Nouvelles

Opinion - Merci à ces étudiants présents, curieux et travaillants

Article publié dans La Presse+ - 15 octobre 2017

Ariane Tremblay -
Professeure de littérature au cégep de Granby

On entend souvent dans les médias que chez nous, au Québec, le système d’éducation est inefficace, qu’il serait à refaire au grand complet.

On martèle ad nauseam et sur toutes les tribunes que nos étudiants ne savent ni écrire ni même penser. On nous dit que les grands classiques, comme 1984 de George Orwell, ne les rejoignent plus, que nos jeunes sont complètement désintéressés. On entend souvent que la littérature et la philosophie n'ont plus la cote au collégial, les élèves n'ayant plus de curiosité. On dit que le Québec est un peuple fièrement inculte et que les jeunes n'en font pas exception.

On lit aussi beaucoup sur l'épuisement (et le décrochage) des jeunes professeurs, débordés par la correction, les cas d'étudiants avec des handicaps et les tâches connexes dans un milieu sous-financé. Certes. Tout cela est vrai. Ce sont des enjeux réels pour toute personne œuvrant dans le milieu de l'éducation. L'école devrait être, réellement, remise au centre des priorités de nos dirigeants.
Mais j'ai envie de parler d'autre chose aujourd'hui.

J'ai envie de vous dire pourquoi ces jeunes, ces 100 étudiants à qui j'enseigne la littérature québécoise cet automne, je les trouve magnifiquement inspirants.

Parce qu'ils le sont.
À toi, mon étudiant, qui souhaites devenir officier dans les Forces armées. Tu n'aimes pas lire, tu as hâte d'être sur le terrain, de te réaliser, mais tu m'avoues avoir dévoré La femme qui fuit d'Anaïs Barbeau-Lavalette en une nuit.

À toi, mon étudiant, qui, à 50 ans passés, a décidé de revenir sur les bancs d'école puisque tu vivais une période sans travail. À toi, qui inspires les jeunes par ta curiosité, tes questions pertinentes. À toi, qui incarnes la preuve que l'école ne prépare pas qu'au milieu du travail, mais à la vie aussi.

À toi, ma douce et discrète étudiante, qui me dis avoir été marquée par la chanson Mommy, Daddy de Marc Gélinas et de Gilles Richer (qui traite des dangers de la perte de la langue française au Québec) et l'avoir écoutée en boucle toute la soirée avec ton amoureux.

À toi, mon futur technicien en génie, qui écoutes attentivement et tout sourire mes lectures d'extraits de Maria Chapdelaine et des contes d'Honoré Beaugrand, qui me prouve que développer une culture générale, pour le plaisir, a encore un sens auprès de certains.

À toi, ma gentille étudiante toujours attentive, qui prends la peine de s'excuser pour avoir été distraite aujourd'hui, parce que tu as reçu des mauvaises nouvelles de ton frère.

À vous, mes étudiants sportifs, peu intéressés par la littérature, mais toujours présents, toujours très participatifs, toujours respectueux.

À toi, mon étudiant qui travailles 30 heures par semaine pour payer tes études et ton logement. Et à toi aussi, qui es jeune papa. À vous deux qui êtes là, devant moi, à chaque cours, concentrés, à faire les exercices demandés, même si vous croulez sous la fatigue.

À vous, mes étudiants qui souffrez de dyslexie et de dysorthographie, de troubles anxieux. À vous, qui ne tentez jamais de justifier vos piètres résultats en langue écrite par ces problèmes. À vous qui continuez de me poser des questions sur la grammaire, de vous rendre au Centre d'aide en français – parfois pour la deuxième et troisième session consécutive. Parce que vous voulez votre diplôme.

À vous tous, dans mes classes, qui participez avec intérêt, vigueur et écoute aux discussions sur les œuvres étudiées, sur le Québec de 1930, sur les droits des femmes...

Merci d'être là. Merci de faire mentir les gens, d'être présents, curieux et travaillants.
Bien sûr, ce n’est pas toujours rose. Bien sûr, vous êtes parfois paresseux ou dissipés, mais ne le sommes-nous pas aussi un peu parfois, au travail ou ailleurs ?

Les enseignants reçoivent souvent des remerciements pour leur dévouement, mais je crois que les étudiants méritent aussi qu'on révèle leurs bons coups. Plus que jamais cette session, cette conviction me happe. Je crois que leur présence, leur intérêt, leur participation et leur respect méritent d'être soulignés sur la place publique. Ces étudiants font une différence dans ma pratique, toute la différence. Ils donnent un sens au travail des profs, des techniciens, des adjointes administratives, des bibliothécaires et des directeurs. Alors qu'il y a toujours des blasés pour clamer publiquement leur désintérêt et leur égocentrisme, ces jeunes prouvent cette session qu'ils sont au contraire capables d'intérêt, de remise en question, d'assiduité. Et ça, ça me donne espoir en l'avenir, puisque l'avenir, c'est eux.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application