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Décoloniser la pédagogie pour favoriser l'épanouissement des étudiants autochtones

Par Élise Prioleau

À l’automne 2016, un groupe de sept enseignants du Collège John Abbott se rassemblaient pour repenser la pédagogie. L’objectif : faire une place aux perspectives culturelles autochtones dans les salles de classe. Pour y arriver, il fallait voir autrement l’enseignement afin de se défaire d’une certaine vision eurocentriste du monde. Le groupe de recherche Decolonizing pedagogies était né.

 

Debbie Lunny, cofondatrice du groupe de recherche et enseignante.

 

Ces enseignants qui ont voulu faire bouger les lignes sont des spécialistes de la justice sociale, des théories postcoloniales, historiens, anthropologues, politologues, littéraires et philosophes. « À la suite d’un vaste processus de documentation et de concertation, nous avons lancé un projet de décolonisation institutionnelle au Collège John Abbott, avec l’aide de plusieurs professeurs et employés », explique Debbie Lunny, cofondatrice du groupe de recherche et enseignante.

Parmi les principes qui guident leurs actions, ces enseignants proposent de faire plus de place à l’histoire et aux cultures autochtones locales dans les cursus scolaires. Leur travail vise aussi à sensibiliser les enseignants aux enjeux que rencontrent les étudiants autochtones, entre autres dans le cadre de leur intégration au cégep.

 

« Le groupe Decolonizing pedadogies est un prétexte pour s’arrêter et réfléchir ensemble à l’impact de nos pratiques pédagogiques. »

- Derek Maisonville, cofondateur du groupe de recherche.

Une réflexion critique

Pour s’ouvrir collectivement aux perspectives autochtones, il fallait commencer par mener une réflexion critique sur la culture pédagogique dominante et ses effets sur les minorités autochtones.

« Nous souhaitons amener les enseignants québécois à reconnaître la pensée coloniale encore omniprésente en éducation. Il s’agit de réaliser que nous reproduisons parfois à notre insu certaines inégalités dans nos classes », avance Debbie Lunny, qui appelle à une conscientisation collective du corps enseignant sur ces enjeux. « Ce que nous pouvons faire, c’est devenir conscient que notre langage et nos normes institutionnelles peuvent avoir un effet oppressant. »

Au fil du temps, cet exercice de décentrage culturel a permis aux chercheurs de voir autrement leur rôle d’enseignant. Dans leurs salles de classe, ils concoctent année après année une approche pédagogique innovante sur le plan humain.

 

« J’apprends à m’ouvrir à ce qui peut émerger d’un contexte d’échange interculturel, d’égal à égal avec mes étudiants. J’apprends énormément des cultures autochtones dans le cadre de mes cours. »

- Debbie Lunny, cofondatrice du groupe de recherche Decolonizing pedagogies

 

Créer une communauté de partage

Debbie Lunny et Derek Maisonville enseignent entre autres dans le programme d’intégration Crossroads au Collège John Abbott, destiné aux étudiants autochtones qui souhaitent poursuivre des études préuniversitaires. Depuis trois ans, ce programme accueille une vingtaine d’étudiants principalement d’origine inuite, crie et mohawk. Ces étudiants vivent un choc culturel en arrivant au cégep, parfois situé loin de leur communauté d’origine.

« Plusieurs étudiants du programme sont des adultes qui sont très actifs dans leur communauté », explique Debbie Lunny. « C’est important pour nous d’apprendre de nos étudiants, de connaître leur point de vue et en savoir plus sur leurs expériences. Ils ont énormément de connaissances à nous transmettre. C’est pourquoi nous sommes très à l’écoute de leurs contextes d’origine, de leur cheminement et de ce qu’ils souhaitent partager. »

 

« Nous souhaitons faire disparaître les obstacles structurels et systémiques à la réussite éducative des étudiants autochtones au cégep. En ce sens, notre travail est de veiller à ne pas leur imposer notre vision occidentale du monde. »

- Debbie Lunny, cofondatrice du groupe de recherche Decolonizing pedagogies

 

 

Derek Maisonville, cofondateur du groupe de recherche

 

Les relations humaines à l’avant-plan 

Au fil des ans, les deux enseignants-chercheurs ont appris à mettre les relations interpersonnelles au cœur de leur approche pédagogique. Une dimension essentielle, selon eux, à l’ouverture des enseignants des cégeps aux pédagogies autochtones.

« Au cours des deux premières semaines de la session, notre objectif principal est de créer une communauté de partage dans nos classes », raconte Debbie Lunny. De son côté, Derek Maisonville utilise entre autres le cercle de parole, dans lequel la disposition des chaises en cercle permet de dialoguer de manière plus informelle. Le travail en petits groupes permet aussi, selon les enseignants, d’apprendre aux étudiants à mieux se connaître et créer des liens humains plus riches.

« Parfois, nous nous racontons des histoires entre nous, sans attente particulière », poursuit Derek Maisonville. « Ces méthodes d’enseignement permettent de signifier à ces étudiants que leurs voix authentiques peuvent être entendues dans le contexte scolaire québécois, et qu’on leur offre un espace dans lequel ils peuvent définir leur propre parole. »

 

« L’objectif est d’identifier la meilleure approche pour élever la voix de nos étudiants dans le monde. »

- Derek Maisonville, cofondateur du groupe de recherche Decolonizingpedagogies

 

Découvrir son don

Le taux de réussite est élevé chez les étudiants qui viennent du Nord, relate Derek Maisonville. « Au-delà du taux de diplomation, nous nous intéressons à la valeur immatérielle qu’ils tireront de leur passage dans nos cours, comme le sentiment de valorisation », fait-il valoir.

Dans plusieurs systèmes de pensée autochtone, l’éducation est vouée à aider les gens à découvrir leur don, relate Debbie Lunny. « Notre approche s’inspire de cette vision de l’éducation. Nous nous demandons comment faire émerger ce que nos étudiants ont à partager dans le monde. »

Pour les cofondateurs du groupe de recherche Decolonizing pedagogies, le succès du programme Crossroads tient à la capacité des enseignants à entendre la voix des étudiants. «Le but de nos démarches est de leur permettre de nommer eux-mêmes leur vérité et de se battre pour leurs droits. Je souhaite à mes étudiants de mener leur vie selon les critères de réussite auxquels ils adhèrent profondément et non selon des normes étrangères qui leur sont imposées de l’extérieur », conclut Debbie Lunny.






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