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Liberté académique au collégial

Pour la vie en société

En 2020, l’affaire Lieutenant-Duval, une enseignante suspendue pour avoir prononcé le « mot en n » en classe, a suscité des inquiétudes dans la communauté enseignante. Aux lendemains de cette affaire, le Cégep Garneau a lancé une vaste consultation publique sur l’enseignement des sujets sensibles. Une démarche qui vise à protéger la liberté académique, tout en favorisant un dialogue rassembleur.

Élise Prioleau, Portail du réseau collégial

La commission Cloutier recommandait l’adoption d’une loi pour protéger la liberté académique dans le milieu universitaire. En juin 2022 a été adopté le projet de loi 32 sur la liberté académique. Une loi qui, toutefois, ne s’applique qu’aux établissements universitaires.

Avant même la publication du rapport de la commission Cloutier, le Cégep Garneau a choisi de lancer une vaste consultation sur l’enseignement des sujets sensibles auprès de ses étudiants et des membres de son personnel. « L’idée c’était de brosser un portrait de la manière dont la communauté abordait la question de l’enseignement des sujets sensibles. Nous avons sondé le personnel, les agents scolaires, et les étudiants. Nous avons organisé des cafés-rencontres, nous avons distribué un questionnaire et nous avons lancé un appel à mémoires. Nous avons rejoint près de 2000 répondants. 22 mémoires ont été déposés, dont la moitié provenait des étudiants et de groupes d’étudiants », explique Julie Martineau, professeure de sciences politiques au Cégep Garneau.

Cette consultation a permis au cégep d’accoucher en 2021 de son rapport sur l’enseignement des sujets sensibles. Il comprend une dizaine de recommandations qui proposent des actions concrètes pour rassembler les étudiants et le personnel autour de principes fédérateurs. La toute première recommandation était de doter le cégep d’une déclaration de principes sur l’enseignement des sujets sensibles. Le Cégep Garneau fait partie des premiers cégeps à se doter d’une telle déclaration de principes.

Une déclaration de principes rassembleuse

La déclaration a été distribuée à l’ensemble de la communauté du Cégep Garneau à l’automne 2022. D’entrée de jeu, le cégep y affirme l’importance de la liberté académique. « On établit le principe selon lequel tous les sujets qui ont un intérêt pédagogique peuvent être discutés en classe, même si ces sujets peuvent être difficiles historiquement, émotivement, et pour toutes sortes de raisons », explique Dany Roberge, directeur adjoint des études.

La déclaration reconnaît toutefois que les enseignants, tout comme leurs étudiants, ont une responsabilité lorsque vient le temps d’aborder des sujets sensibles en classe.

« Les professeurs ont la responsabilité de traiter des sujets sensibles avec discernement et professionnalisme. Les étudiants ont aussi une responsabilité. On attend d’eux une certaine ouverture d’esprit. On attend d’eux qu’ils engagent un dialogue avec leurs professeurs et avec leurs camarades de classe. L’objectif, c’est de lancer le message selon lequel si l’on veut parvenir à bien parler des sujets sensibles, chacun doit y mettre du sien pour trouver une position d’équilibre », résume Dany Roberge.

Parmi les autres recommandations du rapport figure celle d’offrir un soutien psychosocial aux étudiants et étudiantes. « Nous avons prévu un soutien psychologique en collaboration avec le département des affaires étudiantes. Un soutien destiné aux étudiants qui à la suite de l’enseignement d’un sujet sensible auraient besoin d’aller chercher de l’appui ou de ventiler auprès d’un ou d’une professionnelle », relate Dany Roberge.

Bien outiller les profs, le personnel et les étudiants

Une partie importante des recommandations émises par le rapport sur l’enseignement des sujets sensibles du Cégep Garneau touche à la formation des enseignants. C’est pourquoi différentes formations sont offertes aux enseignants afin de mieux les outiller afin d’aborder plus sereinement les sujets sensibles en classe.

Le Cégep Garneau fait partie des premiers cégeps à se doter d’une telle déclaration de principes.

« Dans les dernières semaines, on a eu une journée pédagogique au cours de laquelle on a eu un atelier sur les sujets sensibles. On a voulu outiller nos profs sur l’art de bien aborder ces sujets-là. On s’est questionné sur le fameux « trigger warning ». Est-ce qu’on l’utilise ou pas ? L’atelier était animé par six enseignantes qui dévoilaient des astuces pratiques pour aborder de la meilleure manière les enjeux sensibles », explique Dany Roberge.

En plus d’outiller les enseignants, le Cégep Garneau entend créer des lieux propices au débat sur des enjeux sensibles. Cet hiver, les membres de la communauté du cégep pourront participer à différents événements, tel que des cinéclubs et des discussions, au cours desquels seront abordés des enjeux de société sensibles.

Une vision commune

À travers la consultation menée dans sa communauté, la direction du Cégep Garneau a voulu rassembler étudiants et enseignants autour d’une vision commune de la liberté académique. Il s’agissait d’établir un dialogue rassembleur.

« Pour cela, il fallait que les étudiants et les professeurs soient conscients de ce que veulent dire la liberté académique et la liberté d’expression. Il y a un intérêt à s’éduquer sur ce que dit la loi et en même temps d’alimenter un climat de discussion sur le plan pédagogique. Tout au long de nos travaux, les échanges ont été très féconds, respectueux, même là où il y avait des divergences de point de vue », souligne Dominique Lepage, professeure de philosophie au Cégep Garneau.

En ce sens, c’est un exercice démocratique et citoyen qu’a mis en place le cégep à travers sa consultation publique. Une manière de réitérer la formation citoyenne qui est au cœur de la mission du réseau collégial. « Notre responsabilité en tant que cégep, c’est de faire la promotion de l’exercice démocratique. La pire chose qu’on peut souhaiter à la démocratie, c’est la rupture de dialogue. Dès que les profs cherchent à faciliter la discussion, et encourager leurs étudiants à comprendre les différents points de vue, non seulement ils évitent les dérapages, mais ils outillent les étudiants pour leur vie en société », affirme Julie Martineau.

Élargir la réflexion sur la liberté académique

Du côté de la Fédération nationale des enseignants et enseignantes du Québec (FNEEQ), on déplore que la loi 32 sur la liberté académique ne s’applique qu’aux universités. Pour pallier à ce manquement, la fédération syndicale a négocié avec le comité patronal de négociation des collèges l'ajout d'une annexe dans la plus récente convention collective (p.370). Une annexe vouée à protéger la liberté académique de ses membres, composés majoritairement d’enseignants du cégep.

La FNEEQ en appelle à un élargissement du débat autour de la question de la liberté académique. Selon Benoît Lacoursière, son secrétaire général et trésorier, la liberté académique regroupe non seulement l’enjeu du harcèlement sur les médias sociaux, mais aussi ceux de la liberté d’expression des enseignants et l’influence du secteur privé en éducation.

« Quand on regarde la définition de l’UNESCO, c’est beaucoup plus large que ce qu’on entend dans les médias. Pour nous, c’est important d’élargir la réflexion sur la liberté académique. Par exemple, l’idée de la liberté d’expression fait partie de la liberté académique. Il s’agit notamment de la liberté de pouvoir se prononcer comme enseignants sur les politiques publiques en matière d’éducation et sur les politiques de son propre établissement. C’est un élément qui pour nous est très important. Dans un deuxième temps, la présence grandissante du secteur privé en éducation ou dans la recherche nous préoccupe », conclut Benoît Lacoursière.