeur, mais je n’ai pas hésité à recommencer cette année ».

À entendre le témoignage de cette enseignante, nous n’avons pu résister à la curiosité de connaître son âge. Pour apprendre avec surprise qu’elle en est à sa vingtième année d’enseignement. La jeunesse de sa voix, son enthousiasme débordant nous ont amenés à penser qu’on peut toujours avoir vingt ans…

Voici des pages facebook d'entreprises créees par les élèves dans le cours de Marketing électronique de l'Automne 2010 :
 
https://www.facebook.com/#!/pages/restaurant-le-luxor/152915801419744
 
https://www.facebook.com/#!/pages/la-fromagerie-victoria/128013233922209
 
Entrevue réalisée par M. Alain Lallier, le 6 octobre 2011.






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