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Le CQFA: un centre de formation unique au Québec

Entretien entre Marie Lacoursière et Monsieur Serge Boucher,  directeur du Centre québécois de formation aéronautique (CQFA) affilié au Cégep de Chicoutimi

Imaginez un étudiant finissant qui, pour souligner l’obtention de son DEC, invite ses grands-parents et ses parents à faire un tour d’avion. Surprenant, n’est-ce pas? Mais, ce qui est encore plus particulier, c’est que le pilote de l’avion, c’est le nouveau diplômé. De la fiction? Non. Ce scénario se déroule chaque année au Centre québécois de formation aéronautique (CQFA), affilié au Cégep de Chicoutimi. Une remise de diplôme unique dans le réseau collégial qui témoigne avec éclat des compétences acquises par les finissants.

Former des pilotes francophones
Le Centre québécois de formation aéronautique fait partie des cinq écoles nationales du Québec. Il s’est taillé, par la diversité de ses interventions, une solide réputation dans le secteur de la formation en pilotage. Monsieur Serge Boucher, directeur du centre avec qui nous nous sommes entretenus, relate l’histoire de l’établissement :« À la naissance du Cégep de Chicoutimi en 1967, le premier directeur général était un amateur de chasse et de pêche. Lorsqu’il se déplaçait en avion, il trouvait aberrant que ce soit uniquement des anglophones qui les conduisaient sur des lacs. Il s’est alors demandé pourquoi les Québécois n’avaient pas une école francophone habilitée à prendre sa place dans l’aviation commerciale.

La nouvelle appellation Centre Québécois de formation aéronautique (CQFA) est apparue au début des années 1980.

De là est née l’idée de faire une école spécialisée francophone en pilotage afin de former des pilotes de brousse et des pilotes multimoteur aux instruments. Toutes les infrastructures étaient là, dont un ancien aéroport militaire à St-Honoré, au nord de Bagotville, laissé à l’abandon. Les pistes étaient toujours accessibles. L’idée a germé et c’est ainsi qu’est née l’École de pilotage en 1968. La mise en place s’est faite modestement. La nouvelle appellation Centre Québécois de formation aéronautique (CQFA) est apparue au début des années 1980. Par le type d’enseignement qu’on y offre, il est rattaché au Cégep de Chicoutimi, qui reçoit des subventions et des budgets particuliers s’adressant uniquement au Centre, comme c’est le cas dans les cinq écoles nationales.»

Une voie de sortie se rapportant au pilotage d’hélicoptère


C’est à l’époque de la construction des barrages dans le nord du Québec en 1974-1975 et face à un manque de main-d’œuvre dans le domaine au Canada que la voie de sortie se rapportant au pilotage d’hélicoptère fut créée. Un seul collège canadien offre les trois voies de sortie au même endroit. Le CQFA est ainsi le plus gros collège public de formation en fonction dans le domaine au Canada. « Le Centre forme ceux et celles qui choisissent le multimoteur aux instruments pour devenir des pilotes de ligne. Dans le monde de l’aéronautique, c’est en définitive l’expérience de vol et les heures accumulées qui déterminent si les diplômés peuvent travailler dans les gros transporteurs. Les étudiants de ce secteur doivent donc accumuler de 1000 à 2000 heures de vol pour espérer voler avec des compagnies comme West Jet, Air Canada ou Air Transat. Ceux et celles qui choisissent hélicoptère et hydravion iront davantage dans le Grand Nord, les pourvoiries, la construction d’infrastructures, de lignes électriques et l’exploration minière. »

La sélection des étudiants : un processus minutieux

Le programme est contingenté. Au maximum 40 étudiants sont acceptés annuellement et environ 36 d’entre eux obtiendront un diplôme. Très peu quittent le programme en cours de cheminement, et ce, grâce à un processus de sélection à la fine pointe. Quelque 300 demandes d’admission sont annuellement adressées au Centre. La sélection se fait en trois étapes. Tous doivent détenir un diplôme de 5e secondaire avec mathématiques technico-sciences ou sciences naturelles (anciennement 536) et physique forte, avoir le statut de Canadien et résider au Québec. Dans un second temps, les quelque 250 candidats répondant à ces critères sont invités à la deuxième étape de la sélection. « Nous nous déplaçons vers Montréal et Québec, et les candidats peuvent venir à Chicoutimi », précise monsieur Boucher. « Les tests de calcul mental, d’orientation spatiale, de raisonnement mécanique, de langues anglaise, française et de connaissances générales sur l’aviation durent toute une journée à un endroit choisi, et ce, à la même heure "et au même poste" afin d’éviter les possibilités de fuite. Sur les 250 candidats admis au processus de sélection, les 100 meilleurs seront invités à se présenter à la troisième phase de la sélection de deux jours à Chicoutimi.»

Mesurer la qualité de la gestion du stress et d’apprentissages simultanés
La troisième étape de sélection dure deux jours. Les inscrits sont soumis à une entrevue et à un test informatisé qui les place en contexte d’effectuer deux tâches simultanément. « Il s’agit d’un système créé pour mesurer si les contrôleurs possèdent toujours, à l’âge de 65 ans, les habiletés requises pour contrôler les situations simultanées et complexes auxquelles ils seront soumis. Les mises en situation auxquelles les aspirants sont soumis permettent de mesurer la qualité de gestion du stress et d’apprentissages simultanés. L’entrevue à laquelle ils sont conviés permet de mesurer leur intérêt et leur motivation pour le programme, de cerner s’ils sont conscients des embûches qu’ils devront affronter et de mesurer comment se fera l’intégration dans le milieu du travail après l’obtention du diplôme. » Les étudiants passent également un examen médical auprès d’un médecin accrédité par Transports Canada. Cette étape vise essentiellement à s’assurer que les paramètres physiques dictés par Transports Canada sont respectés et, si possible, à identifier les maladies dites évolutives qui pourraient contrevenir à une carrière dans l’aviation.

