Articles

Le Cégep de l’Outaouais fête ses 50 ans

 

Un entretien avec M.Roger Blanchette, historien.

 

Roger Blanchette a enseigné en histoire au Cégep de l’Outaouais durant les années 1988 à 2015. Il est l’auteur d’une histoire de la région publiée aux Presses de l’Université Laval en 2009. Il s’intéresse à l’histoire régionale depuis plus de 30 ans, d’abord dans l’Estrie, sa région natale, puis, depuis une trentaine d’années, dans l’Outaouais. Il participe régulièrement, comme chroniqueur ou comme animateur, à des émissions d’affaires publiques à la radio et à la télévision.

Un cégep né dans un contexte de crise
Le Cégep de l’Outaouais figure sur la liste les douze premiers cégeps à voir le jour il y 50 ans. La naissance du Cégep s’inscrit dans un contexte sociopolitique spécifique à la région. Dans les années soixante, en raison de sa proximité d’Ottawa, l’Outaouais était en éducation comme en santé vraiment sous-développée en matière d’établissements publics. « Elle était une région oubliée. À Québec, on se disait souvent : on n’a pas besoin d’hôpital, il y en a un à Ottawa. On n’a pas besoin d’université, il y en a une à Ottawa. De plus, durant ces années, il y a à Hull une crise du logement, à tel point que l’on se retrouve avec de véritables bidonvilles. En 1963 est créé le nouveau diocèse de Gatineau-Hull jusqu’alors rattaché à celui d’Ottawa. Le premier évêque, monseigneur Charbonneau, inspiré du courant de théologie de la libération, met sur pied une commission d’enquête sur la situation sociale à Hull. Au même moment, le Québec vit le début de la Révolution tranquille et la montée du nationalisme québécois. La réaction d’Ottawa sera alors d’affirmer sa présence du côté québécois. On assiste à une invasion du fédéral à Hull et à une crise sociale majeure. La conjugaison de ces deux facteurs fait en sorte que le gouvernement du Québec entend rattraper le retard institutionnel de la région et prendre sa place face à Ottawa. C’est dans cette dynamique que s’inscrit la naissance du Cégep », explique Roger Blanchette.

Campus Marquerite d'Youville

Présence d’établissements déjà existants
Comme dans bien d’autres régions du Québec, le nouveau cégep peut compter sur la présence d’établissements déjà existants comme l’Institut de technologie, les collèges classiques Marguerite d’Youville et Marie-Médiatrice, l’École normale, l’Institut familial de Hull et l’École des infirmières de l’Hôpital Sacré-Cœur. C’est de l’incorporation de l’ensemble de ces institutions que naîtra le Cégep. L’école normale existait depuis 1909 ; Marie-Médiatrice, 1948, l’Institut de technologie, 1928 et Marguerite d’Youville depuis1945. Des établissements relativement récents, selon monsieur Blanchette, comparativement à ceux d’autres régions où les collèges classiques existaient depuis 100 ans.

« Mais en Outaouais, la tendance voulait, quand on parlait d’enseignement supérieur, que les gens aillent à Ottawa, et ce, principalement pour les gens de l’élite. Pour la petite bourgeoisie, c’était automatique et je dirais qu’il en est toujours ainsi aujourd’hui. »

Les promoteurs du projet cégep
Quels ont été les promoteurs du projet cégep à Hull ? Les évêques, dont monseigneur Charbonneau et Adolphe Proulx, ont joué un rôle certain dans la mise en place de la nouvelle structure. Les leaders à l’origine de tous les mouvements sociaux à l’époque étaient des prêtres ouvriers. Nous parlons ici à titre d’exemple de Roger Poirier et d’Isidore Ostiquy qui ont mobilisé la population. Oswald Parent, influent député libéral de l’époque, appuyait également le projet.

Une carte des programmes limitée au départ
Le Cégep de l’Outaouais s’installera d’abord dans les locaux du Collège Marguerite d’Youville, propriété des Sœurs grises, maintenant occupés par l’Université du Québec. Depuis 1975, le Cégep possède ses propres bâtiments qui se déploient maintenant sur trois campus. Au départ, les programmes offerts seront ceux de Lettres, de Sciences humaines, de Sciences pures et appliquées, et ceux de Chimie industrielle et d’Électronique. « Contrairement à d’autres cégeps au départ, la majorité des professeurs ne viendront pas des établissements déjà en place, mais de l’extérieur de la région. Aujourd’hui encore cette réalité n’a pas changé. Bon nombre d’enseignants proviennent de l’extérieur de la région. »

Lors de la première année, l’établissement comptait 640 étudiants, dont la majorité provenait des collèges classiques, et 130 membres du personnel. Le Cégep compte aujourd’hui 4926 étudiantes et étudiants et plus de 700 membres du personnel. Quelque 29 programmes sont offerts à raison de 5 préuniversitaires et 24 techniques, dont les deux plus récemment implantés qui accueillent leurs premiers étudiants et étudiantes en Techniques juridiques et Technologie de l’architecture.

Un bon nombre d’élèves continue d’aller étudier à Ottawa
Malgré une population étudiante importante qui le classe parmi les cégeps de grande taille, le Cégep de l’Outaouais se voit privé de 15 % d’une tranche d’élèves qui vont étudier à Ottawa. « C’est une constante depuis sa création. C’est ancré dans la tradition de la région : on va étudier à Ottawa, même au niveau collégial. Pour une certaine élite, une forme de considération hautaine des institutions québécoises est toujours profondément ancrée encore », affirme monsieur Blanchette. Il ne s’agit pas nécessairement d’un attrait pour l’anglais, puisque la population de l’Outaouais est souvent bilingue. Il est intéressant de noter qu’au départ, le Cégep était seulement francophone et qu’il est cependant devenu après quelques années un cégep bilingue. Cette situation va perdurer de 1967 à 1972.Entre 1972 et 1978, francophones et anglophones sont dans des édifices séparés.

