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L’art, la culture, la pédagogie, et le Prix Jean-Marie-Gauvreau pour Catherine Sheedy du Cégep Limoilou

 

Catherine Sheedy est joaillière et conseillère pédagogique au programme Techniques de métiers d’art du Cégep Limoilou.

En ouverture du 62e Salon des métiers d’art de Montréal, Catherine Sheedy recevait le Prix Jean-Marie-Gauvreau pour sa collection de bijoux contemporains « Icare ». Le Prix Jean-Marie-Gauvreau est une des plus hautes distinctions en métiers d’art au Québec. Il est attribué à une œuvre ou à une collection qui se démarque par sa singularité, son unicité, par une réalisation qui fait preuve d’audace, par l’impact sur l’évolution du savoir-faire et la cohérence entre son propos et sa réalisation. Marie Lacoursière  échange avec elle.

Catherine Sheedy a étudié dans le programme Techniques de métiers d’art du Cégep Limoilou à l’École de joaillerie de Québec, il y a de cela vingt ans. Elle poursuit sa formation à l’Université Laval en Arts visuels où elle complète un baccalauréat et une maîtrise. Elle complète de plus un certificat en pédagogie collégiale, de là l’amalgame final de la joaillerie, des arts visuels et de la pédagogie qu’elle a toujours fait avancer en parallèle.

Après avoir fait ses stages à l’École de joaillerie de Québec, madame Sheedy termine son certificat en pédagogie collégiale et enseigne ensuite pour le Centre de formation et de consultation en métiers d’art où elle travaille toujours. En 2007, elle devient coordonnatrice du programme en métiers d’art et est engagée deux années plus tard comme conseillère pédagogique pour les enseignants en Techniques de métiers d’art, et ce, principalement pour les enseignants des écoles-ateliers, tous des artisans professionnels comme elle, qui partagent leur pratique avec leur travail d’enseignant. La majorité des enseignants n’ayant pas de formation en pédagogie, elle les accompagne dans le processus de planification de cours, de tout ce qui a trait à l’accompagnement et la prise en charge de la gestion de classe.

Ce travail nourrit sa pratique artistique, précise-t-elle. « Je côtoie des artisans professionnels de tous les domaines, en ébénisterie, sculpture, textile, céramique, lutherie, c’est très varié en plus de la joaillerie. Je suis donc toujours au fait de ce qui se passe et je suis les étudiants jusqu’à la fin de la formation, à savoir l’activité synthèse de programme. Cela est excessivement énergisant d’être en contact direct avec cette relève, de les voir évoluer et de percevoir leur soif de découvertes, leur désir d’échanger et de collaborer. Je remarque une importante différence depuis vingt ans. Plus ouverte, l’approche des métiers d’art a réellement changé pour le mieux. » 

Une formation unique au Cégep Limoilou

Le programme de formation offert au Cégep Limoilou est particulier. Offerts en partenariat avec des écoles-ateliers, les cours reliés à la formation générale sont donnés au Cégep Limoilou alors que les cours de spécificité techniques se tiennent dans quatre écoles-ateliers : l’École de joaillerie de Québec, l’École nationale de lutherie, l’Institut québécois d’ébénisterie et la Maison des métiers d’art de Québec. De plus, il y a des cours de tronc commun s'adressant à tous les étudiants en métiers d’art. Cette partie de la formation spécifique en créativité, conception, dessin, histoire de l’art est offerte par des professeurs du département d’Arts visuels. Pour ce qui est des cours de gestion, de comptabilité et de démarrage d’entreprise, ils sont donnés par des enseignants de Techniques administratives.

Une expertise variée

« Mon jardin est très varié, confirme-t-elle. Je circule dans les écoles-ateliers pour rencontrer les professeurs, je côtoie les étudiants qui viennent me voir parce que j’ai aussi le chapeau de coordonnatrice du programme. Cela me nourrit beaucoup de côtoyer la relève pendant et après la formation, d’apprécier l’ouverture qu’ils se permettent. » 

Le Prix Jean-Marie-Gauvreau décerné par le Conseil des métiers d’art du Québec dont elle est membre depuis plusieurs années démontre cette ouverture. La proposition faite par madame Sheedy, la collection Icare, est en fait une collection qui remet en question l’approche technique et le savoir-faire de ce métier. Pour faire les pièces, elle utilise la technique du « fold forming », plus précisément le travail du métal plié transformé au marteau. « Il s’agit d’une technique que j’ai apprise avec une enseignante de l’époque, madame Chantal Gilbert. Nous parlons d’une technique de contrôle de la matière poussée à l’extrême, habituellement sans la déchirer… et moi j’y suis allée jusqu’à justement la déformer, jusqu’à ce qu’elle s'abîme, j’ai donc joué avec les propriétés du matériau. Je me suis approprié cette technique habituellement régie par un savoir-faire que j’ai délibérément tenté d’outrepasser. En acceptant cela, le Conseil des métiers d’art du Québec démontre une très belle ouverture créative. Il reconnaît justement que les techniques traditionnelles peuvent être poussées, utilisées autrement, et que cela peut parfois mener à des créations singulières, uniques. »

