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Le Collège de Maisonneuve, après la Syrie


Des étudiants marchent dans un large corridor.
Le foyer du Collège de Maisonneuve est le lieu central où bat la vie étudiante, avec la cafétéria, l'auditorium, le vivoir et le baby-foot. Photo : Radio-Canada/Akli Aït Abdallah

27 mai 2017 - Texte publié par Radio-Canada -  À Montréal, le Collège de Maisonneuve, qui a fait les manchettes à plusieurs reprises depuis 2015 pour des cas d'étudiants radicalisés, travaille fort pour comprendre ce qui s'est passé et prévenir d'autres crises. Voilà où il en est.

Un texte d’Akli Aït Abdallah, de Désautels le dimanche

Dans son bureau de la rue Sherbrooke, la directrice du Collège, Malika Habel, se souvient du choc que ces bruits et ces rumeurs de départ pour le djihad avaient causé dans la communauté.

« On se posait beaucoup de questions. Pourquoi? Comment? Et pendant qu’on essayait de comprendre, un nouvel incident s’est produit, cette fois dans la bibliothèque », raconte la directrice. En fait, une histoire d’intimidation et d’insultes, qui, avec le climat de suspicion qui s’était insinué dans l’école, a été reliée, à tort ou à raison, à la présence de groupes extrémistes dans l'établissement.

Devant la déferlante médiatique, il a d’abord fallu gérer le temps des questions, le temps des soupçons.

    Ce n’est pas le collège dans lequel nous vivions qui était décrit dans les journaux. On était bien plus dans le spectacle que dans l’information.
    Benoît Lacoursière, professeur de science politique, et président du Syndicat des professeures et professeurs du Collège de Maisonneuve

Toujours est-il que, une fois le choc encaissé et les projecteurs remballés, a pu s’ouvrir le temps de la réflexion, confié, dans un premier temps, aux chercheurs de l’IRIPI (Institut de recherche sur l’intégration professionnelle des immigrants).
Des jeunes filles se détendent dans un salon du collège.
Renika, 17 ans, étudiante en soins infirmiers, joue de la guitare à L'entracte, un lieu où on se regroupe pour discuter. Photo : Radio-Canada/Akli Aït Abdallah

Avec ses 6000 étudiants réguliers, dont près de la moitié est issue de l’immigration, le Collège de Maisonneuve fait figure de village, où la diversité est de tous les espaces.

« Nous avons rencontré une trentaine d’étudiants de toutes origines, de toutes confessions, et nous souhaitions identifier des zones de fragilité sur lesquelles pouvait avoir prise le processus de radicalisation », explique Frédéric Dejean, chercheur à l’IRIPI.

Un fantôme dans les couloirs

La recherche de l’IRIPI débouche en octobre 2016 sur le rapport Les étudiants face à la radicalisation religieuse conduisant à la violence. Mieux les connaître pour mieux prévenir.

« Vous avez le chapitre 1 intitulé Un fantôme dans les couloirs. Le fantôme, c’est les départs en Syrie », explique Frédéric Déjean, de l’IRIPI. Il raconte que cette expression vient d’un étudiant interviewé pour la recherche.

    Un étudiant nous a dit [sur les départs en Syrie] : "On a un peu l’impression que c’est le fantôme dans les couloirs, c’est-à-dire que c’est tout le temps présent, mais on n’en parle pas, mais on ne le nomme pas".
    Frédéric Déjean, chercheur à l’IRIPI

À la clé, une série de recommandations :

    Recueillir la parole étudiante
    Offrir des espaces de convergence
    Diffuser les initiatives locales gagnantes
    Mettre de l’avant le caractère perméable des groupes culturels
    Avoir la salle de classe comme pivot
    Discuter de la place des faits religieux dans l’espace institutionnel
    Participer à la formation des citoyens

Pour Frédéric Déjean, la recommandation la plus importante est d’entendre la parole étudiante. « Et l’entendre comme une parole sérieuse, qu’ils [les étudiants] aient l’impression qu’ils sont partie prenante dans ce qui se passe au collège », précise-t-il.

Cette recherche de l’IRIPI a servi de socle à la mise en place, à la rentrée 2016, grâce à une subvention gouvernementale de 400 000 $, du projet pilote « Vivre-ensemble ».

Les travailleurs de corridor

Pour recueillir les mots des jeunes et tisser avec eux les liens nécessaires au dialogue, le Collège a recruté trois travailleurs de corridor, Mohamed, dit Momo, Alex, et Annouck.

À chacun son bagage, celui d’Annouck est fait de diplômes en éducation spécialisée et d’expériences diverses qui l’ont menée de Montréal-Nord en Amérique latine.

Dans les premières semaines, le trio a dû battre en brèche la rumeur qui lui prêtait des fonctions occultes d’agents doubles et d’informateurs de la police, et gagner la confiance des étudiants un à un.

« On est présents dans tous les espaces du Collège, sept jours sur sept. C’est sûr qu’il y a beaucoup plus d’action au deuxième étage, parce que c’est là que la vie étudiante se passe », explique Annouck.

Le deuxième étage, c’est celui du foyer, avec son baby-foot, planté entre le vivoir et la cafétéria, sa galerie de photos, l’auditorium Sylvain-Lelièvre et L'entracte, où étudiants, enseignants et travailleurs de corridor aiment se retrouver pour discuter.

    Les travailleurs de corridor, moi, je les compare à des anges gardiens. On peut tout leur confier, rentrer dans leur bureau, leur dire qu’on ne va pas bien. C’est comme des psychologues, mais aussi comme des amis.
    Rana, étudiante en sciences humaines

Mohamed, lui, était intervenant dans un organisme jeunesse du quartier Saint-Michel. Immigrant algérien et de culture musulmane, Momo a réussi à bâtir une proximité particulière avec les étudiants, nombreux au collège, d’origine maghrébine.

    On est là pour écouter les jeunes, pour discuter avec eux et pour relativiser ce qu’ils peuvent trouver sur les réseaux sociaux, par exemple. Il y a des gens qui peuvent exploiter leurs frustrations.
    Mohamed, travailleur de corridor

« Notre rôle, c’est aussi de “donner ce vaccin” aux jeunes, pour leur dire que ce n’est pas parce qu’ils sont frustrés qu’il faut croire à certaines solutions. On les convainc qu’il est possible d’agir et de se mobiliser positivement quand on a une critique », poursuit Mohamed.

Avant d’arriver rue Sherbrooke Est, Alex, né au Québec de parents colombiens, arpentait les artères de Longueuil pour l’organisme Macadam-Sud.

« Le travail de corridor est très proche du travail de rue. Les jeunes ont une vie sociale et familiale à l’extérieur. Certains événements peuvent déclencher des comportements qu’il faut anticiper, comprendre. Et faire intervenir les ressources dont dispose le Collège avant que les choses ne se compliquent », explique Alex.

Le reportage d'Akli Aït Abdallah est diffusé le 28 mai à l'émission Désautels le dimancheà ICI RADIO-CANADA PREMIÈRE.

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