Nouvelles

DANS LA CLASSE DE... Simon Roy

Texte publié par La Presse+ - le 25 mars 2018 Josée Lapointe- La Presse

Nombreux sont les écrivains qui gagnent leur vie comme professeurs, tant au cégep qu’à l’université. Est-ce que cela a une influence sur leur vie d’auteur ? Comment voient-ils leur travail de prof ? Simon Roy nous a accueillis dans son cours Communication et culture de masse au cégep Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse.

L’auteur
Simon Roy est l’auteur de deux livres, dont le premier, Ma vie rouge Kubrick (2014), brillante autofiction dans laquelle il intègre ses traumatismes personnels à son analyse du film The Shining, a remporté un retentissant succès. « Je me définis davantage comme un prof, dit-il cependant. Quand les gens mettent le mot écrivain à côté de mon nom dans la même phrase, j’ai un malaise. Ce n’est pas parce que j’ai aidé mon beau-frère à construire une maison que ça fait de moi un menuisier ! » Il explique que, chaque fois, il a commencé à écrire ses livres en dilettante. « Mais il est arrivé un point de bascule où je ne pouvais plus revenir en arrière, où je devenais obsédé. Et j’ai peur de ça : si j’en écris un autre, je n’aurai pas le choix de passer par là, sinon ça voudrait dire que je ne le fais pas pour les bonnes raisons. »

Le professeur
Simon Roy a fait un baccalauréat et une maîtrise en littérature à l’Université de Montréal parce qu’il aimait « lire et étudier ». Après avoir fait des charges de cours en grammaire pendant sa scolarité, puis enseigné une année en Angleterre, c’est « parce qu’il faut bien vivre » qu’il a postulé au cégep Lionel-Groulx pour un remplacement de congé de maternité, en 1992. Il n’est jamais reparti. « Je ne me destinais pas du tout à être professeur et mes amis du bac seraient bien surpris d’apprendre ce que je fais maintenant. À l’époque, dès que je voyais dans un plan de cours qu’il y avait un exposé oral au programme, je m’éclipsais à la pause et j’allais au registrariat pour changer de cours ! » C’est donc pratiquement à son corps défendant qu’il s’est découvert un talent d’enseignant. « Je ne savais pas que j’avais ce don de la communication. Mes parents étaient de grands bavards et j’ai très peu parlé dans ma vie. Mais maintenant que j’ai la chance d’enseigner, c’est ma vengeance ! »

Le cours
Mercredi matin, Simon Roy donne deux fois d’affilée son cours Communication et culture de masse, qui s’adresse aux élèves du corpus régulier, pour la plupart rendus à leur quatrième et dernière session. Toute la session tourne autour du roman noir – ils ont lu Misery, Le Christ obèse et Il faut qu’on parle de Kevin, entre autres –, et ce jour-là, le thème est particulièrement sombre, puisqu’on parle des tueries de masse. Les élèves sont hyper attentifs, et l’ambiance est grave et dense. Le prof parle du profil des tueurs, énumère des cas célèbres, décortique les mobiles, parle des campagnes de la National Rifle Association (NRA) contre le contrôle des armes à feu, analyse même le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis. Pendant le cours, on visionne des extraits du film Bowling for Columbine et de l’émission Dans les médias, on écoute la chanson I Don’t Like Mondays des Boomtown Rats et on lit un extrait d’un roman de Joe Nesbø.

Le passeur
« Ce n’est pas parce qu’on parle de culture de masse qu’on rogne sur la qualité. Il y a de très bons romans dans ma sélection », dit Simon Roy, qui constate que la noirceur fascine les élèves. « Ils capotent, et ce cours est très populaire, il part toujours très vite quand il est offert. En 101, ils vont lire des classiques, du Molière, je n’ai rien contre ça. Mais ce cours, c’est la dernière chance qu’ils ont de lire des livres dans un cadre scolaire. Plusieurs d’entre eux ne liront pratiquement plus de leur vie. Mais j’ai trouvé le spot sensible pour leur apporter des œuvres fortes et intéressantes, leur mettre un hameçon dans la bouche pour les faire lire. Ce n’est pas rare qu’il y en ait qui me disent qu’ils les ont dévorés ou qui, un an après, m’écrivent pour me demander d’autres suggestions. Ça vaut une paye, ça. »

L’influence
Un jour, un collègue qui avait lu Ma vie rouge Kubrick a dit à Simon Roy qu’il reconnaissait le prof en lui dans certains passages du livre. « J’aime analyser, décortiquer. Je ne pense pas que je serais capable d’écrire de la fiction pure. » Publier n’a pas eu d’influence particulière sur sa manière d’enseigner, croit-il. « Sauf que je suis un peu plus crédible quand je parle de création. » C’est davantage son expérience de critique – il a écrit dans les revues Nuit blanche et Solaris – qui lui est utile. « Le cours est très axé sur la critique. À la fin de la session, il y a un combat des livres, où chacun devra défendre un titre différent. » Ce qui est clair, par contre, c’est qu’il ne se pavane pas avec ses propres œuvres. « Je suis lucide, je sais décoder, je sais que ça tanne du monde. C’est mon autre vie, même si, pour moi, les deux sont liées. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.