La façon de travailler de Catherine fait en sorte que chaque pièce est faite individuellement et, pour ce faire, elle procède à un assemblage intuitif, nourri d’images en lien avec son sujet de recherche. Dans le cas de la collection primée, elle fait référence au mythe grec d’Icare duquel on voit apparaître les ailes évidemment, puis la chute,  jusqu’à la tombée dans la mer d’Icare qu’elle a même extrapolée en le transformant en une forme s’apparentant à un poisson. Elle y voit une sorte de cycle : « On veut accéder au soleil, on tombe, on s’en sort transformé et on y retourne. Chaque pièce finalement s’inscrit un peu dans cette métaphore. Ce sont toutes des pièces uniques,  mais il est certain que, dans cette collection, la façon de transformer la matière devient un peu ma signature. Cependant, si nous regardons des collections antérieures ou la façon de faire que j’ai utilisée dans d’autres projets,  il est aussi possible de reconnaître mon intérêt pour l’assemblage répétitif, souvent intuitif, de pièces similaires. Il y a donc une continuité, des éléments récurrents que l’on peut percevoir dans mon travail. »

Le Prix Jean-Marie-Gauvreau est décerné en fonction de quatre critères. Les œuvres doivent être singulières, uniques, faire preuve d’une audace qui ose. La réalisation doit avoir un impact sur l’évolution du savoir-faire, une cohérence entre le propos et la réalisation, entre l’intention créatrice et la réalisation et être le fruit d’une création terminée.

« Le moment était parfait pour moi parce que la collection Icare est terminée. Elle a été réalisée à partir de pièces de bijoux réalisés il y a une dizaine d’années alors que je faisais davantage du "prêt-à-porter", notamment lors des cinq années où je fus copropriétaire d’une coopérative de travail comme joaillière qui avait pignon sur rue à Québec. J’ai détruit par le feu mes créations pour les retravailler au marteau. Il en reste quelques-unes, mais bien peu. Pour moi, ce fut comme un véritable rituel de passage. Je me suis dit : quand je n’aurai plus de matière, la collection sera achevée et je passerai à autre chose. Il me reste quelques pièces, mais la collection est vraiment terminée. Les prochains projets comprendront très peu d’argent sterling. Je continuerai plutôt à explorer avec d’autres matières. Cette collection de 2014 à 2017 fut vraiment un point marquant de ma carrière. Ce fut de fait une véritable affirmation que de me commettre de telle façon. J’avais cependant besoin de cela parce que la joaillerie demeure quand même très connotée comme domaine. Le bijou, la matière précieuse portent leur pouvoir. Nous sommes très attachés, lors de la fabrication, à respecter le savoir-faire et il existe un traditionalisme fort dans le processus. Pour me permettre d’aller plus loin avec d’autres matières et pouvoir me dire… c’est terminé,  la destruction de la matière ou du produit fini m’apparaissait essentielle afin d’affirmer mon ouverture à d’autres possibles. »

Une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec

Catherine Sheedy a reçu une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec en partenariat avec la Ville de Lévis,  où elle habite,  et développe un corpus d’œuvres en utilisant des matériaux trouvés sur le bord du fleuve Saint-Laurent. Elle travaille  actuellement dans son atelier le charbon pétrifié issu de rejets du chemin de fer qui se trouve sur le bord du fleuve. Elle travaille également les silex qui servaient de lest pour mettre dans les cales des bateaux européens qui venaient au pays et qui vidaient leurs contenus de cale pour les remplir de denrées destinées à l’Europe.  « C’est vraiment particulier comme matière. Je loue,  pour mener à bien ce projet,  un atelier de taille de pierres. Je transforme le silex, le charbon et, entres autres, des métaux trouvés près de chez moi,  venant de l’ancienne usine L’Hoir,  principalement des résidus d’aluminium. Il y a toute une histoire qui se rattache à ce que je répertorie.  Mon partenaire pour ce projet est La maison natale de Louis Fréchette située à Lévis. Les personnes-ressources associées à cet organisme m’aident dans mes recherches historiques et conceptuelles. Ensuite,  dans la maison,  se tiendra une exposition des pièces réalisées accompagnées de photos qui les mettent en contexte. Je suis vraiment dans un autre projet maintenant… »