Les perspectives et conditions d’emploi

À l’obtention du diplôme, les élèves auront accumulé quelque 225 heures de vol; ils travailleront donc pour des petits transporteurs. Ils feront un travail différent selon la voie de sortie choisie : hydravion, hélicoptère ou multimoteur. Dans cette dernière éventualité, les diplômés feront du taxi aérien, de la patrouille de feu ou du cargo. En plus de leur diplôme de pilote, certains feront leur cours d’instructeur de vol afin de pouvoir enseigner dans des écoles privées et augmenter ainsi leurs heures de vol, donner de la formation aux cadets, faire la patrouille de feu l’été, faire sauter des parachutistes. Ils travailleront dans des petites PME qui offrent des services avec des avions, des hélicoptères ou des hydravions, et ce, principalement pour augmenter leur expérience de vol.

L’intégration au marché du travail
Pendant un ou deux ans, l’intégration au milieu, même si ça va bien et que le placement est bon, demeure difficile. Les emplois sont contractuels et peu rémunérateurs. « Vous comprenez que l’étudiant qui a trouvé au mois de mai un contrat pour faire sauter des parachutistes ou faire de la patrouille de feu terminera son travail en novembre de la même année. L’hiver, le nouveau professionnel de l’air se retrouve donc au chômage ou doit, pour combler le manque à gagner entre les saisons de vols, se réinvestir dans les emplois d’étudiants. Le printemps suivant, le cycle recommence. Cette situation contribue à l’augmentation des heures de vol tout en donnant au principal intéressé l’accès à un poste de copilote sur des avions qui accueillent de dix à douze passagers. » C’est ainsi que, de fil en aiguille, l’expérience augmente et ouvre des portes auprès des compagnies comme JAZZ qui demandent à peu près 1500 heures de vol.»

Un programme à la fine pointe des demandes de l’industrie 


Si la mission première du centre vise l’entraînement des pilotes professionnels aux exigences opérationnelles de l’industrie, son rôle dépasse largement l’enseignement du pilotage aux étudiants. Le CQFA a également la mission de produire du matériel didactique adapté à l’environnement nord-américain, de supporter la petite et la moyenne entreprise, de rendre disponibles des programmes d’actualisation et de recyclage à une population adulte et de faire de la recherche pédagogique dans les disciplines connexes au pilotage. Pour le directeur, le principal défi du Centre réside dans le fait d’offrir un programme à la fine pointe des demandes de l’industrie et d’évoluer en même temps qu’elle. « Il faut s’assurer que le programme que nous offrons est et demeure à jour sur le plan des équipements utilisés et des compétences à développer. C’est pour cette raison que nous sommes membres de plusieurs associations dans le domaine du transport aérien. En participant aux différents congrès, nous voyons ce qui se dessine et nous constatons quelles sont les principales préoccupations de l’industrie concernant la formation de pilotes compétents. Nous devons être à l’affût des nouveaux systèmes beaucoup plus informatisés qu’autrefois et qui sont maintenant à bord des appareils. Qui plus est, les étudiants du Centre doivent avoir accès à ces nouveaux systèmes. Nous y arrivons en montant des simulateurs de vol qui leur permettent de les expérimenter. » L’ensemble de la flotte de 13 monomoteurs tout équipés d’instruments traditionnels a été modifié. L’ensemble des tableaux de bord a été modernisé en les dotant d’écrans et de systèmes de navigation par satellite. Le défi actuel du Centre consiste à prévoir les appareils et les systèmes avec lesquels les diplômés seront appelés à travailler.

En formation continue
Un point de service situé à Dorval offre toute une gamme de formations sur mesure pour les gens travaillant dans l’industrie. Le Centre forme par exemple les pilotes-vérificateurs des compagnies aériennes et utilise, pour ce faire, un simulateur qui reproduit les conditions de vol d’un Boeing 737-800. Ce sont les gens qui maintiennent les standards de formations et de compétences dans les compagnies. C’est vraiment une formation de formateurs. « Nous donnons aussi des cours sur le pilotage de drones, sur la gestion des aéroports, sur la gestion de la faune, des cours de survie, etc. La clientèle vient de partout au Canada et parfois même des États-Unis. Dans le contexte budgétaire difficile pour les collèges, ces activités permettent de venir combler une partie du manque à gagner de l’enseignement régulier.»

Les projets d’avenir
Le Centre travaille depuis un an sur les axes de développement du CQFA pour les prochaines années. « Nous voulons pouvoir dire au ministère ce que ça prendrait en 2019 pour assurer une formation à jour dans le pilotage d’un aéronef. Est-ce que ça va demander une révision de programme? Il est trop tôt pour le dire. Est-ce que ça demandera de modifier nos stratégies pédagogiques pour atteindre les compétences? Je pense que oui. Est-ce que l’on a les bons appareils, les bons simulateurs? Est-ce que les trois voies de sortie sont toujours appropriées? Ce sont les questions auxquelles il faudra répondre afin d’être prêts pour 2019. Le choix du type d’aéronefs commande beaucoup d’autres changements pour s’y adapter. La flotte d’avions que nous avions au début de l’école a été complètement renouvelée au fil des ans. À titre d’exemple et après environ 30 ans d’utilisation, nous avons changé un hélicoptère au coût de 1,8 million. Pour les avions monomoteur, la mise à jour s’est faite en changeant les tableaux de bord. En 2018 cependant, certains appareils de notre flotte seront devenus vieillissants et il faudra faire des choix.»






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