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Les professeurs des cégeps sont sous-payés et autant leurs syndicats que leurs patrons semblent indifférents

Maintenant que le processus de négociation en vue du renouvellement de la convention collective des professeurs des cégeps est réellement enclenché, après analyse, nous devons constater que les demandes syndicales et les offres patronales demeurent dans les mêmes ornières. En effet, malgré que l’enseignement collégial fasse partie intégrante de l’enseignement supérieur, le cadre de négociation des professeurs du collégial demeure la convention collective des enseignants de l'élémentaire-secondaire, notamment pour ce qui concerne la structure et l’échelle salariales. Cela, même s’il existe à l’enseignement supérieur un comparable plus approprié, soit les «maîtres d’enseignement» de l’École de technologie supérieure (É.T.S.).

Des professeurs sous-payés.

À l’exception de trois échelons supplémentaires réservés aux professeurs détenant une maîtrise ou un doctorat, la structure et l’échelle salariales des professeurs du collégial sont les mêmes que ceux du secondaire. Ainsi, pour une formation et un nombre d’années d’expérience équivalents tous les deux gagnent au maximum de l’échelle 68 764 $. Par contre, le détenteur d’un doctorat enseignant au collégial gagne 73 839 $. À l’É.T.S., tout comme le professeur de cégep, le maître d’enseignement n’a pas de mandat de recherche et, souvent, il donne des cours équivalents à ceux du collégial. Cependant, son salaire peut atteindre 102 848$.

Ailleurs au Canada, il y a une différence de rémunération entre les professeurs du high-school et ceux des collèges communautaires. Pour un niveau d’enseignement comparable à celui des cégeps, les professeurs des collèges d’arts appliqués et des technologies de l’Ontario gagnent 42% de plus, soit 98 218$.

Par ailleurs, d’après les données de l’École Polytechnique de Montréal, un ingénieur ayant quatre ans d’expérience gagne en moyenne 55 711 $, alors qu’il gagnerait 40 738 $ comme professeur, un écart de 37%. À l’âge de la retraite l’ingénieur gagnera 118 046 $ et le professeur 68 764 $. Avec des différences salariales aussi marquées, on peut affirmer que les professeurs des cégeps sont sous-payés et, conséquemment, il est extrêmement difficile de recruter des professeurs pour enseigner au secteur technique.


Les syndicats et les patrons sont indifférents.

Depuis la création des cégeps, les syndicats des professeurs ont eu tendance à privilégier une approche collectiviste au détriment des avantages individuels. À titre d’exemple, l’abolition des primes des coordonnateurs de département au profit d’une réduction de la charge d’enseignement pour tous. Ils ont aussi négocié une modification des échelles salariales qui étaient basées sur l'expérience et la scolarité, au profit d’une échelle unique comme celle de l’élémentaire-secondaire. Dans le passé, les syndicats n’ont pas cherché à faire valoir les spécificités d’emploi des professeurs. Ils se sont contentés d’une stratégie qui s’alignait sur les demandes des centrales auxquelles ils appartiennent et c’est encore le cas pour la présente négociation.

Quant aux patrons des professeurs des cégeps, depuis les dernières rondes de négociations, incluant la présente, l’essentiel de leurs efforts porte sur l’attribution de ressources professorales pour assumer des responsabilités institutionnelles. Cela est louable, mais laisse croire que pour eux le salaire du professeur n’est pas un enjeu majeur.

Ainsi, concernant la négociation des salaires, patrons et syndicats jouent le même jeu et laissant au Conseil du trésor, avec leur fédération respective, et ultimement au gouvernement avec les chefs des centrales syndicales, le soin de négocier, et ce, dans un contexte où pour le gouvernement, les professeurs des cégeps ne font pas le poids par rapport aux syndiqués de la santé et aux enseignants des commissions scolaires. Il n’est donc pas surprenant que la structure et les échelles salariales des professeurs des cégeps ne soient pas un enjeu de la présente ronde de négociation. Ainsi, en considérant les demandes syndicales et les offres patronales, les professeurs des cégeps devront se dire satisfaits s’ils obtiennent une augmentation équivalant à celle du coût de la vie, mais ce sera loin du juste salaire qu’ils devraient recevoir.

Que devrait être le salaire des professeurs des cégeps?

Il faut sortir de cette ornière, qui provient des années ’60, où la référence relative à la rémunération des professeurs des cégeps est la structure et l’échelle salariales des enseignants du secondaire. Depuis :

1. il y a eu la création des universités du Québec, notamment l’É.T.S.;
2. il est maintenant reconnu que les cégeps font partie de l’enseignement supérieur;
3. il existe ailleurs un niveau d’enseignement comparable à celui des cégeps, notamment en Ontario;
4. pour le secteur technique, le salaire des professeurs des cégeps n’est pas compétitif avec le milieu industriel.

Par ailleurs, les données du ministère de l’Emploi font ressortir que les postes de techniciens seront plus en demande à l'avenir. Les technologies évoluent à un rythme croissant, nécessitant un rapprochement entre les cégeps et le milieu où travailleront les techniciens. Pour prendre en compte cette réalité, il faut introduire dans la convention collective, la notion de professeur vacataire dont le point d’attache demeurera le milieu de travail des techniciens.

Une nouvelle structure et des échelles salariales propres aux professeurs des cégeps s’imposent. Le modèle qui devrait guider leur élaboration est celui de l’É.T.S. En effet, l’ÉTS embauche des « maîtres d’enseignement » dont la tâche est similaire à celle des professeurs des cégeps. Comme à l’É.T.S., la nouvelle structure et les échelles de salaire des professeurs des cégeps devraient comprendre des professeurs vacataires rémunérés à la leçon et des professeurs de carrière rémunérés suivant deux ou trois catégories pour lesquelles la promotion serait basée sur l’évaluation du rendement et de l'engagement.

En jumelant les masses salariales de l’enseignement régulier et de la formation continue versées par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, et en les appliquant à la nouvelle structure et aux nouvelles échelles salariales, il serait possible dès maintenant de rémunérer les professeurs des cégeps à partir d'échelles salariales dont le maximum serait de 85 000 $ pour les professeurs titulaires, 80 000 $ pour les professeurs agrégés, 75 000 $ pour les professeurs maîtres d’enseignement et 100 $/heure pour les professeurs vacataires, alors que présentement le maximum du salaire pour un professeur détenant un baccalauréat est de 68 764 $ et que le taux horaire est de 59,27 $ ou 68,68 $ dépendant si le baccalauréat est de 16 ou 17 ans de scolarité. Cela permettrait aussi aux adultes d'accéder à une gamme plus large de services de formation.

Ainsi, sans coûts supplémentaires, il est possible de mieux payer les professeurs des cégeps en leur versant un salaire compétitif avec leur milieu professionnel et se rapprochant des milieux d’enseignement comparable.

 


Roch Tremblay
Ex-directeur général du Collège Ahuntsic
De 1996 à 2008
 3 avril 2010






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