Résidence artistique » studio du Québec à Londres

En outre,  à compter de juillet prochain,  Catherine Sheedy bénéficie d’une autre bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec autour d’un projet de « résidence artistique ».  Le studio du Québec à Londres lui est ainsi réservé pour une période de six mois. « Je prends donc un congé sans solde pour la session d’automne 2018, avec ma famille, pour faire un projet de recherche-création en bijou contemporain.  Je demeure ainsi dans la recherche qui m’anime et me nourrit. Dans ce cadre, je désire remettre en question le sens du bijou comme symbole de liens familiaux. Je poursuivrai alors mes explorations dans ce domaine pour l’approfondir le plus possible, et ce, dans des conditions extraordinaires à Londres. Le studio est magnifique avec vue sur les installations olympiques où sont logés plein de studios d’artistes, dont cinq autres résidences internationales, celles de l’Australie, de l’Allemagne, de la Suisse et de la Suède. Durant ce séjour, je côtoierai des artistes de différents milieux et je me consacrerai exclusivement à mon travail artistique,  ce qui ne m’est jamais arrivé pendant une aussi longue période,  puisque j’ai continuellement concilié travail, ateliers et maintenant famille. Cela me donnera un beau petit six mois à me concentrer sur ma pratique. »

Les projets de Catherine Sheedy laissent entrevoir des perspectives extraordinaires. Effectivement, précise-t-elle, « ils m’offrent des possibilités que je n’avais jamais imaginées en amorçant ma carrière. Je ne savais même pas que le domaine dans lequel je m’investis en ce moment, le bijou contemporain, existait à l’époque où je me suis inscrite en joaillerie. J’étais toute jeune, j’avais 17 ans. Je n’avais pas réalisé l’ensemble des possibilités artistiques et de recherche qu’il me réservait. J’en ai pour toute la vie. Quand j’étais aux études, je croyais que ceux que je voyais en première page des revues ne faisaient que ça dans la vie, seuls dans leur atelier et avec des conditions très facilitantes. En cherchant, je me rends compte qu’ils ont un autre emploi, que plusieurs enseignent ou sont dans des chaires de recherche dans les universités, partout dans le monde. Ils concilient presque toujours leur art avec autre chose. Tout cela se nourrit de fait. Quand je travaille et que je côtoie tous ces artistes et enseignants des écoles-ateliers et du tronc commun qui viennent des métiers d’art ou des arts visuels et qui ont des pratiques artistiques, cela m’apporte une ouverture culturelle tellement grande que ça m’enrichit constamment. Je ne pense pas que j’irais aussi loin dans ma création si je faisais cela isolée dans mon atelier ».

Cette conciliation travail demeure très importante pour l’artiste. « Il est certain que la polyvalence devient une capacité de premier ordre quand nous choisissons le domaine des arts, confirme-t-elle. Il importe d’être à l’affût des possibilités qui se présentent à nous et de s’impliquer dans le domaine. »

Catherine assume de plus des fonctions de conseillère pédagogique. Son employeur direct est le Centre de formation et de consultation en métiers d’art du Cégep Limoilou. « Cela me permet de travailler avec une collègue qui occupe la même fonction que moi à temps partagé. Nous accompagnons une cinquantaine d’enseignants par session. Il y a parfois des semaines plus remplies, et d’autres plus calmes. Cela me permet, à l’occasion, de passer plus de temps dans mon atelier, mais je réponds quand même, quotidiennement, à distance, aux besoins générés par ma tâche de coordonnatrice et de conseillère pédagogique. Cette mise en œuvre requiert une bonne gestion du temps et des qualités d’adaptation importantes, mais tout fonctionne fort bien grâce à des horaires de travail variables. »

« Par exemple, à l’automne 2017, je participais à une exposition à Paris. Grâce à mes conditions d’horaire, j’ai pu me libérer une semaine pour aller au vernissage et créer des contacts. Ce contexte constitue pour moi un très beau modèle qui mériterait d’être mieux connu du côté de la culture afin de permettre aux travailleurs culturels d’allouer plus de temps à leur pratique. Plusieurs personnes que je rencontre m’expriment avec une certaine nostalgie : “avant j’étais artisan…”. Bien sûr, je fais de nombreuses heures semaine, mais il y a tellement de positif dans tout ce que j’aborde. Je me vois mal occuper cinq jours semaine ma tâche de conseillère pédagogique sans pouvoir poursuivre ma carrière artistique. Je réalise au quotidien tout l’apport que me procure cette carrière auprès des enseignants avec lesquels j’entre en contact et travaille. Un grand respect mutuel s’installe entre nous. Ils ont leur pratique et leur rythme et réalisent que je comprends leurs démarches et saisis leurs préoccupations. Ils sont contents que je sois là pour les accompagner. »

Le Portail félicite madame Sheedy pour son prix et lui souhaite bonne chance pour la suite.

Dossier préparé par Mme Marie Lacoursière, édimestre au Portail du réseau collégial.






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