En 1978 sera créé le Campus Héritage anglophone rattaché au cégep francophone. Ce n’est que depuis 1988 que nous retrouvons deux cégeps distincts, un francophone et l’autre anglophone. Un fort pourcentage des étudiants qui fréquentent le cégep anglophone sont cependant francophones d’origine.

Pourtant parmi les régions les moins scolarisées du Québec
Bien que l’arrivée du cégep en Outaouais fût très bien accueillie par la population et par les dirigeants et qu’elle ait permis de faciliter l’accessibilité à l’enseignement supérieur dans la région, il n’en demeure pas moins qu’elle demeure une des régions parmi les moins scolarisées au Québec. « Il faut se rappeler qu’à l’époque, l’industrie principale demeurait la forêt. La scolarisation était très faible. Dans les années 70, le gouvernement fédéral rasera complètement un quartier ouvrier et détruira les usines pour implanter les édifices fédéraux. Environ 15 000 personnes seront de ce fait expropriées sous prétexte que de nouveaux emplois sont créés dans la fonction publique sans que la population en général n’y ait accès, parce que trop peu scolarisée. Une vague d’immigration viendra d’un peu partout au Québec pour remplir les postes nouvellement créés. La population locale originaire de l’Outaouais sera de ce fait marginalisée. Les statistiques ne disent pas tout. Le taux de scolarisation peut apparaître assez élevé, mais il existe essentiellement toute une tranche de la population qui est sous-scolarisée. »

La radio étudiante à l'époque

Des obstacles à l’accessibilité
La contribution du cégep pour la région est très significative surtout pour la portion urbaine. La région étant immense — 4 % du territoire québécois, dont 86 % de la population concentrée en milieu urbain —, tout le reste du territoire n’a pas profité du cégep. « Parmi tous les cégeps régionaux qui existent au Québec, l’Outaouais est le seul sans résidence pour les étudiants. Pour ceux et celles qui proviennent de la périphérie, il est loin d’être accessible, à moins d’avoir de la famille dans la région de Gatineau, devenue la région où les logements sont les plus chers au Québec. Pour les étudiants en provenance de Maniwaki, de Fort-Coulonge ou de Papineauville, il est très difficile de venir étudier au cégep. Les promoteurs immobiliers se sont à l’origine opposés à la construction de résidences pour construire eux-mêmes des appartements leur étant dédiés. Des projets pilotes de campus pour les villes éloignées telles Maniwaki furent mis de l’avant, mais sans implantation d’un réel campus. »

Mission accomplie mais inachevée
Selon Roger Blanchette, le Cégep de l’Outaouais n’a pas atteint son plein potentiel. « Ce n’est pas à cause du Cégep et de son administration, mais à raison d’une problématique régionale. La région compte le plus grand nombre d’élèves inscrits à l’ordre secondaire de niveau privé. Il existe encore une mentalité élitiste. En caricaturant un peu, je vous dirais que pour de nombreux parents, le Cégep, c’est pour les pauvres et l’Université d’Ottawa, c’est pour les riches ». Si l’objectif du Rapport Parent était de permettre par la création des cégeps une démocratisation de l’enseignement favorisant l’accessibilité de tout le monde à l’enseignement supérieur, nous avons tendance à croire qu’il ne s’est pas rendu jusqu’ici… Ce qui constitue malheureusement, trop souvent, le lot des régions dites éloignées. »

Un cégep qui a changé de nom
De sa création jusqu’en 1975, le cégep s’appelait le Cégep de Hull. En 1975, il devient le Collège de l’Outaouais. « L’appellation cégep a disparu. Dans la région d’Ottawa, les établissements d’enseignement technique s’appellent des " collèges ". Afin d’entrer en compétition avec les collèges de l’Ontario, nous avons donc rayé le nom de cégep et opté pour celui de Collège de l’Outaouais. Depuis 2005, nous sommes devenus le Cégep de l’Outaouais afin d’indiquer clairement la vocation régionale du cégep. Le grand défi demeure de jouer un rôle régional en assurant une accessibilité la plus grande possible aux élèves des sous-régions comme celle de Pontiac, pour qui il est plus facile d’aller étudier en Ontario, et ce, dès le secondaire. »

Bannière soulignant le 50e déployée lors de la rentrée

Pour Frédéric Poulin, directeur général, « le Cégep de l’Outaouais a su remplir sa mission depuis un demi-siècle, notamment en diplômant plus de 70 000 personnes qui ont et continuent à contribuer au développement de la région. Bien au-delà du diplôme et des études, le Cégep offre un milieu de vie unique. Il permet de former des citoyennes et citoyens responsables et engagés qui comprennent les enjeux de notre société, et c’est ce dont nous pouvons être le plus fiers ».

 

Malgré tous ces progrès accomplis en 50 ans, dans une grande région limitrophe d’Ottawa et de l’Ontario, l’accessibilité au cégep francophone représente encore aujourd’hui un défi pour cet établissement.

Dossier préparé par Alain Lallier, édimestre et éditeur en chef, Portail du réseau collégial.






Infolettre Le Collégial

Soyez informés de l'actualité dans le réseau collégial. L'infolettre est publiée mensuellement de septembre à mai.

Je m'inscris