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Éric Tamigneaux : semeur d’algues et de connaissances


 

Entretien avec monsieur Éric Tamigneaux, Ph.D, professeur à l’École des pêches et de l’aquaculture du Québec du Cégep de la Gaspésie et des Îles, et chercheur industriel chez Merinov.

Un texte d'Alain Lallier, éditeur en chef, Portail du réseau collégial

Éric Tamigneaux a reçu en 2018 le prix d’excellence du FRQNT et en 2017 le prix ACFAS Denise-Barbeau pour la recherche au collégial. Il a accepté de nous entretenir de ses champs de recherche et des retombées sur l’enseignement.

Après avoir travaillé pendant plusieurs années avec les producteurs de moules et de pétoncles, Éric Tamigneaux se concentre depuis dix ans sur le développement de tout ce qui touche à la valorisation des grandes algues. De 2012 à 2017, il a été le titulaire de la Chaire de recherche industrielle dans les collèges du CRSNG en valorisation des macroalgues marines.

Contrairement à l’aquaculture des pétoncles et des huîtres qui sont des marchés de produits frais pour les poissonneries et les restaurants, l’algoculture s’ouvre sur une diversité de marchés : cosmétiques, pharmaceutiques, alimentaires et autres.
Il n’y a pas si longtemps, l’algoculture n’était pas très développée au Québec. Alors que l’aquaculture ressemble à de l’élevage, la culture des algues s’apparente davantage à l’agriculture. Nous parlons ici littéralement d’ensemencer en mer. À l’inverse de l’agriculture, on sème à l’automne et on récolte au printemps. Les algues avec lesquelles on travaille sont des espèces d’eau froide. « Elles ont comme particularité de faire l’essentiel de leur croissance en hiver. Nous travaillons vraiment sur des fermes marines essentiellement composées de cordes attachées à des blocs de béton posés sur le fond et maintenues par des bouées », explique le chercheur.

Travail sur les aspects scientifiques, mais aussi économiques
Le travail d’Éric Tamigneaux est axé sur la recherche, mais dans un CCTT, on ne perd jamais de vue le potentiel commercial et économique. Tout en faisant l’aquaculture, les chercheurs notent les coûts impliqués en matière de travail et d’équipements afin de pouvoir ensuite faire un bilan économique et recommander sur quels aspects travailler pour diminuer les coûts et atteindre des rendements tolérables sur le marché . « Nos travaux portent à la fois sur les aspects scientifiques et également, dans un même temps, sur les aspects économiques. Pour le moment, j’ai des collègues qui ont développé des systèmes de mécanisation qui permettent de faire la récolte de façon moins pénible et plus rapide surtout quand nous devons passer à l’échelle industrielle. Au lieu d’ensemencer cent mètres de cordes, nous ensemençons dix kilomètres de cordes. Ce qui est complètement différent. »

L’émergence d’une véritable filière industrielle
Les travaux de recherche du CCTT ont littéralement permis l’émergence d’une nouvelle filière industrielle. Les chercheurs ont voulu travailler sur la production en mer et, également, sur les aspects de développement de produits, de mise en marché et d’amélioration des coûts de production. « L’enjeu était d’éviter de se retrouver avec une capacité de production importante, mais zéro produit transformé. La Chaire de recherche a travaillé étroitement avec six entreprises de la région. La Gaspésie dispose maintenant d’une écloserie. L’entreprise Fermes Marines du Québec inc. est une écloserie responsable des opérations d’élevage des plantules (sorte de pépinière) et d’ensemencement sur les fonds marins. Par ailleurs, deux jeunes entreprises se sont lancées dans la transformation des algues de culture et achètent les algues des producteurs. Nous avons réellement instauré un début de chaîne industrielle : des pépiniéristes qui vendent des semis, des cultivateurs qui les amènent à taille commerciale sur leur ferme marine et des transformateurs qui achètent les algues et qui en font des produits à valeur ajoutée. »

Un statut de professeur et de chercheur
Merinov, membre du réseau Trans-tech, est le plus important centre intégré de recherche appliquée dans les domaines de la pêche, de l’aquaculture, de la transformation et de la valorisation des produits aquatiques au Canada. C’est un organisme à but non lucratif constitué de plus de cent employés répartis en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine et sur la Côte-Nord. Merinov assure la gestion administrative et opérationnelle du CCTT des pêches du Cégep de la Gaspésie et des Îles.

Éric Tamigneaux travaille particulièrement à Grande Rivière qui compte une trentaine d’employés. Il n’est pas un employé de Merinov, mais un enseignant du cégep en prêt de service. « Mon véritable employeur demeure le cégep. J’ai un contrat d’enseignant à temps plein. Selon les projets financés ou selon les besoins exprimés par Merinov, le cégep m’accorde une libération de tâches.  » Il enseigne depuis une vingtaine d’années à l’École des pêches et de l’aquaculture du Québec (ÉPAQ), une école nationale du Québec affilié au Cégep de la Gaspésie et des Îles.

Le professeur voit des avantages à conserver son statut d’enseignant au cégep. Face aux aléas des projets et des subventions, le statut de professeur offre une plus grande stabilité d’emploi.

Éric Tamigneaux souhaiterait établir au cégep une équipe de recherche sur les algues qui s’appuierait sur un financement récurrent sur plusieurs années. L’absence de financement récurrent se traduit souvent par le départ de certains chercheurs et par une difficulté à constituer un noyau fort. Il déplore cette absence de financement à long terme.

Des retombées pour les étudiants
L’engagement d’étudiants stagiaires du cégep est prévu dans le financement des projets de recherche; les programmes gouvernementaux encouragent les retombées de la recherche sur la formation. Des stages en milieu de travail sont déjà prévus au programme de formation en aquaculture de l’ÉPAQ, dont un en recherche. « L’intérêt d’être enseignant: pour préparer nos cours, nous sommes obligés de fouiller beaucoup pour nous tenir à jour. Ce qui, comme chercheur, nous permet de garder les étudiants informés de ce qui se passe en industrie, d’autant que nous travaillons constamment avec des industriels. Ainsi nous connaissons mieux leurs problématiques, leurs façons de faire et de fonctionner et les équipements qu’ils utilisent. Nos contacts avec les industriels facilitent les stages des étudiants. Recherche et enseignement se marient bien avec des retombées sur la formation des étudiants. »

« L’enseignement mène à la découverte et la découverte doit être transmise »
Dans une entrevue qu’il accordait dans le cadre de son Prix de l’ACFAS, Éric Tamigneaux disait : « L’enseignement mène à la découverte et la découverte doit être transmise ». Il termine notre entretien en affirmant : « Notre grande fierté réside dans le fait que le résultat de nos recherches est adopté par l’industrie ; cela mène à la création de nouveaux produits ou à une meilleure rentabilité. Nous étions très fiers de voir de nouvelles entreprises se lancer dans le domaine des algues. Ça veut dire que nous avons bien fait notre travail. »

L'opportunité de faire de la science en français

Éric Tamigneaux  a tenu à  ajouter une dimension pour lui très importante : « les activités de chercheur collégial, au Québec, nous donne l'opportunité de faire de la science en français, dans la langue dont nous maîtrisons le mieux les nuances, et de faire nos communications techniques en français (rapports, conférences, etc.). C'est important car cela rend les résultats accessibles à tous les étudiants, enseignants, industriels et à toute la population. »